Bonjour et bonne année à tous !
Nos analyses des personnages
principaux de la série est terminée ! Si vous ne les avez pas encore lus,
voilà les liens vers les articles sur : Buffy, Faith et Kendra ; les grands méchants (partie 1) ; les grandsméchants (partie 2) ; Angel et Spike. Les deux prochains
articles s’intéresseront à deux saisons dans leur globalité. Et aujourd’hui,
pour commencer, nous allons nous intéresser à une saison qui est loin d’être la
préférée des fans… et même si, moi-même, je ne l’avais pas beaucoup aimée en
découvrant la série à l’adolescence, en la revoyant aujourd’hui, je la trouve
très intéressante en de nombreux points.
Alors, c’est parti pour une
analyse philosophique de la saison 4 de Buffy contre les vampires !
Buffy et Riley |
Comme d’habitude, pour ceux
qui ne connaîtraient pas, ou ceux qui n’ont pas revu la série depuis longtemps.
Buffy arrive à l’université de Sunnydale avec Willow et Oz. Le lycée de
Sunnydale a été détruit lors de la remise des diplômes précédente, Angel est
parti vivre à Los Angeles, Buffy se retrouve seule avec une colocataire
désagréable, loin de sa mère et de son Observateur, et peine à s’intégrer à la
vie universitaire. Malgré son profil très peu scolaire, deux personnes vont
croire en ses capacités et l’encourager à progresser : son professeur de
psychologie, Maggie Walsh, et l’assistant de cette dernière, Riley Finn. Peu à
peu, Buffy se rapproche du mystérieux Riley et découvre qu’il fait partie d’une
organisation militaire secrète, dirigée par Maggie Walsh, et qui combat les
démons. Ils ont, entre autres, capturé Spike et lui ont implanté dans le
cerveau un puce qui l’empêche d’attaquer les humains. Mais la curiosité de
Buffy dérange vite les projets du professeur Walsh, qui utilise les démons pour
construire un être hybride (à la manière du monstre de Frankenstein). Elle
tente de tuer Buffy, qui survit ; Riley se fâche contre Walsh. Juste après
ces évènements, celle-ci est assassinée par Adam, la créature mi-homme,
mi-démon, mi-machine qui s’est réveillée et enfuie. Buffy et son groupe vont
donc devoir l’éliminer, mais il est bien plus puissant que leurs ennemis
précédents, grâce à sa nature hybride. Par ailleurs, on découvre que Riley et
les autres étudiants appartenant à l’Initiative sont eux aussi équipés d’une
puce qui les rend dociles à leur chef, autrefois Walsh, à présent Adam. Pour
réussir à vaincre cette créature puissante comme un homme, un démon et une
machine réunis, Buffy fusionne avec ses amis Willow, Alex et Giles, et devient
enfin plus puissante que le monstrueux Adam.
Cette saison introduit dans
l’univers un élément qui n’était pas évoqué avant, et rattache mieux l’univers
de Buffy à notre propre monde : la science. Une petite référence aux
dangers de la technologie était brièvement apparue dans la première saison,
quand Willow tombe amoureuse du garçon avec qui elle discute sur Internet, sans
même l’avoir rencontré. Mais cet épisode visait à mettre en avant une
problématique propre à l’adolescence et à l’usage des messageries Internet.
Cette fois-ci, c’est la science en tant que discipline adulte qui est
interrogée. N’oublions pas que cette saison marque un tournant : Buffy a
quitté le lycée et l’adolescence. Elle entre dans le monde des adultes, et ce
sont leurs problèmes à eux, les problèmes de l’être humain en général, qui
seront symbolisés par les monstres à affronter. Dans l’affrontement entre Buffy
et l’Initiative, il y a donc un affrontement sous-jacent, entre la science et
la magie. Le don divin de Buffy rencontre la technologie la plus poussée. Et
pourtant, Buffy et L’Initiative ont, dans un premier temps, un objectif
commun : combattre les démons. Quels sont les liens entre science et
magie ? En quoi sont-elles opposés ? Pourquoi l’Initiative
prendra-elle le rôle de l’antagoniste ? Ce dernier point pourrait sembler
contre-intuitif : la magie, la superstition et, pourquoi pas, la religion,
semblent primitives et erronées, alors que nous voyons la science comme la
modernité, plus proche de la vérité. Ce sont ces questions que nous allons
aborder dans cet article consacré à la saison 4 de Buffy contre les vampires.
En général, on considère la
magie comme irrationnelle, au même titre que les croyances en des créatures
surnaturelles ou des superstitions. Comment peut-on rationnellement croire
qu’en prononçant une formule magique, je pourrais faire apparaître des choses
qui sont absentes ? Ou défier, par le simple pouvoir de mes mots et de ma
pensée, la gravitation en faisant voler des objets ? N’est-il pas
contraire à la raison de croire que chaque élément du monde est gouverné par
des esprits, que les arbres, les fleurs, les pierres auraient une volonté
propre et que l’on pourrait comprendre ou influencer ? Pourtant, dans
cette façon sans doute délirante de considérer le monde qui nous entoure, la
magie de rapproche de la méthode scientifique en plusieurs points. D’abord, le
magicien suppose qu’il y a des forces à l’ordre dans la nature, un monde caché
derrière les apparences. Je ne vois qu’un arbre là où se cache un esprit, je
crois à une coïncidence là où il y a véritablement un lien de cause à effet.
Effectivement, c’est là une autre croyance qu’a le magicien : les mêmes
causes produiront toujours les mêmes effets. La même formule magique produira
toujours la même chose. Autrement dit, le magicien pense, comme le
scientifique, qu’il n’y a pas de hasard dans la nature. Enfin, ces mondes cachés
derrière les apparences, ces forces qui régissent le monde, le magicien croit
aussi pouvoir les connaître, les influencer, les contrôler. Et c’est bien ce
que fera la science.
