samedi 27 août 2016

Y a-t-il de bons livres autoédités ?

Je suppose que le titre de cet article est un peu, diriez-vous, WTF, vu que je suis moi-même autoéditée, mais je ne vais pas parler de moi, ni des motivations qui m’ont fait m’autoéditer ou quoi que ce soit du genre. Certains penseront que j’essaie de me défendre, moi la pauvre auteure inconnue sans talent mais qui croit qu’elle peut intéresser des gens donc publie son livre toute seule, mais mon but premier est plutôt de refroidir un débat, en bonne prof de philo, et non donner mon avis à coup de grandes phrases exclamatives. A vrai dire, j’écris cet article en réaction à une violente conversation que j’ai lue sur Twitter – non pas violente au sens où, rassurez-vous, il y aurait eu insulte ou bagarre physique, loin de là, mais violente au sens de passionnée, d'un côté comme de l’autre.

Je ne suis pas ici pour dénoncer ou faire du règlement de compte, je ne vais donc pas citer, mais simplement résumer ce que j’ai pu lire. Une première personne, visiblement lectrice lambda passionnée de lecture mais bien ancrée dans l’opinion commune selon laquelle les auteurs autoédités sont les prétentieux qui croient que personne ne reconnaît leur génie (opinion qui n’est pas un mal, puisqu’elle est largement fondée, un grand nombre d’auteurs autoédités sont bien dans ce cas de figure) s’étonnait – que dis-je ! s’offusquait même – que des blogueurs, lors du célèbre hashtag #JeudiAutoEdition servant justement à faire connaître les livres autoédités qui nous ont plu, s’extasient devant des romans autoédités en disant qu’ils avaient adoré et que c’était formidable et qu’il fallait absolument le lire. Cette personne, en effet, soutenait avec certitude qu’il ne pouvait pas y avoir autant de livres autoédités aussi bien puisque sinon, ils auraient été édités par une maison d’édition.

A cela, une autre lectrice passionnée qui, de son côté, avait eu la chance de lire de nombres livres autoédités qu’elle avait adorés, répondait que ce point de vue était non seulement restrictif (si seulement la conversation s’était arrêtée là, j’aurais pu lui donner raison) mais surtout insultante envers des auteurs qui avaient choisi la liberté face au grand monument de la littérature commerciale qui se devait d’entrer dans des cases. Comme vous vous en doutez, l’autre personne s’est empressée d’accuser les autoédités de faire croire ce genre d’inepties pour se donner de l’importance, alors qu’ils avaient simplement « été refusés partout. »

Voilà le point de départ, et ce sur quoi je voulais intervenir. Je vais d’abord résumer mon point de vue en trois réponses (qui s’accompagneront bien sûr, pour être des réponses, de trois questions) :
- Y a-t-il de bons, voire très bons, voire excellents livres autoédités ? Oui.
- Les autoédités sont-ils souvent des fervents penseurs anticapitalistes qui ont en haine la politique commerciale dans grandes maisons d’édition ? Non.
- Les autoédités ont-ils « été refusés partout » ? Non.

Vous trouverez sûrement que mes deux dernières réponses sont contradictoires, mais c’est loin d’être le cas. Ce que je veux dire par ma dernière réponse, c’est qu’il est impossible d’avoir été refusé « partout » étant donné que personne (ou alors un seul auteur isolé dans le monde, plein aux as et en manque d'inspiration puisque quelqu'un d'autre aurait écrit un nouveau livre plutôt que de perdre son temps avec l'édition) n’a envoyé son manuscrit « partout. » D’une part, parce qu’il existe beaucoup trop de maisons d’éditions, et des petites notamment, pour qu’il soit possible de toutes les connaître. Personne n’envoie son livre « partout » mais seulement à certaines maisons sélectionnées, plus ou moins judicieusement. Certaines maisons choisissent en effet de publier ce qui est commercial : ce qui va plaire, ce qui va bien se vendre, ce qui se lit, en fin de compte, dans le train ou sur la plage, et qui n’est pas dégradant, loin de là, c’est un choix. Je suis loin de critiquer ces maisons d’édition : c’est un commerce et il est normal qu’elles veuillent vendre, ne serait-ce parfois que pour se maintenir. Et franchement, je (et n'essayez pas de faire croire que vous non) suis bien contente, l'été, d'avoir un petit Marc Lévy pour la plage, histoire de ne pas me trimballer Notre-Dame de Paris qui va me forcer à réfléchir pour comprendre alors que je suis tranquillement en train de bronzer). D’autres vont privilégier la qualité, d’autres ne publieront que des romans écrits à la première personne, d’autres que des romans fantastiques, d’autres que des biographies… Chacune a sa spécialité et la difficulté, quand on a un manuscrit entre les mains, n’est pas de trouver une maison « qui aime bien mon livre » : c’est de trouver une maison qui publie le genre de texte qu’on a écrit.

