lundi 23 octobre 2017

Conseils de lecture pour Terminales

J’ai vu plusieurs fois, sur des groupes de lectures, des lycéens de Terminale (ou des parents inquiets !) demander des conseils de lectures « classiques » pour agrandir la culture littéraire pour le bac. Plutôt que de répondre à chaque fois individuellement, je pense qu’il sera plus utile de faire directement un article. Pour ce qui est du programme de Terminale L en littérature, je ne connais pas assez bien les œuvres au programme pour donner des conseils de lecture pertinents. En revanche, je vais faire une liste de livres qu’il est important d’avoir lus, et qui peuvent également être utilisés en philosophie, pour faire d’une pierre deux coups. J’ai déjà parlé de certains d’être eux – je mettrai donc les liens vers mes autres articles. Evidemment, ce n’est pas une liste exhaustive, et j’en referai peut-être une autre plus tard, si j’ai d’autres idées. Je vais d’ailleurs essayer de me limiter et de ne pas en mettre trop pour le moment, et ne pas vous surcharger de lectures dès le premier article.

• Le grand classique incontournable et mal compris : Les Fables de La Fontaine.

L’avantage, c’est que vous en connaissez d’jà la plupart. Le problème, c’est qu’elles sont en général mal connues (parce que comme le dit Hegel « Le bien connu, justement parce qu’il est bien connu, est mal connu. ») Ce que vous connaissez des fables est souvent flou, ou souvent mal interprété. Je vais en citer quelques-unes que je vous invite à relire, parce qu’elles permettent souvent de donner d’excellents exemples à des thèses philosophiques, des exemples qui seront en plus très appréciés puisqu’ils sont littéraires. Cependant, gardez en tête que les fables de La Fontaine sont ironiques : il faut donc, la plupart du temps, comprendre l’inverse de ce qui est présenté, et ce n’est que de cette façon que vous percevrez le sens véritable de la fable.
Evidemment, c’est dur de toutes les connaître, et rassurez-vous, je ne les ai pas toutes lues moi non plus. Mais de temps en temps, j’aime bien en regarder une ou deux nouvelles.
               - Pour la justice (ou plutôt l’injustice) : « Les animaux malades de la peste » ou « Le loup et l’agneau »
- Pour la morale et le devoir : « Le cheval et l’âne » (Sur lequel j’ai fait un article ici : Le texte de la semaine #5)
            - Pour la politique : « Le dragon à plusieurs têtes et le dragon à plusieurs queues », « Les grenouilles qui demandent un roi »
            - Pour la liberté : « Le loup et le chien », « Le chêne et le roseau »
            - Pour la vérité : « Le laboureur et ses enfants »
            - Pour l’existence et le temps : « La Mort et le malheureux »

Si vous avez des questions concernant les liens entre certaines fables et la notion au programme, posez vos questions en commentaire.

• Les pièces de théâtre

Outre les fables, les textes qui peuvent vraiment vous être utiles sont les pièces de théâtre, qui mettent souvent en scène des enjeux de la vie pratique, qu’elle soit individuelle ou politique. Voilà une petite liste.
              - Pour la politique : Les mains sales de Sartre (dont vous trouverez un commentaire ici : Le texte de la semaine #1), Antigone de Sophocle
              - Pour la justice : Les Euménides d’Eschyle (dont j’ai parlé ici : Le texte de la semaine #2)
-   Pour le désir : Phèdre de Racine
-   Pour autrui : Huis clos de Sartre

            • Les romans

Enfin, j’y arrive, ces énormes pavés que vous allez devoir lire. Mais certains se lisent très bien, alors pas de panique les enfants. Voilà ma liste :
              - Pour le désir : Notre-Dame de Paris de Victor Hugo (que je spoile méchamment ici : Le texte de la semaine #3), Manon Lescaut de l’Abbé Prévost
              - Pour l’existence et le temps : Tous les hommes sont mortels de Simone de Beauvoir (tout est là : Tous les hommes sont mortels... et Algernon aussi), La nausée de Sartre
              - Pour le bonheur : Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes (même article que pour Simone de Beauvoir : Tous les hommes sont mortels... et Algernon aussi)
              - Pour la morale : Crime et châtiment de Dostoïevski
- Pour la technique : Frankenstein de Mary Shelley
              - 1984 de George Orwell. Oui je le mets à part. Sinon il faudrait le mettre dans toutes les catégories parce qu’il y a d’excellents passages pour la politique, l’histoire, le langage, le devoir, la liberté, le désir… Bref, il faut le lire. Avant-goût ici : Le texte de la semaine #4