![]() |
Maggie Walsh, professeur de psychologie et chef de l'Initiative |
Ainsi, tout comme Buffy et
l’Initiative, la magie et la science ont un objectif commun, ou plutôt
deux : construire une représentation du monde régi par les lois, et
d’autre part agir sur le monde, pour ne plus le craindre, pour qu’il soit moins
dangereux. Nous reconnaissons ici pleinement les objectifs de
l’Initiative : connaître les démons, ce pour quoi ils ont des laboratoires
et font des expériences ; éliminer les démons ou du moins les rendre
inoffensifs, pour rendre le monde moins dangereux. La science, en effet, en
connaissant et prévoyant, par exemple, les phénomènes météorologiques, comme
les tempêtes, les risques d’inondation, les baisses soudaines de température,
permet de s’y préparer et de ne plus les craindre inutilement. De la même
façon, l’entraînement de Buffy tient compte à la fois de l’action, dans ses
entraînements physiques, et de la connaissance, qu’elle obtient notamment par
Giles, quelquefois par Angel.
Mais la science, si elle a
avant tout comme but de connaître et d’expliquer la nature, si son objectif
premier devrait être la vérité, nous l’associons davantage, aujourd’hui, au
progrès technique. Qu’appelons-nous science, dans le langage courant ? En
premier lieu, nous pensons plutôt au progrès technique, à la technologie ou à
la médecine. La science est devenue pour nous la technique scientifique.
Pour le mathématicien et logicien Bertrand Russell, c’est une dérive de la
science moderne que nous pouvons regretter. Dans Science et Religion, il
dénonce le fait que la plupart du temps, la science ne se préoccupe plus de la
connaissance pure, mais de l’efficacité technique. D’ailleurs, si une
connaissance est inexacte, mais permet d’avoir des résultats efficaces, cela
suffit à la science. Une scène de l’épisode 13 de la saison présente Buffy dans
les rangs des soldats de l’Initiative. Alors que Maggie Walsh leur a demandé de
neutraliser et rapporter un démon nouvellement arrivé en ville, Buffy pose
énormément de questions pour savoir de quelle sorte de démon il s’agit, quelles
sont ses habitudes, pourquoi il est ici… questions qui agacent les soldats et
le professeur Walsh elle-même, puisque leur seul objectif est l’efficacité de
l’action, et non une véritable connaissance, en profondeur, des démons.
Et ainsi, l’Initiative est non
seulement moins efficace que Buffy, mais elle deviendra même l’antagoniste de
la saison, et Adam, en partie machine, en partie technologie, est l’ennemi
principal. On peut facilement comprendre que l’Initiative représente un mauvais
usage fait de la science et de la technique. Mais en quoi s’oppose-t-elle à la
magie, incarnée par Buffy, qui serait alors la « bonne » façon
d’appréhender le monde ? Au-delà de la magie, nous pouvons considérer que
Buffy représente la nature. Elle n’utilise aucune technologie, ni de
« magie » au sens au nous l’avons définie plus haut (c’est Willow qui
sera la sorcière de la série, et non Buffy). Si sa force physique lui a été
donnée, elle semble cependant lui être naturelle. Elle ne combat avec
rien d’autre que ses propres capacités et un pieu en bois. C’est donc la
classique opposition entre nature et technique qui réapparaît dans cette
saison. La technique veut imiter la nature ; plus encore, la technique
veut surpasser la nature, en la contrôlant. La nature est l’œuvre de Dieu, la
technique est l’œuvre des hommes : en voulant surpasser la nature, l’homme
se prend pour un Dieu. C’est un excès qu’on appelait, en Grèce antique, hybris,
et qui était puni des pires sévices (il en existe de nombreux exemples dans la
mythologie gréco-romaine.)
Tel est bien ce que fait
Maggie Walsh en essayant de créer la vie, Adam, comme le docteur Frankenstein
dans l’œuvre bien connue. Elle le paiera de sa vie. J’ai déjà parlé de ce que
représentait Adam dans l’article sur les grands méchants de chaque saison(partie 2). Si la question de la technique vous intéresse, j’en ai également
déjà parlé dans cet article sur Le Livre de la Jungle de Disney.
Technique et hybris sont également des thèmes fréquents dans la pop
culture contemporaine, et j’en parle aussi largement dans mes deux livres Il
en faut peut pour philosopher (sur Disney), Death Note : la
philosophie de Kira et Philosophe Pikachu Je vous laissez donc le
soin d’aller voir ces références pour la question de la technique. L’objet de
cet article était plutôt l’opposition entre science et magie.
J’espère que grâce à cette
analyse, vous prendrez plus de plaisir à revoir la saison 4, qui a, comme
j’espère l’avoir montré, de grandes qualités. Le personnage de Riley, mal aimé
lui aussi, est pourtant tout aussi intéressant que son contexte
d’apparition : c’est le seul petit ami humain de Buffy, et sera vite
confronté aux préjugés et aux clichés d’un homme plus faible que sa femme.
C’est aussi la saison où Willow rencontre Tara, où Giles quitte son rôle de
« père spirituel » pour se découvrir une vie privée, ce qui ne manquera
pas de choquer Buffy. Cette saison affronte les lieux communs, les préjugés et
les clichés de la vie quotidienne. Le méchant n’est plus un simple monstre, il
est en partie humain, et est créés par les êtres humains eux-mêmes.
Le mois prochain, nous nous
pencherons sur une autre saison. D’ici là, profitez bien de votre temps libre
pour, pourquoi pas, revoir quelques épisodes de notre série préférée !
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