lundi 1 février 2021

Buffy, saison 6 : addictions

 

Peu de suspense sur le contenu de ce nouvel article ! La saison 6 de Buffy contre les vampires vous a probablement laissé des souvenirs, en bons comme en mauvais. Nous n’allons pas analyser l’ensemble de la saison, mais la progression d’un personnage au cours de cette saison. Ce personnage, vous vous en doutez bien, c’est Willow.

 

Si les autres personnages de la série vous intéressent et que vous n’avez pas lu les articles précédents, voilà un petit récapitulatif : Buffy, Faith et Kendra ; les grands méchants (partie 1) ; les grands méchants (partie 2) ; Angel et Spike. Et notre premier article spécifique à une saison en particulier : saison 4 : science et magie

 

Commençons par notre habituel résumé de la saison. Au début de la saison 6, Buffy est morte et enterrée. C’est Willow, désormais une puissante sorcière et informaticienne, qui mène la chasse aux vampires grâce à ses pouvoirs et au Buffy-Robot que Spike avait fait fabriquer pour son plaisir sexuel. Elle dirige son équipe par la télépathie, répare le robot quand il y en a besoin. Mais Buffy a été tuée par des forces surnaturelles et Willow est persuadée qu’elle est en Enfer en train de souffrir : Alex, Tara et elle préparent alors un rituel pour la ramener à la vie. Malheureusement, à son retour, Buffy finit par dévoiler accidentellement à ses amis qu’elle était au Paradis, et qu’avoir été ramenée sur Terre est la pire douleur qu’elle ait connue. Coupable, Willow tente une formule pour lui faire oublier son bonheur passé, mais le sortilège trop puissant touche toute l’équipe (au cours d’un épisode assez drôle où plus personne ne sait qui il est), et quand la mémoire leur revient, sa petite amie Tara la quitte, ne supportant plus qu’elle manipule tous ses amis par la magie. Willow se rapproche alors d’une ancienne camarade de lycée, Amy, elle aussi sorcière, et cette dernière l’entraîne dans des formes de magie de plus en plus puissantes. Willow devient incapable de faire quoi que ce soit sans magie, elle est continuellement en quête de puissance, et finit par causer un accident qui aurait pu tuer Dawn, la petite sœur de Buffy. Elle accepte alors de se faire aider par un sevrage total, abandonne tous ses objets et ingrédients magiques, et tente de reprendre une vie normale. La cure semble bien se passer. Tara finit par revenir. Mais quand Warren tue accidentellement Tara d’une balle, toute la magie refoulée refait surface : après avoir échoué à ressusciter Tara, elle absorbe toute la magie noire contenue dans les livres de la boutique de magie pour se venger de Warren, mais aussi de ses amis Andrew et Jonathan. Buffy échoue à l’arrêter avant qu’elle ne tue Warren, mais permet aux deux autres de s’enfuir. Willow est arrêtée par Alex alors qu’elle tente de détruire le monde pour faire disparaître la souffrance.

 


La saison 6 s’arrête là, mais la cure de Willow doit continuer. Le sevrage, méthode utilisée dans cette saison, n’a pas porté ses fruits : le premier malheur l’a immédiatement fait replonger. Au début de la saison 7, Willow est en Angleterre avec Giles qui, loin de la brimer, lui apprend à mieux utiliser ses pouvoirs, en l’intégrant à un groupe de sorcières. Quand Willow revient à Sunnydale, elle est non seulement surpuissante, mais ne souffre plus d’une addiction destructrice à la magie. Bien sûr, l’addiction à la magie de Willow a été interprétée comme une métaphore de la drogue, et je n’aurais pas grand-chose à dire là-dessus. Les effets de la magie sur Willow, l’addiction grandissante et ses accidents sont parfaitement semblables aux effets de la drogue. Mais nous n’allons pas faire un article sur une théorie (qui n’en est même pas une tellement le rapprochement est évident) aussi connue.

 

Pour analyser de façon philosophique la transformation de Willow au cours de la saison 6 et au début de la saison 7, penchons-nous sur une notion en particulier : le désir. Un proverbe bien connu dit que « qui veut faire l’ange fait la bête. » Ce proverbe est en réalité une moitié de citation de Blaise Pascal, que voici en intégralité : « L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête. » Il ne faudrait pas réduire cette citation en son sens premier, à savoir qu’en voulant le bien de tout le monde, on risque de devenir monstrueux. On connaît suffisamment de situations où un parent, un ami, un proche s’efforce de contrôler toute notre vie parce que ce serait « pour notre bien », et de ce fait devient détesté (plutôt légitimement d’ailleurs). On pourrait développer cette idée, mais nous nous éloignerons de Buffy et Willow. Car Willow a bien tenté de faire l’ange, avant de devenir la bête. Qu’est-ce qu’un ange ? Pour un chrétien comme Pascal, l’ange n’est pas seulement un être bon : c’est un pur esprit. Il n’a pas de corps. Dès lors, l’ange est un être de volonté, et non de désir, car les désirs viennent du corps.