Les « à ne pas citer au bac »

Et je vais finir, quand même, par vous donner des idées de lecture plus « adolescentes », que vous ne pourrez pas citer directement au bac, mais qui pourrons vous faire réfléchir. Et même si vous ne pouvez pas les citer directement, vous pouvez toujours en reprendre les idées comme si vous étiez en train de faire une expérience de pensée que vous imaginez vous-mêmes. Bon, je place discrètement les miens au milieu, mais à quoi bon écrire des romans philosophiques si je ne peux même pas en parler…
              - Pour l’identité personnelle et matière et esprit : Habeas Corpus de Victor Boissel
              - Pour l’art : Clara et la pénombre de Somoza
             - Pour le bonheur : Le Passeur de Lois Lowry, Everything, everything de Nicola Yoon, Si la parole était d’or de Caroline Giraud
              - Pour la liberté : Divergente de Veronica Ross, Masques de Caroline Giraud
              - Pour la morale : Le liseur de Bernhard Schlink
              - Pour la politique : La loi de Gaia de Caroline Giraud
              - Les généralistes : Harry Potter à l’école de la philosophie de Marianna Chaillan (qui est une prof de lycée, et s’efforce vraiment d’y insérer le programme de Terminale, beaucoup de références très classiques, très bon livre donc pour les fans), Star Wars : la philo contre-attaque, Gilles Vervisch, Il en faut peu pour philosopher, Caroline Giraud (si vous n'avez pas reconnu la chanson en titre, c'est sur Disney), Death Note, la philosophie de Kira, Caroline Giraud


mardi 17 octobre 2017

Mes 10 livres préférés


Puisque plusieurs blogueurs, pour qu’on les connaissent un peu mieux, ont pris le temps de présenter les 10 livres qui ne les quittent jamais, à mon tour, je vais donner mes dix livres préférés (mon « Top 10 » même, puisqu’ils seront dans l’ordre), comme ça vous me connaîtrez mieux en tant que lectrice. Philo et littérature sont mélangées, il s’agit de livres que je pourrai relire indéfiniment sans jamais me lasser.
Je vais essayer de me forcer à mettre 10 auteurs différents, sinon il risque d’y avoir l’intégral de Racine... Alors, c'est parti !



N°10 : La dame aux camélias, Dumas fils

Un choix un peu surprenant, et qui a été difficile. J’ai longuement hésité à le mettre dans mon Top 10 étant donné que j’ai un très lointain souvenir de ce livre et que je serais complètement incapable de le résumé. Mais il a quelque chose de symbolique pour moi, parce que c’est le premier long roman de littérature française que j’ai lu, au collège, emprunté à la bibliothèque municipale. Et c’est le roman qui m’a donné le goût pour la littérature classique, et plus précisément la littérature du XIXème siècle. Et j’ai fait de nombreuses découvertes merveilleuses à la suite, notamment Le Rouge et le Noir.

N°9 : Le roman inachevé, Aragon

Encore un livre pour lequel j’ai peu de souvenirs, mais c’est un recueil de poèmes, et le seul que je mettrai dans ce classement. Je me souviens malgré tout que, chaque soir, dans le métro, je lisais quelques poèmes, ils étaient beaux, et quand je rentrais, je recopiais des vers dans le carnet où je notais mes citations préférées. Il y en a même un que j’ai presque recopié en entier. Et puis, Aragon, c’est de loin mon poète préféré. C’est d’ailleurs bien en référence à lui que l’amoureux d’Emilie s’appelle Louis dans Si la parole était d’or. Parce qu’elle est comme moi, Emilie n’aime personne plus que la littérature.