Evidemment, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Et ce que je ne dis pas, c’est que le roman écrit quand j’avais 10 ans, qui est bourré de fautes d’orthographe, de fautes de style, et écrit à la main, pourrait être publié, parqu’aucun éditeur ne publie des romans avec des fautes d’orthographes et des fautes de style. Donc oui, l’auteur qui ne sait pas écrire et raconte sa vie passionnante au milieu de la pollution en assurant que c’est la plus merveilleuse autobiographie de la littérature ne sera édité nulle part. Alors, il n’aura plus qu’à s’autoéditer, et maintenir la très mauvaise réputation de l'autoédition au passage. Et croyez-moi : à propos d'un tel livre, aucun blogueur n’ira dire sur #JeudiAutoEdition « Je viens de lire le meilleur livre de ma vie ! » Non. Parce que s’il y a une seule chose que je croie, c’est qu’un livre se vend pour une seule raison : la pub. Ce n’est pas l’étiquette « Gallimard » qui fait acheter un livre, parce que chez Gallimard, il y a des bonnes bouses. Un livre se vend s’il peut plaire. Et c’est tout.

Mais s’il peut plaire, pourquoi n’est-il pas édité par une maison d’édition ? Ça revient au même.

Oui, parce que je n’ai pas terminé. Première raison qui peut faire qu’un bon livre a été autoédité : l’auteur ne connaissait pas LA maison d’édition qui était spécialisée dans ce qu’il écrit. Deuxième raison très bête et que les rageux de l’autoédition devraient se mettre en tête : autoéditer un ebook, c’est gratuit. Envoyer son manuscrit à des éditeurs, qui pour l’énorme majorité n’acceptent pas les envois par emails, ça coute très cher. Il faut imprimer le livre dans le format qu’ils demandent (et ce format, mes petits, c’est en recto seul avec la célèbre interligne 1.5 ou 2 qui double le nombre de pages), le relier, le mettre dans une enveloppe, timbrer l’enveloppe à 10 euros parce que notre manuscrit imprimé selon le diktat pèse déjà cinq kilos, apporter ce gros paquet à la poste avec ses petits bras, mettre une deuxième enveloppe timbrée pour récupérer son manuscrit s’il est refusé, ou en imprimer un nouveau pour l’éditeur suivant. Eh oui, ça coute de l’argent d’essayer de faire publier son livre chez un éditeur à compte d’éditeur, parce qu’il est extrêmement rare d’être pris du premier coup, et même dans les 10 premiers coups. Parce que, généralement, à qui envoie-t-on son manuscrit en premier ? Gallimard, Flammarion, Robert Laffont, XO, Le Seuil, Nathan, l’Ecole des Loisirs… Vous connaissez tous ces noms ? Oui. Tous les auteurs les connaissent et tous les auteurs leur envoient leur manuscrit. Et les éditeurs ont beau avoir peur de rater le futur chef-d’œuvre du siècle et lire tous les manuscrits reçus pour peu qu'ils soient écrit dans un français correct, ce qui se remarque au premier coup d'oeil, celui qui en est à son vingtième manuscrit de la semaine, pour peu que sa femme lui ait cassé les pieds la veille au soir, il sera de mauvais poil face à un bon manuscrit et le jettera. Il n’est pas impossible de publier un premier roman chez Gallimard : mais c’est de la loterie plus que de la course au mérite.

Autre point : il y a beaucoup de gens qui savent écrire. De même qu’il y a beaucoup de gens qui savent chanter. Vous les avez entendus à The Voice ? Ils chantent bien. Tous. Et pourtant, on ne peut pas tous les garder. Il y a cent bons romans qui arrivent chez l’éditeur ce mois-ci. Mais l’éditeur n’a pas les moyens d’en publier cent, parce que publier, ça demande un long investissement : alors l’éditeur va devoir en choisir un. Un, ce ne sera pas forcément le meilleur, ni le plus original, ni même forcément le plus vendable, mais simplement celui qui s’inscrira le mieux dans sa ligne éditoriale. Si vous avez aimé celui qui s’est fait éliminer au premier tour de la Star Ac’, vous pouvez aimer l’auteur autoédité qui, lorsqu’il a été refusé par les maisons d’édition, s’est peut-être tout simplement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

