Pour ce premier article d’une
série d’analyses de la série Buffy contre les vampires, nous allons nous
intéresser au personnage principal et à sa fonction : Buffy, la tueuse de
vampire. Commençons par résumer le contexte de la série.
Nous sommes dans notre monde, pour la plupart des gens. Car, cachés dans l’ombre et la nuit, se trouvent vampires, démons, sorciers, et autres créatures maléfiques qui essaient de dominer ou détruire le monde. Pour lutter contre ces créatures – et cacher leur existence au mieux – une élue est choisie, une fille, qui sera dotée des pouvoirs d’un démon (vitesse, force, réflexes…) pour les combattre. Cette élue est appelée la Tueuse, elle est entraînée et guidée par un Observateur, nommé par le Conseil, qui lutte contre les démons. Le travail de la Tueuse est discret, mais extrêmement dangereux. De fait, peu de Tueuses dépassent les 25 ans. Pour les meilleures, qui atteindront leurs 18 ans, un test mortel leur sera imposé.
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Buffy & Kendra |
Kendra et Faith, les deux autres Tueuses, vont successivement rejoindre Buffy dans son combat, et illustrer les deux écueils opposés dans lesquels Buffy ne doit pas tomber si elle veut survivre : car ni Kendra (qui meurt) ni Faith (qui finit dans le coma) ne seront à la hauteur dans le rôle de Tueuse. L’une et l’autre ont un rapport opposé à l’autorité. Pour Kendra, la mission de Tueuse est un devoir sacré, absolu, divin, qui doit passer avant tout : elle ne comprend pas la tendance qu’a Buffy à vouloir passer du temps avec ses amis, ou tout simplement le fait qu’elle ait des amis. Pour Faith, la force qu’elle a obtenue en étant une Tueuse la place au-dessus de tous, et au-dessus de toute forme d’autorité : ce qu’elle reproche à Buffy, c’est sa fidélité et son respect envers son Observateur, qui lui donne des ordres. Entre une Kendra trop soumise, et une Faith trop rebelle, Buffy incarne le juste milieu dans le respect à l’autorité : elle reconnait l’importance de son Observateur et de sa mission, mais continue à vivre sa vie à côté.
Commençons par présenter ces deux Tueuses. Dans le monde, il n’y a qu’une seule Tueuse : pour qu’une nouvelle Tueuse apparaisse, il faut que celle qui existe meure. Buffy a donc dû mourir pour qu’apparaissent Kendra, la deuxième Tueuse de vampire. Cela se passe dans le dernier épisode de la première saison : alors qu’elle combat le Maître, grand méchant de la saison, elle perd connaissance, tombe la tête dans l’eau et se noie. Or, pour la première fois, ses amis vont avoir une importance capitale pour la tenir en vie, puisque ce sont eux qui vont la trouver à temps et la réanimer. Morte quelques secondes seulement, Buffy n’est plus la seule Tueuse : Kendra a été appelée. Malheureusement pour elle, en aidant Buffy à arrêter Angel dans la saison 2, elle va se faire tuer : pour remplacer Kendra, c’est donc au tour de Faith d’être élue.
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Buffy & Faith |
Cette idée de « juste
milieu », parfaitement incarnée par Buffy, et dont je me sers ici, est
empruntée à Aristote, dans L’Ethique à Nicomaque, lorsqu’il essaie de
définir la vertu. La vertu, par définition, s’oppose au vice : vertueux
est celui qui ne tombe pas dans le vice. Or, pour Aristote, il y a deux façons
de tomber dans le vice : soit en faisant preuve d’excès, soit
d’insuffisance (il y aura donc deux sortes de vices : le vice par excès et
le vice par défaut). La vertu consistera alors en ce juste milieu entre le défaut
et l’excès, entre le « pas assez » et le « trop ». Cela
vaut pour toute les qualités. Prenons quelques exemples : quels sont les
vices associés aux principales vertus ?
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Le courage est une vertu : il consiste à
savoir à quel moment il convient d’agir, malgré les risques. Il s’oppose à la
lâcheté (vice par défaut) où l’on a toujours peur d’agir, et à la témérité
(vice par excès) où on plonge tête baissée dans le danger.
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La générosité est une vertu : donner à ceux
qui en ont besoin. Elle se distingue de la radinerie (ne jamais rien donner) et
à la prodigalité (toujours tout donner à tout le monde, au risque de ne rien
garder pour soit)
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La magnanimité, dont le sens est différent chez
Aristote, est la vertu qui consiste à avoir conscience de sa valeur et de ses
capacités, contrairement à la modestie (oui, c’est un vice pour Aristote !
un vice par défaut) où l’on se met toujours en retrait et où on nie ce dont on
est capable ; contrairement aussi à l’orgueil (vice par excès), où l’on
s’imagine supérieur à ce que l’on est
Tel serait donc le trio du
rapport à l’autorité chez Aristote, illustré par nos trois Tueuses : la
vertu (Buffy), consiste à reconnaître l’autorité tout en s’y soumettant lorsque
c’est légitime ; le vice par défaut (Faith), serait le fait de ne jamais
reconnaître la moindre autorité ; le vice par excès (Kendra) est pour
celui qui se soumet continuellement et sans réfléchir à l’autorité qui le
commande. Au travers de ces trois visages de Tueuses, la série prend une
position aristotélicienne sur la vertu : bien agir, c’est être modéré,
resté dans le juste milieu. Plus notre comportement est extrême, plus nous
agissons mal. Les dangers dus à l’un et l’autre vice sont également présentés.
Le vice par excès risque de nous détruire : Kendra meurt, ce qui
arriverait certainement aussi au téméraire (qui prend tous les risques sans
réfléchir) ou au prodigue (qui donne tout et n’aura plus rien). Le vice par
défaut mène à faire du mal aux autres : Faith se tournera du côté des
démons, ce que ferait probablement un lâche ou un radin (pour se protéger).
Un retour à cette conception
aristotélicienne de la vertu est d’autant plus intéressant que le juste milieu
n’est plus, aujourd’hui, ce qui attire le plus. Nous admirons secrètement ceux
qui n’ont pas peur du sacrifice, la richesse ou les qualités exceptionnelles,
tout en louant publiquement la modestie, la mise en retrait, le calme. Le juste
milieu serait pour l’individu lambda, qui ne prend jamais vraiment position.
Cela vient de deux courants de pensée qui ont suivi (et remplacé) celui
d’Aristote : les valeurs chrétiennes ont placé le vice par défaut au rang
de vertu (heureux sera celui qui vit dans la pauvreté, l’humilité et le
retrait) ; Nietzsche, par opposition aux valeurs chrétiennes, fait l’éloge
du vice par excès (il faut être un être exceptionnel pour être téméraire et
orgueilleux).
C’est terminé pour aujourd’hui !
Si l’article vous a plu, retrouvez l'article suivant ici : Les méchants de Buffy : où est le vrai danger ? (1)
L'ensemble des articles peut être retrouvé sur ce lien : Buffy contre les vampires (analyses)
Cet article a été repris pour le podcast « Geekosophie magazine » sur les plateformes d’écoute (Spotify, Deezer...) et sur YouTube à cette adresse : Geekosophie Magazine
J'adore buffy et j'ai trouvé ça super intéressant ! Merci 😉
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