N°8 : Les liaisons dangereuses, Laclos

Enfin un livre dont je me souviens ! Et plus que bien, puisque c’était mon livre au programme du bac lors de mon année de Terminale L. Jamais je n’avais lu un livre aussi bien écrit : le changement radical de style lorsque l’on passe d’un personnage à l’autre m’avait époustouflée, et je me demande si ce n’est pas en fin de compte grâce à ce roman qu’à présent, je m’efforce autant que possible de changer mon style d’un texte à l’autre (peut-être est-ce d’ailleurs pour cela que je transforme radicalement mon écriture dans La Loi de Gaia, entre Sarah et Kagan.)

N°7 : L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine, Ruwen Ogien

D’abord, RIP au merveilleux Ruwen Ogien, décédé très récemment, en mai 2017. Je rêvais de le rencontrer, ça n’arrivera pas, mais son livre reste celui que je prends le plus de plaisir à citer en cours. Quel est le rapport entre les croissants et la morale ? Je ne vais pas dévoiler, ce livre mérite d’être lu, il est extrêmement simple, et extrêmement amusant. C’est une suite d’expériences de pensées, ou d’expériences tout court, faites pour essayer de comprendre ce que l’on considère comme bien ou mal, et ce qui nous pousse, en général, à faire le bien.

N°6 : Des fleurs pour Algernon, Daniel Keyes

Je l’ai lu très récemment, et j’ai fait un article ici : Tous les hommes sont mortels... et Algernon aussiMais ce fut quand même un énorme « coup de cœur », comme on dit aujourd’hui. La façon dont l’auteur montre les limites humaines, la faiblesse des plus grands savants, mais aussi à quel point la société est capable de mettre de côté tous ceux qui sont jugés « anormaux », en ne les considérant même plus comme des personnes, est tout simplement incroyable.



N°5 : Les mains sales, Sartre

A nouveau un livre dont j’ai déjà parlé, mais cette fois dans le cadre de la préparation au bac, que vous retrouverez ici : Le texte de la semaine # 1 C’est une pièce de théâtre, qui se demande jusqu’où un groupe qui se pense juste est prêt à aller pour imposer sa justice au reste de la société. Sartre interroge le lien entre la fin et les moyens, mais aussi le dilemme face auquel se trouve la politique, qui doit être efficace tout en restant fidèle à ses idéaux de justice et de paix. Mais par-delà la réflexion politique, c’est la relation entre Hoederer et Jessica que je garde en tête, et la façon dont elle se termine.

N°4 : Entre chiens et loups, Mallorie Blackman

Alors… Que vais-je bien pouvoir dire ? On arrive vraiment dans les livres qui me font perdre mes mots… ou qui me plongent dans une logorrhée. C’est l’histoire qui est restée profondément gravée dans ma tête jusqu’à ce que j’écrive La Loi de Gaia, que Mallorie Blackman a fortement influencée. Après tout, nul besoin d’en parler à nouveau, puisque j’ai déjà dit ici tout ce que j’en pensais : Entre chiens et loupsJe pleure rarement en lisant un livre – beaucoup plus devant les films, j’ai besoin de la musique. Mais devant celui-là, j’ai pleuré. Je ne me suis pas arrêtée de pleurer. Jusqu’à ce que je m’endorme. Parce que je l’ai commencé un soir à 20h, et que je l’ai fini à 4h du matin.

N°3 : Propos sur le bonheur, Alain

Un livre de philo dans mon Top 3, qui sera complété par une pièce et de théâtre et un roman ; comme ça, vous voyez à quel point j’aime la diversité, et pas un seul type de texte. C’est pour ce livre que j’ai écrit Si la parole était d’or, comme je l’ai rappelé dans cet article : Les Propos sur le bonheurC’est le livre qu’il faut lire quand ça va mal, parce qu’il rend le sourire (contrairement à la bouse qui circule actuellement et qui répète la même chose mais en moins profond et en moins bien écrit mais je suis dans mon top 10 alors je ne parle pas des livres que je n’aime pas.) C’est le livre que je conseille aux débutants, ou à ceux qui sont tristes : parce qu’être heureux n’est pas facile, mais qu’il faut en faire le choix.