J’avais dit que je ne parlerai pas de moi, en tant qu’auteur : je vais quand même parler de moi en tant que lectrice. Depuis que j’ai découvert Amazon Kindle (jour qui changea ma vie !) je lis des auteurs autoédités, puisque leurs livres sont beaucoup plus faciles à trouver en version numérique. Jusque-là, j’en fais la promesse solennelle, je n’en ai pas trouvé un seul qui fût truffé de fautes d’orthographe. Tous ces auteurs savaient écrire. Certains livres étaient plats, sans trop de style… mais franchement, Guillaume Musso aussi c’est plat et sans style, et pourtant ! Les livres que j’ai lus, bien notés par les lecteurs et les blogueurs, sont des livres qui auraient pu être édités, qui auraient pu plaire, mais auxquels l’éditeur a pu préférer un autre roman semblable. Pensez à celui qui reçoit, en une semaine, 100 romans policiers qui raconte un meurtre commis en haut d'une tour par un psychopathe qui voulait imiter le Joker : il ne va en publier qu'un, parce que tous racontent la même chose. Mais sur ces cent, il y en avait peut-être dix qu’il aurait pu publier, s’il n’avait choisi l'autre, pour une raison que nous n’avons pas à connaître. Il y avait peut-être dix fois la même histoire bien racontée, mais inutile d'en publier dix, et il a de fortes chances que le dixième lu lui semble sans originalité et répétitif alors que, s'il l'avait lu en premier, il l'aurait trouvé génial. D'ailleurs, pusique je ne parle pas de moi... mais si, parlons-en. La Loi de Gaia, ça s'inscrit quand même dans le contexte d'attentats terroristes. Vous avez une idée du nombre de livre parlant d'attentats que les éditeurs reçoivent depuis janvier 2015 ? Si j'avais été tentée par l'édition traditionnelle, ça aurait été très compliqué, quelle que soit la qualité du livre. Parce que, vous, vous n'avez pas tout lu : eux, ils ont lu beaucoup plus, et ce qui vous paraîtra original aura été un choix parmi d'autres livres semblables. Vous connaissez mon cauchemar ? Divergente. Oui, Divergente. Outre le fait que je n'aime pas du tout l'intrigue, la contexte de base est malheureusement très proche d'un roman que j'ai commencé à écrire il y a plusieurs années. Que va-t-il se passe si j'essaie de le publier maintenant ? Sans doute: "ça ressemble trop à Divergente." Alors sachez-le, je n'essaierai même pas de l'envoyer à des éditeurs (de toute façon, ça fait bien longtemps que l'idée ne m'a plu traversé l'esprit...), parce que ça va me coûter cher en impression, alors qu'autoéditer sera gratuit. Et mes livres sont lus quand même !

Je récapitule pour le moment ce que je voulais dire :
- La plupart des autoédités ont tenté sans succès le parcours traditionnel.
- Un certain nombre ne savent pas écrire ou écrivent des choses absolument inintéressantes.
- Mais certains, et je les remercie, ont tout simplement eu le courage de s’autoéditer et d’assurer eux-mêmes la promotion de leur roman. Parce qu'évidemment, il ne s'agit pas d'attendre devant Amazon que les ventes arrivent, il faut promouvoir. La promotion la plus simple et en même temps la meilleure est de faire don de quantité d’exemplaires gratuits à des blogueurs qui donneront leur avis (non, ça ne coûte pas d'argent, parce que contrairement aux éditeurs, beaucoup de blogueurs acceptent les ebook !). Les blogueurs sont des lecteurs comme les autres : s’ils adorent, d’autres peuvent adorer aussi. Voilà pourquoi, personnellement, je passe sur les blogs quand j’ai envie de découvrir un auteur autoédité, pour être sûre de ne pas tomber sur une catastrophe, et je vous conseille d’en faire autant.

