Comme pour
beaucoup de monde, le quatrième volet de la saga Indiana Jones, intitulé Indiana
Jones et le Royaume du crâne de cristal, m’a quelque peu décontenancée.
Souvent décrié, banni comme mauvais film, les raisons sont longues de penser
que ce film trahit l’esprit des précédents, à commencer par la quête
centrale : trouver des extra-terrestres ? George Lucas a oublié que
c’était Indiana Jones, quand il a écrit le
scénario ! Au premier abord, Le
Royaume du crâne de cristal n’a rien en commun avec les trois premiers
films. Pourtant, dix ans après sa sortie, je le regarde avec un œil nouveau.
Cet Indiana Jones de la nouvelle génération,
où l’archéologue érudit perd son fouet et son cheval pour le canif et la moto
de son fils rebelle, est-il si différent ? Ne mérite-t-il pas sa place dans la
très célèbre série des Indiana
Jones ?
Vingt ans après
les événements du dernier épisode, c’est bien une nouvelle génération qui va
pousser le professeur Jones à sortir de son université pour partir à
l’aventure. Nouvelle génération de héros, nouvelle génération de méchants. Mais
ce sur quoi tourne l’intrigue centrale du film, et qui sera l’objet de cet
article, est la nouvelle génération de croyances
religieuses. N’oublions pas que le personnage est toujours parti en quête
d’objets religieux ou sacrés et que ses aventures tournaient autour d’un
élément de la mythologie :
- Les aventuriers de l’Arche Perdue et La Dernière croisade explorent la
mythologie biblique avec l’Arche d’alliance et le Saint Graal.
- Le Temple maudit, qui est peut-être en
réalité le seul film à être vraiment un peu à l’écart du reste de la saga,
abrite la pierre sacrée d’un village indien.
Mais de quelle
mythologie peut bien traiter Le Royaume
du crâne de cristal qui, loin de préoccupations religieuses, prend des
allures de science-fiction ? L’idée d’un crâne extra-terrestre semble bien
sans rapport aucun avec les quêtes habituelles d’Indiana Jones. Pourtant, le
mythe du crâne de cristal est bien, comme son nom l’indique, un mythe. Ce n’est
plus une mythologie religieuse et archaïque, mais c’est une mythologie malgré
tout. Après tout, avant de s’appeler Indiana
Jones et le Royaume du crâne de cristal, un des premiers titres proposés
était Indiana Jones et la Cité des Dieux,
ce qui n’aurait plus laissé aucun doute sur la dimension mythologique de cet
épisode. Vingt ans après sa dernière
croisade, Indiana Jones affronte un mythe moderne : on ne croit plus
aux dieux, mais on croit à la science et aux extra-terrestres. Ce sont eux qui
constituent notre mythologie contemporaine. En ce sens, le troisième film était
bien la dernière croisade : la
quête religieuse va complètement disparaître au profit de nouvelles croyances.
Nous imaginons,
la plupart du temps, que la science, rationnelle et vérifiable, aurait remplacé
des croyances religieuses sans fondement et, de ce fait, nous aurait libérés de
cet attachement à ce qui est absurde et sans preuve. La religion prétendait que
l’homme était au-dessus du reste de la nature, créé à l’image de Dieu, mais la
théorie de l’évolution a brisé ce mythe. De même la création du monde, ou
l’immortalité de l’âme. Mais la science nous a-t-elle vraiment débarrassés de
toutes les croyances ? N’a-t-elle pas simplement engendré de nouvelles
croyances et, finalement, une nouvelle religion ? Autrefois, les médiévaux
chrétiens croyaient voir des démons à tous les coins de rue ; aujourd’hui,
nous voyons des OVNI. Quelle différence, en fin de compte ?
Ce qui est
sous-entendu par ce choix de faire chercher à Indy le crâne extra-terrestre
qui, selon le mythe, lui permettrait d’accéder à tous les secrets de l’univers,
c’est que la religion n’a pas disparu avec la science : la science
elle-même est notre nouvelle religion. C’est déjà une idée que j’avais exposée
dans un précédent article, Ainsi parlait Von Krolock analyse
nietzschéenne du Bal des Vampires de
Polanski, où le thème de « la mort de Dieu » était omniprésent.
Nietzsche remarque que les progrès de la civilisation et de la science mettent
à mal l’idée de Dieu : nombre de découvertes scientifiques viennent
contredire purement et simplement les mythes monothéistes, de l’immortalité de
l’âme à la supériorité de l’être humain sur le reste de la nature. Nous ne
pouvons que douter de l’existence de Dieu : voilà de quelle façon il est
mort mais, Nietzsche ajoute, « son ombre continue de planer sur
l’humanité. » L’homme est ainsi fait qu’il ne saurait supporter une
existence vaine, vide de sens, où rien ne l’attend : ce Dieu qui donnait
sens à l’existence en promettant une vie après la mort a disparu, mais nous
avons encore besoin de croire en quelque chose. Pour cette raison, nous allons
sans cesse nous chercher de nouveaux dieux (de nouvelles choses en lesquelles
nous pourront croire) : le travail, l’amour, mais surtout, le premier
d’entre eux, celui devant lequel nous sommes tous soumis et en admiration, la science. Aujourd’hui, dire, « c’est une vérité scientifique »
(et combien de fois l’ai-je entendu de la bouche de mes élèves de Terminale
S…), c’est couper court au débat. La science ne se contredit pas, tout comme la
vérité Révélée ne se mettait pas en question.
Dès lors, les
extra-terrestres du Royaume du crâne de
cristal sont l’équivalent divin du scientifique. Dieu, infiniment meilleur
que l’être humain, n’est plus face aux extra-terrestres, infiniment plus
avancés que les hommes en terme de productions techniques : alors que nous
nous demandons encore s’il existe de la vie ailleurs, eux ont déjà réussi à
venir jusqu’à nous. Loin de se détacher des premiers épisodes, Le Royaume du crâne de cristal reprend
les mêmes éléments, et les transpose dans cette mythologie moderne. Comparons
ainsi les épisodes I et III (le II étant bien plus marginal) à
l’épisode IV :
- *Remarque : Au sujet de la provenance du crâne, situé en Eldorado dans le film, le mythe original fait un lien entre le crane de cristal et la cité perdue d’Atlantide, enfouie sous l’océan. Atlantide était bien une cité douée de productions techniques étonnantes et très avancées. Une liberté a été prise avec le mythe ici, mais après tout, ce n’est qu’un détail à côté de ce que Le Temple maudit a fait de la déesse Kâli…
Finalement,
Indiana Jones n’a pas changé : c’est toujours le héros en quête de mythe,
d’une preuve que les objets mythiques existent réellement, ainsi que toutes les
légendes surnaturelles qui les accompagnent. A la fin du film, juste avant que
le dernier crâne ne soit rendu, son ennemie soviétique, Irina Spalko, lui
dit : « La foi est un don qui
vous reste à recevoir » ; ce à quoi Indy répond : « J’ai la foi, c’est pour ça que je préfère
rester éloigné. » Croire,
c’est tout ce qui compte : croire pour échapper à ce que Nietzsche appelle
le « nihilisme », la croyance en rien, au vide, le désespoir face à
un monde vide de sens. S’il y a bien une chose que nous apprend Indiana Jones,
tout particulièrement dans La Dernière
Croisade, c’est que nous avons toujours raison de croire : sinon, il
n’aurait jamais pu passer l’épreuve du saut de Dieu pour atteindre le Saint
Graal…