N°2 : Andromaque,  Racine

Racine ♥…. comme promis, j’ai réussi à ne le mettre qu’une fois, et il a fallu que je choisisse ma pièce préféré. Ça n’a pas traîné, de toute façon c’est Andromaque et ça défie toute concurrence… sauf peut-être Bajazet, mais je ne m’en souviens plus, et il faut que je le relise. Andromaque… c’est beau, c’est bien écrit, c’est triste, c’est une suite de citations « cultes » - si on peut les appeler comme ça. C’est un duo de personnages terribles, entre l’amoureux qui est bon mais ira jusqu’au meurtre pour une femme qu’il n’aura jamais, et la folle furieuse prête à toutes les atrocités pour se venger d’un homme dont elle regrettera la mort au point de se tuer. Voilà. C’est tout. Il n’y a rien à dire, il faut le lire.

N°1 : 1984, Orwell

Et pour finir… *roulement de tambours* je vous renvoie à l’article dans lequel j’avais déjà évoqué 1984, à nouveau pour les révisions du bac : Le texte de la semaine # 41984… comment dire… c’est le livre le plus parfait que j’ai jamais lu. Il dépasse tout sur tous les domaines : du point de vue littéraire (tellement bien écrit !), historique (l’analyse des différentes formes de dictatures jusqu’au totalitarisme), philosophique (le langage, l’histoire, le désir, et cette splendide scène finale sur la torture, tout y passe), mais aussi du point de vue du suspense, parce que c’est d’abord un roman qu’on ne peut lâcher avant la fin. Le livre parfait, et qui restera bientôt très haut, au-dessus de tout ce que je serai capable de lire ou d’écrire. 

dimanche 15 octobre 2017

Contre la mode de l’originalité : défense de la forme contre le fond

Après m’être, il y a plusieurs mois, opposée à la mode du « commentaire constructif » des lecteurs, article que vous pouvez retrouver ici, j’espère à présent faire réfléchir sur une autre mode, le maître tout-puissant du commerce littéraire des dernières années, le tyran face auquel aucun résistant ne peut venir s’opposer… « L’originalité. » L’originalité semble être le nouveau critère du « bon livre » : ce n’est plus forcément le livre bien écrit, ni le livre le plus vendu, non, le bon livre est le livre original.

Mais de quelle originalité parle-t-on ? Pas l’originalité, évidemment, au sens où la défend Kant. Non, plutôt l’originalité de la « dictature du on » de Heidegger. Que dit Heidegger ?
« Nous nous réjouissons comme on se réjouit ; nous lisons, nous voyons et jugeons de la littérature et de l’art comme on voit et juge ; plus encore nous nous séparons de la « masse » comme on s’en sépare ; nous nous « indignons » de ce dont on s’indigne. »
Ce qui est original, c’est ce qu’on trouve original, ce qui répond aux critères d’originalité du on. Finalement, l’original, c’est ce qu’on attend comme original ; où est alors l’originalité, au sens propre du terme ? En quoi quelque chose qui répond à nos propres critères est-il original ? L’« original » n’est-il pas plutôt ce qui n’a jamais eu de modèle avant ? Ce qui surprend, ce qui innove, ce qui nous apporte un regard neuf sur les choses, de telle façon qu’il bouleverse nos habitudes ? Pourquoi Hunger Games et Divergente sont-ils désignés comme « originaux », alors que de toute évidence, ils reprennent des thèmes déjà très largement abordés dans les autres œuvres ?

Original s’entend désormais comme l’idée d’une intrigue neuve, qui ne ressemble pas à ce qui existe déjà. Quelque chose qui ressemble trop au reste n’est pas original, et n’est, pour certains, pas digne d’intérêt. Ce qui m’étonne plus encore, c’est que ce qui est trop proche de la réalité n’apparaîtra pas non plus comme original. J’ai pu lire un jour : « Ce livre manque d’originalité, il y a une histoire d’amour ! » Ah oui ! Effectivement, il y a des histoires d’amour dans quasiment tous les livres, et dans la vie aussi. En revanche, je remarque que les romans traitant de la maladie (le mien y-compris) sont désignés comme « originaux » ; et pourtant, j’ai l’impression qu’il n’y a rien de plus à la mode que d’écrire sur la maladie.