Ce hashtag, #JeudiAutoEdition, est une invention formidable. Parce qu’il y a d’excellents livres autoédités qui peuvent plaire autant que les autres (et parfois, on peut bien trouver un auteur qui a refusé les services d’un éditeur trop prêt à charcuter la moitié de son texte pour réduire le prix de fabrication ou le rendre plus commercial…). Sur #JeudiAutoEdition, on voit, en effet, les lecteurs s’extasier sur un roman autoédité. Ce n’est pas de la mauvaise foi (à quoi bon ? Vous avez déjà recommandé un livre que vous détestez, vous ?) Au contraire, vous remarquerez très vite qu’au cours des semaines, quelques noms et titres ressortent du lot. Pour prendre l’exemple qui me frappe en ce moment : un certain Habeas Corpus de Victor Boissel. J’ai lu le début (n’oubliez pas avant d’acheter un livre qu’Amazon propose TOUJOURS un extrait gratuit) et j’ai presque été surprise qu’autant de lecteurs lambda aient à ce point aimé. Non pas parce qu’il est mauvais, bien au contraire : l’écriture est hautement littéraire et j’aurais cru que ça ne pourrait pas plaire à tout le monde. Je n’ai lu que le début pour l’instant, mais une chose est sûre : tous ceux qui ont eu le courage de s’accrocher le recommandent à présent. Alors je vais le lire, parce que je crois au bouche à oreille, que je me suis fait une idée du style de l’auteur grâce à cet extrait gratuit, et que je sais pertinemment qu’un tel début peut suffisamment décourager un lecteur pour qu’un éditeur n’ose pas prendre le risque de s’investir dans un tel texte, de la part d’un auteur inconnu.


Pour conclure, deux trois livres autoédités que j’ai lus :
- Effet Miroir de Vincent Rémont : ce n’est certes pas de la grande littérature, mais ma foi, si Guillaume Musso écrit des livres « assez bons pour être édités », lui aussi, parce que c’est exactement du même style. Mais évidemment, quand XO a le choix entre ce monsieur dont personne n’a jamais entendu parler et M. Musso qui nous a fait exactement le même scénario, qui va-t-il prendre, à votre avis ?
- Le manuscrit de Mathias Lanuit : c’est une nouvelle, ça se lit vite je n’ai pas trouvé ça excellent mais je suis tentée de reprendre l’argument de ma bête noire citée ci-dessus.
- Au nom de quoi de Dorian Meune : j’en ai déjà fait une critique détaillée ICI alors allez voir vous-mêmes.
- Jusqu'où va l'amour de Jack-Laurent Amar : un chef-d'oeuvre. Allez voir ICI


Et je ne parle pas de ceux que je n’ai pas aimés parce que, comme la plupart des gens, quand je n’aime pas quelque chose, je n'ai aucune envie de le faire connaître. Voilà pourquoi vous n’aurez jamais de livre catastrophique sur #JeudiAutoEdition.

dimanche 21 août 2016

Entre chien et loup, Mallorie Blackman ♥ Mon coup de coeur de toujours



Les Primas et les Nihils se font la guerre depuis bien longtemps. Les Primas ont la peau noire, ils contrôlent le pays, ce sont eux qui ont tous les droits. Les Nihils ont la peau blanche et sont contraints de vivre dans une société totalement dirigée par les Primas.

C'est dans ce monde où les deux races n'ont pas le droit de se mélanger que Callum McGrégor et Perséphone Hadley sont nés. Sephy (Perséphone) est noire, fille de ministre et Callum, lui, est blanc, fils d'ouvrier. C'est dans la tristesse, la douleur, la trahison, le mensonge et la haine que leur relation va aller de plus en plus loin, jusqu'au jour où un drame les sépare pour toujours.

Puisque je suis incapable d’aimer le moindre roman – ou du moins de l’adorer, de vibrer, de verser des larmes et d’en parler partout et à tout le monde – depuis que j’ai lu celui-ci, peut-être est-ce le moment d’en parler avec plus de précision. Il y a quatre livre dans cette série. J’ai déjà évoqué le troisième tome dans un article précédent que vous pouvez relire à cette adresse : La Loi de Gaia, c'est quoi ?

Bien que j’aie choisi, pour illustrer l’article, cette belle suite de couvertures des quatre tomes juste parce que c’est joli, je voudrais m’étendre sur le premier, que j’ai relu récemment. Mais aussi parce que le premier n’a pas son égal, et c’est celui-là qui m’a suffisamment marquée pour que je devienne un vieil ermite de la lecture. Vous l’aurez compris par le résumé : il s’agit d’une dystopie où les noirs, appelés Primas, sont les maîtres alors que les blancs, ou Nihils, sont d’anciens esclaves affranchis mais toujours traités comme inférieurs. Bien sûr, il existe quelques métisses qui, s’ils ont de la chance, on la peau assez foncée pour ressembler à des Primas, mais d’autres vivent avec les Nihils. Bien que le retournement de situation par rapport à la réalité soit original, l’intérêt du roman est bien loin de tenir sur ce point qui ne présente qu’une toile de fond où va se construire une suite de drames impliquant en particulier la famille de Callum. Le prologue du livre s’ouvre sur une amitié étonnante entre les mères respectives de Callum et Sephy, tandis que les deux enfants s’amusent dans le jardin, encore inconscients du monde politique. Mais le point de départ de ce livre, c’est justement le moment où cette amitié se brise, quand Mme Hadley renvoie Mme McGrégor qui travaillait pour elle. A partir de là naîtra une haine incontrôlable bien que regrettée entre les deux familles, une haine dont les deux enfants vont se tenir à l’écart.