 

Quelle différence y a-t-il entre le désir et la volonté ? L’une et l’autre sont source d’action : vous agissez d’une certaine façon soit parce que vous le désirez, soit parce que vous le voulez. Intuitivement, vous pourriez avoir l’impression que l’idée de volonté est plus forte : devant quelqu’un qui ne fait pas assez d’efforts, nous dirons qu’il « n’a pas assez de volonté. » De même, nous parlons d’y mettre « de la mauvaise volonté. » La volonté, en effet, est la force d’esprit : c’est ce qui nous fait agir quand on n’en a pas vraiment envie, ou qui nous permet d’agir, justement, contre notre désir. Le désir, en effet, n’est pas une force active de notre esprit : il est passif. Le désir nous soumet. Quand nous désirons quelque chose, nous pouvons y penser toute la journée, au point d’être incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Ce désir est celui de Willow pour la magie : quand elle use de la magie, ce n’est pas librement, car elle ne peut même plus s’en empêcher. Elle use de la magie, totalement soumise à son désir. Or telle est la définition qu’on pourrait donner de la bête chez Pascal : la bête, être purement corporel, sans esprit, est sans volonté : il n’est soumis qu’à ses désirs. Or, l’homme est à la fois l’un et l’autre : animal, il est un être de désir ; à l’image de Dieu, il est un être de raison et de volonté. Nous avons des désirs, et il serait absurde de le nier ; en revanche, grâce à notre volonté, nous pouvons toujours nous battre contre ces désirs qui peuvent être destructeur. Willow est addict à la magie, mais elle a encore, en elle, le pouvoir d’y résister. D’ailleurs, elle y parvient. Même sous la pression, quand Buffy et ses amis sont prisonniers d’une maison à cause d’un sortilège, lorsque tout le monde lui demande de faire usage de la magie pour les sortir de là, elle résiste malgré tout.

 

Toutefois, n’oublions pas la fin de la citation de Pascal qui est devenue un proverbe : « qui veut faire l’ange fait la bête. » Autrement dit, l’être humain qui voudrait réprimer totalement ses désirs (devenir un ange) risque malheureusement d’y céder totalement. C’est ce qui arrive à Willow dans la saison 6 : en voulant totalement nier la magie, en essayant de l’éliminer de sa vie, en rejetant totalement son désir pour devenir un être de pure volonté, pleinement libre, elle va inévitablement replonger dans ce désir, et sans pouvoir le contrôler du tout. Dark Willow, à la fin de la saison, est devenue la bête : il n’y a plus que la magie et le chagrin qui la contrôle entièrement, elle n’a plus aucun discernement ni aucune maîtrise d’elle-même.

 


Comment faire, dès lors, avec nos désirs ? N’oublions pas que ceux-ci peuvent être destructeurs : c’est parce qu’elle a failli tuer Dawn (et se tuer elle-même) que Willow choisit dans un premier temps d’éliminer la magie. Cette solution échoue, mais celle que lui proposera Giles au début de la saison 7 va fonctionner. Loin d’éliminer ce désir de magie, elle va devoir apprendre la magie : étudier ses désirs, éliminer ceux qui sont mauvais et ne conserver que les bons. Cette solution est celle que propose les philosophes épicuriens. Epicurien, dans le langage courant, signifie profiter de la vie, bien boire et bien manger, autrement dit céder à tous ses désirs. Cette vision est plus qu’erronée, puisque c’est exactement l’inverse que proposait Epicure. Il ne s’agit pas de satisfaire tous ses désirs sans réfléchir, mais de rechercher le plaisir. Or, si la satisfaction des désirs apportent toujours du plaisir, certains plaisirs vont vite se transformer en souffrance par la suite. Prendre de la drogue quand on le désire apporte bien un plaisir : mais très vite, le sentiment de manque sera si violent que le plaisir obtenu peut sembler bien dérisoire à côté de la souffrance. Inversement, il peut être pénible de faire des exercices sportifs ; un sportif ne manquera pas d’apprécier la récupération, une fois la séance terminée, quand ses muscles se reposent, et sera globalement en meilleure santé. Les efforts physiques suivant lui demanderont moins d’efforts, et donc moins de souffrance. L’épicurisme a été critiqué pour cet aspect mal compris de la recherche du plaisir à tout prix. Ce qu’on oublie, c’est que pour qu’un plaisir éphémère ne soit pas suivi d’une souffrance permanente, il faut avoir précisément étudié ses désirs pour sélectionner ceux qu’il convient de satisfaire ou non.

 

Willow craindra longtemps de replonger dans la magie noire, de ne pas savoir s’arrêter. Mais cela n’arrivera plus. L’étude de la magie lui a permis de continuer à l’utiliser tout en la gardant sous contrôle.

 

Il est possible que les thèses philosophiques dont j’ai parlé dans cet article vous rappelle quelque chose. En effet, j’en ai parlé dans cet article sur Notre-Dame de Paris. N’hésitez pas à aller le relire, et comparer Willow à Claude Frollo, aussi mal compris que les épicuriens, et qui n’est pas le grand méchant de l’histoire, mais un homme qui a voulu faire l’ange, et a fait la bête.

 

Nous avons donc terminé notre analyse des deux saisons dont je voulais vous parler. A partir du mois prochain, nous nous intéresserons à quelques épisodes bien particuliers que je trouve intéressants. D’ici là, pensez à revoir la saison 6 !