Ainsi, non seulement ce terme semble bien contradictoire, mais en plus, tournons-nous un peu vers la littérature qui a résisté au temps : est-ce vraiment l’originalité du thème qui a fait leur importance ? La Fontaine a repris toutes les fables antiques ; Flaubert, Balzac et Stendhal, et tout le dix-neuvième, racontent l’amour d’un jeune homme pour une femme mûre ; c’est toujours la même histoire, mais aucun de ces textes ne se ressemble pour autant. Il n’y a rien d’original au sens actuel du terme. Où est l’originalité – car il y en a bien une – de ces textes ? Dans la forme, dans l’écriture, dans la façon d’aborder un sujet bien trop connu, pas dans le thème.

Alors, pourquoi cette quête d’originalité ? J’ai l’impression que c’est une certaine quête d’évasion. Ce n’est d’ailleurs pas une simple impression, mais c’est bien ce qui est associé aujourd’hui à la lecture : s’évader, partir dans une autre monde, et pour cela, il y a bien besoin, effectivement, de nouveaux mondes, de nouvelles sociétés, de personnages exceptionnels. Hunger Games est original parce qu’on s’évade. Mais ce besoin d’évasion, qui peut apparaître en un sens comme un espoir, comblé par le merveilleux pouvoir de la littérature, m’apparaît plutôt comme inquiétant. Même si c’est une activité plaisante, le besoin de s’évader signifie aussi que le monde réel ne suffit plus, et qu’il est relégué au second plan. On se crée un autre monde, lorsque celui-ci n’est plus satisfaisant – de la même façon qu’on imagine un Paradis, pour croire qu’on aura après la mort les jouissances que l’on n’a pas connues dans ce monde-ci. Mais est-ce vraiment le rôle de l’art et de la littérature ? Sont-ils faits pour mettre en évidence la bassesse du monde réel, pour donner une porte de sortie à ceux qui s’y sentent mal, le temps de quelques pages ?

Je préfère défendre d’autres fonctions de la littérature. Et selon ces fonctions, le critère de l’originalité n’a plus lieu d’être.
— La littérature doit permettre de faire voir les choses autrement. Par « les choses », j’entends le monde réel. Les artistes, en particulier les peintres et les poètes, défendent cette vision de l’art. Pour Baudelaire, le poète est un chiffonnier qui, chaque soir, va ramasser ce que les autres ont jeté : ce qui n’intéresse personne, ou ce qui est rejeté comme laid et trivial. Les Fleurs du mal, c’est la tentative de rendre la beauté à ce qui est le plus laid. Pour le peintre Henri Matisse, « rien n’est plus difficile à un vrai peintre que de peindre une rose, parce que, pour le faire, il lui faut d’abord oublier toutes les roses peintes. » Et au contraire, rien n’est plus facile, dans la création d'une l'oeuvre d'art, que d’inventer un univers original : l’originalité, selon mon point de vue et celui de Baudelaire, celui de Matisse, l’originalité sera dans le traitement nouveau d’une chose banale.
— La littérature doit dénoncer une réalité. C’est mon amour pour la poésie engagée qui parle, mais ce n’est pas que dans ce domaine que l’on trouve une dénonciation de la réalité. Pas de nouveau monde, à moins qu’il serve à faire une métaphore de la réalité, et de ce qui dérange dans cette réalité. L’important est alors ce qu’on montre, pas ce qu’on invente : l’originalité est dans le point que l’on veut dénoncer, pas dans l’histoire.


Quand je lis, je ne lis pas une histoire, je lis un livre. Avec une réflexion et une écriture. Moi aussi, comme tout le monde, ça m’arrive de lire de la littérature populaire, même de l’apprécier, mais souvent, les livres que j’apprécie sont ceux qui ont une façon nouvelle de traiter un problème connu. Ou ceux dont la réflexion est originale. C’est pour cette raison que j’ai adoré Clara ou la pénombre de Somoza, que j’ai lu récemment : les dérives possibles de l’art contemporain, ajoutées à une réflexion sur la morale, l’art et le vivant, sur ce qu’il faut accepter et jusqu’à quel point au nom de l’art. 

mercredi 4 octobre 2017

Je ne veux pas vivre de ma plume !