On s’attend sans doute à une histoire d’amour en lisant le résumé, et c’est le cas, mais elle arrive tout de même bien tard du fait du jeune âge des protagonistes au début de l’histoire (même si la toute première scène du premier chapitre, du point de vue de Sephy, raconte leur premier baiser.) C’est en fait leur amitié qui va souffrir tout au long du livre, bien avant la naissance du sentiment amoureux. Reste que l’histoire n’est pas non plus centrée là-dessus : une bonne partie du roman se centre sur la Milice de la Libération, un groupe de résistants Nihils qui souhaitent l’égalité des droits, mais défendent leur position par des attentats sur les Primas plutôt que sur des conversations. Très vite on comprend que certains membres de la famille de Callum en font partie. Le jeune garçon va donc se retrouver malgré lui entre les crimes de sa famille, la police, les arrestations, les interrogatoires et les bombes, auxquelles il va lui-même échapper de justesse, tout en essayant de protéger Sephy, son amie Prima qui est largement visée par ces attaques, puisqu’elle est la fille d’un ministre.

Les quatre romans utilisent une narration alternée. Le premier raconte l’histoire du point de vue de Callum et Sephy. L’enchaînement est parfait et la toute fin est exceptionnelle. Le second livre est beaucoup plus intéressant sur ce point, puisque l’histoire est racontée par plusieurs personnages qui ont des rôles très différents. J’ai préféré le premier : je ne m’en cache pas et je ne changerai jamais d’avis ; mais le second a cette force dans le nombre remarquable de points de vue. La couleur de la haine est la seule dystopie où, parfois, vous avez le point de vue du méchant : vous voyez que le méchant n’est pas simplement l’enveloppe du « méchant » mais qu’il a, comme tous les autres personnages, une intériorité, des sentiments, des idées et parfois une logique imparable. Enfin, Le choix d’aimer ajoute l’originalité de la chronologie, puisque tout n’est pas raconté dans le bon ordre, et que les points de vue s’alternent en passant du présent au passé, de telle sorte que la mystérieuse scène initiale prend tout son sens à la fin du récit.

J’ai lu le quatrième tome bien après le reste de la trilogie et comme je n’avais relu que le premier entre temps, certains détails me manquaient pour vraiment réussir à m’y plonger. Je craignais un quatrième tome « inutile » : comme je l’ai dit dans mon dernier article, la fin du troisième se passait de toute suite. L’ambiguïté conservée sur deux éléments était parfaite, et j’avais peur de découvrir ce dernier tome ; mais comme cette série était profondément gravée dans ma tête et ma manière d’écrire, j’ai tout de même voulu replonger dans une histoire et avec des personnages que j’étais sûre d’aimer. Et pour tout dire, je n’ai pas été déçue, loin de là : l’écriture suffit à vite replonger dans l’histoire, à pardonner cette suite là où la trilogie se suffisait à elle-même, l’histoire est intéressante et pourtant très différente des tomes précédents. La narration n’est alternée que pendant une partie du livre, puis un seul personnage prend le relais. Je ne peux vraiment en parler sans dévoiler ce qui se passe dans les ouvrages précédents, c’est pour ça que je ne m’étendrai pas dessus.

Quoi qu’il en soit, je recommande peu de romans, parce que je suis devenue trop difficile. Même ceux que j’ai aimés, je leur trouve trop de défauts pour vraiment perdre la tête quand j’en parle. Je n’en ai que quatre à conseiller : Entre chien et loup, Le couleur de la haine, Le choix d’aimer et Le retour de l’aube. Ils sont à lire, parce que c’est la plus belle histoire qui soit dans un roman d’abord pour adolescents. Tout le monde peut les lire, tout le monde peut les aimer, et peut-être que comme moi, vous passerez dans la rue tout ému en voyant un jeune garçon blanc embrasser une jeune fille noire, parce que la seule pensée qui vous viendra à l’esprit sera : « C’est Callum et Sephy !!!! » (petite anecdote personnelle qui me fait sourire… et qui me donne envie d’embrasser ces deux adolescents que je ne connais pas mais qui m’ont poussée à présenter enfin et avec précision cette merveilleuse série qui m'a redonné goût à l'écriture au moment où je n'écrivais plus rien)

mardi 16 août 2016

Interview (ça y est, j'ose !)

Article un petit peu particulier par rapport à d'habitude... puisque c'est une interview. De qui ? Ben de moi ! Mais je ne l'ai pas faite moi-même, rassurez-vous, et contrairement à Emilie, je ne suis absolument pas schizophrène. Cette interview date un peu, certaines choses dites vous paraîtront redites, mais il a fallu le temps que la rédactrice mette tout cela en forme !

Interview de Caroline Giraud, auteur de Si la parole était d’or


Caroline Giraud n’est pas un auteur banal… Elle pourrait même apparaître un peu inquiétante, quand on lit les présentations qui sont données d’elle sur ses comptes Facebook, Twitter, son Blog, ses romans mêmes ou les journaux. De la « râleuse professionnelle » à la « cannibale », qui est vraiment Caroline Giraud ? Voilà une interview exclusive qui vous permettra d’enfin connaître la vérité sur cette auteure étrange, et de la faire parler un peu de son dernier roman, Si la parole était d’or. Avant de commencer, rappelons l’histoire de ce roman, dans lequel Caroline Giraud donne un second souffle au genre épistolaire en l’adaptant à l’ère du numérique. Emilie Chartier raconte à Aline une année décisive de sa vie par e-mail. Alors qu’Emilie souffre d’une maladie inconnue depuis son enfance, elle quitte sa famille et s’installe à Paris pour commencer une nouvelle vie, où elle tentera de guérir grâce à sa passion pour la philosophie.

Amélie Salomone : Pour commencer, pourriez-vous nous dire quelque mot sur votre passé d’écrivain ?

Caroline Giraud : Sans doute. Le premier « roman » que j’ai écrit se passait dans un collège avec un loup-garou. C’était écrit à la main, sur des vieilles feuilles de classeur. Je m’étais mise dans ma rue et disais à tous les voisins qui passaient « j’écris un livre. » Je crois que j’ai terminé ce roman, qui en tout devait faire… 20 pages. Ensuite, je me rappelle vaguement d’un autre roman avec une créature bizarre qui s’appelait le Chamauhort, une espèce de chameau qui voyage dans le temps. Puis il y a eu Mary Hist et le dragon de mer des glaces, mon premier roman publié à compte d’auteur. J’avais 13 ans et c’était il y a exactement dix ans.

AS : Joyeux anniversaire à Mary Hist alors ! Mais dites-moi… d’où vous est venue cette envie d’écrire ? Ce n’est quand même pas commun de publier un livre, même à compte d’auteur, à 13 ans.

CG : C’est sûr. Enfin, écrire n’est pas rare à cet âge, d’autant que c’est la période où les blogs ont commencé à apparaître, donc il était fréquent pour les jeunes d’écrire sur un blog, même s’il ne s’agissait pas de romans. Mais comme mon accès à internet était très surveillé, je suppose que je me suis tournée vers le roman en compensation.

AS : Et depuis, vous semblez avoir disparu du monde littéraire… où étiez-vous pendant tout ce temps ?

CG : Je n’avais pas disparu, j’ai simplement changé de nom. Je suis devenue Rodrigue Lancai et j’ai publié trois romans pour adolescents aux éditions Edilivre. Rodrigue Lancai était un anagramme de mon vrai nom, que j’avais pris parce que je suis timide.

AS : Vous êtes timide ?

CG : Oui. Je suis timide.

AS : Pourquoi avoir repris votre vrai nom alors ?

CG : Je ne sais pas trop. Avec la sortie de ce roman, j’ai non seulement changé de type d’édition (je me suis auto-éditée) mais aussi de façon d’écrire. Les romans de Rodrigue Lancai étaient très « classiques ». Ce que je veux dire, c’est qu’ils ressemblaient beaucoup à mes lectures de lycée : des romans fantastiques à forme traditionnelle, donc écrits au passé, selon le point de vue d’un seul personnage… Si la parole était d’or tranche immédiatement par sa forme. C’est à mi-chemin entre le journal intime et la correspondance : l’héroïne, Emilie Chartier, envoie des messages à une personne qui existe réellement, Aline, mais n’obtient jamais de réponse.

AS : Et pourquoi sa correspondante ne répond-elle jamais ?

CG : Je ne vais pas tout raconter non plus !

AS : Non, c’est sûr ! Mais concernant cette différence que vous relevez avec les livres de Rodrigue Lancai… est-ce que finalement vous n’êtes pas revenue à votre vrai nom parce vous racontez dans ce livre quelque chose de personnel ? N’y a-t-il pas des passages autobiographiques ?

CG : Beaucoup se posent la question, le livre est souvent présenté comme ça, et pourtant je donne toujours la même réponse : il s’agit bien d’une fiction. Certes, il y a des ressemblances entre Emilie et moi : j’ai moi aussi fait une classe préparatoire dans une grande école où je me suis fortement ennuyée, et des études de philosophie. Certains passages humoristiques racontant des anecdotes de prépa ou de cours à la fac sont de vraies anecdotes que je n’ai pas pu m’empêcher de mettre… mais l’histoire de fond est inventée.

AS : Au tout début de votre livre, il y a une dédicace adressée à une certaine « Marion ». Et plus tard dans le livre, le personnage, Emilie, demande à sa correspondante Aline de faire passer un message à « Marion. » S’agit-il de la même personne ?

CG : Vous avez le sens du détail… Mais oui, en effet. Marion est la personne qui non seulement m’a conseillé d’écrire ce roman, mais aussi qui a inspiré le personnage d’Aline. Je sais que c’est très flou parce qu’il y a peu de descriptions d’Aline, elle ne s’exprime jamais et on ne sait pas, en fin de compte, de qui il s’agit. Beaucoup de mes lecteurs (et plutôt lectrices) ont interprété que c’était une amie d’Emilie, mais ce n’est pas exactement ce que j’avais en tête…

AS : Mais alors, qui est Aline ?

CG : J’aime bien les interprétations des lecteurs. Je préfère les laisser me dire ça eux-mêmes !

AS : Etant donné que vous avez fait des études de philosophie, et moi aussi, je ne peux m’empêcher de penser que les noms des deux personnages que nous avons cités ne sont pas anodins. « Alain », le philosophe qui est si souvent cité par Emilie, ne s’appelait-il pas en réalité Emile Chartier ?

CG : Quand je dis que vous avez le sens du détail ! Eh bien, oui, vous m’avez percée à jour. Emilie Chartier et Aline sont bien les deux noms d’Alain, au féminin. Cette idée m’est venue après qu’une de mes amies a lu la toute première version du livre. A cause de sa forme un peu particulière, elle s’est demandé si la correspondante d’Emilie (qui ne s’appelait pas encore comme ça) existait vraiment ou si Emilie, qui est, rappelons-le, malade et souvent à l’hôpital, n’était pas tout simplement en train de se parler à elle-même. Comme je viens de le dire, j’adore les interprétations des lecteurs : donc imaginer Emilie avec un dédoublement de personnalité m’a beaucoup plu, et j’ai relevé l’ambiguïté en donnant ces noms-là à mes personnages.

AS : Et pour la suite, avez-vous d’autres projets ? D’autres livres en cours ?

CG : Oui ! En fait, Si la parole était d’or a été suivi de près par un roman (un vrai, cette fois ! Pas de lettres, pas d’anecdotes…) auquel je tiens beaucoup : La Loi de Gaia.

AS : Quelques mots de présentation sur La Loi de Gaia ?

CG : Si vous voulez. Il s’agit d’une dystopie. L’histoire se passe après une guerre nucléaire : les survivants du pays détruit par l’explosion passent pour des monstres et sont utilisés comme esclaves pour que les vainqueurs puissent se décharger de leur haine envers les criminels. Et dans cette atmosphère très noire, naît bien sûr la classique mais néanmoins plaisante histoire d’amour.

AS : Très bien ! Je vous remercie, Caroline, pour votre temps. Je vous souhaite bonne chance pour la suite et puisque j’ai constaté que vous étiez quelqu’un de finalement très sympathique, malgré les apparences, j’espère que j’aurai l’occasion de vous interviewer de nouveau.

mardi 2 août 2016

Au nom de quoi de Dorian Meune

 Abigaëlle, Philippe, Sofiane, Bastien, Léopold.
Margot, Daphné, Théo, Lucas, et Romane.
Le 13 novembre 2015, tous verront leur vie basculer au Bataclan.

Depuis trois ans je chercher un livre qui me fera à nouveau pleurer. Un livre que je refermerai en priant pour que ça se termine autrement. Un livre que je lirai d’une traite parce que je ne peux pas m’arrêter au milieu de l’histoire.
Ce n’est pas ce livre-là. Pas encore.
C’est vrai, j’ai pleuré et je l’ai lu d’une traite, et pourtant je l’ai commencé un peu tard le soir… Mais ce livre n’est pas parfait. Oui, j’ai pleuré, mais facile de faire pleurer avec ce sujet-là (surtout moi). Et il se lit d’une traite, je pense à cause de sa construction. Si je m’étais arrêtée avant de dormir, je me serais embrouillée dans les personnages le lendemain. C’est simplement un livre qu’il faut acheter et lire. D’une part, parce que la moitié des bénéfices sont reversés à une association qui œuvre en faveur des victimes du terrorisme, donc vous ferez une bonne action. Ensuite, c’est un livre autoédité, et il faut donner aux bons livres autoédités leur juste place. Et en plus, c’est un beau livre

Je vais commencer par les défauts, parce que finir par les qualités sera plus marquant. J’y ai trouvé quelques défauts, en effet, mais parce que je suis une râleuse professionnelle et je suis extrêmement difficile en livres, et que c’est extrêmement rare que je me plonge dans l’histoire à un tel point que j’en oublie la forme. Le jour où ça arrivera… justement, je l’aurai trouvé, mon livre qui fait pleurer, que je lis d’une traite et dont je regrette la fin. J’en ai quelques-uns, mais très, très peu.
J’ai noté quelques fautes de style, mais bon, ça arrive à tout le monde. Enfin, je ne les ai pas « notées », mais je les ai remarquées. Rien de bien dérangeant. Il y a aussi quelques fautes de frappe et il faut avouer que ça m’arrange parce que je paranoïaquais avec mon propre livre à cause des coquilles.
Le plus gros défaut d’écriture, à mon sens, c’est le fait que l’auteur a clairement essayé de changer de niveau de langue selon les personnages. Il y a l’adolescente, le petit garçon de huit ans, l’hôtesse de caisse, l’étudiant homosexuel, le rockeur… et bien sûr, ces personnes ne parlent pas toutes de la même façon. Comme on suit la journée de chaque personnage au point de vue interne, il est logique que le langage change… malheureusement, c’est raté, parce que c’est le même style, celui de l’auteur, qui reste finalement le même pour tout le monde, à part quelques mots caractéristiques qu’il a cru suffisant pour différencier les dix personnages. Bref, une bonne idée laissée en suspens. Ce défaut m’a particulièrement frappé dans la dernière partie : le petit garçon de huit ans fait une tirade très émouvante… mais il parle comme s’il avait vingt ans. Et encore, j’ai plus de vingt ans mais je ne parle pas comme ça à l’oral.

Malgré tout, Au nom de quoi reste un très bon livre. On peut craindre un auteur qui prend ce genre de thème, mais il le fait bien. La construction est très intéressante. On suit dix personnages, ce qui m’a fait peur au début, je pensais qu’il y en aurait trop, qu’on finirait par s’embrouiller. Mais chaque personnage a trois chapitres : Avant, Pendant, et Après. Avant, on les voit acheter leur billet pour le concert, faire le mur parce que les parents ont interdit d’y aller, s’enthousiasmer ou même pleurer de joie. La première partie est très grinçante étant donné que, vu le sujet, on sait tous ce qui va se passer ensuite. On anticipe déjà quelles vont être les réactions de ceux qui ont voulu interdire à leur fille de sortir, ou ceux qui ont offert ces places en cadeau d’un événement important. La deuxième partie raconte le concert, et la fusillade qui semble arriver un peu vite lors du premier témoignage, mais on découvre une profondeur réelle à tous ces personnages et le travail de l’auteur est particulièrement bien accompli. Chaque personnage montre des réactions très humaines et pourtant toujours différentes les unes des autres. Certains des personnages du roman se croisent pendant leur fuite, façon de montrer que « la foule qui crie, fuit et tombe » n’est pas une foule, justement : les « autres » qui ne sont que des « autres » du point de vue individuel d’un personnage. Mais quand on lit l’ensemble, on met des visages sur ces « autres ». Quelque chose qui manquerait ? Peut-être : le point de vue du premier qui meurt, le premier touché. Parce que les premiers morts, rien à faire, ce seront toujours « les autres. »
La troisième partie raconte la suite… les conséquences pour ceux qui survivent, les réactions de la famille pour ceux qui meurent. Et c’est une partie difficile, mais belle. Qui a réussi à changer mon point de vue sur les divers rassemblements pour mettre des bougies.


Je ne pense pas qu’il soit possible de détester lire ce livre. Je pense que c’est un livre que vous pouvez tous acheter, et tous lire, parce que ça en vaut la peine (même maintenant que j’ai mis en avant tous les défauts !) Alors, je le dis : lisez Au nom de quoi, sauf si vous n’êtes pas très réceptif à ce genre de choses…