Je vais peut-être briser un mythe, et pourtant : tous les gens qui écrivent ne veulent pas devenir « écrivain ». Non, moi je ne veux pas. Et j’ignore pourquoi, c’est difficile à faire comprendre aux autres, encore plus depuis que mes livres se vendent bien, et que mes nouvelles sont téléchargées par milliers. Alors, depuis quelques mois, je subis la répétition incessante des questions : « pourquoi tu n’essaies pas de trouver un vrai éditeur ? Pourquoi tu ne vends pas tes livres plus chers - parce que, avouons-le, ce n’est pas en vendant 49 ct tes livres que tu vas gagner de l’argent – ? Pourquoi est-ce que tes nouvelles sont gratuites, alors qu’il y a plus de 100 téléchargements par mois ? » et la synthèse de tout ça : « Quand même, quand on fait un travail, il faut être récompensé de ce travail ! »
Eh bien je le suis. Je me bats peut-être pour récupérer des commentaires Amazon, mais même ceux qui n’en mettent pas prennent parfois le temps de me dire qu’il ont aimé, ou que ça les a fait réfléchir, qu’ils se sont reconnus ou ont reconnu le monde dans un de mes textes. C’est ma récompense, et elle vaut largement plus que quelques euros, parce qu’elle reflète ma vraie passion, qui n’est pas du tout l’écriture, qui n’est pas non plus la philosophie : c’est l’enseignement.

Alors oui, effectivement, si j’espérais un jour « vivre de ma plume » :
-          Je chercherais un éditeur (inutile de dire « vrai éditeur » : je n’ai pas un faux éditeur, je n’en ai tout simplement pas du tout.)
-          Je vendrais mes livres à plus de 49 ct.
-          Je ferais payer mes nouvelles.
-          J’écrirais de façon régulière et je sortirai un livre par an toujours à la même date, comme les auteurs de bestseller.

Et d’ailleurs, je demanderais aussi des conseils aux lecteurs pour que ce soit plus vendable et que ça plaise plus. Mais si j’ai fui l’édition traditionnelle, c’est justement à cause de ce critère du « plus vendable » au nom duquel on a voulu me faire supprimer toute la philosophie et tous les exercices de styles faits pour encourager la réflexion. Mais le deuxième problème, c’est d’avoir du mal à faire accepter que l’autoédition puisse être un choix. Mais j’adore l’autoédition ! J’aime faire moi-même mes couvertures, mes goodies, mes marque-pages, mes concours, et j’aime surtout qu’on ne me censure pas la fin de La Loi de Gaia pour que ce soit plus plaisant sans comprendre que cette fin devait faire ressentir le tragique du destin, l’enfermement, et oui, mettre mal-à-l’aise.

Je vais quand même faire une confidence : quand j’avais 10 ans, je voulais être écrivain. Je vais peut-être maintenant vous surprendre, mais entre quand j’avais 10 ans et maintenant, ma perception du monde a un peu changé. A 10 ans j’étais solitaire et toujours dans mon coin. Ecrivain ? Le métier rêvé : toute la journée devant mon ordinateur, dans une pièce, enfermée, là où je serais seule avec mes personnages. A présent, quand j’imagine ce tableau, l’angoisse se lit dans mes yeux : je ne supporte pas d’être toute seule chez moi, j’ai besoin de voir des gens, d’être devant un public, même un public qui ne m’écoute pas comme mes élèves (qui sont merveilleux et que j’adore et qui ne doivent surtout pas changer, bisous !). J’aurais pu être comédienne, avocate, flic, pompier, n’importe quoi du moment que je suis au contact des autres. Mais surtout prof : parce que c’est là que je me sens utile. En étant avocate aussi je me serais sans doute sentie utile, et c’est un métier que j’aurais adoré. Pompier, comme mon super petit frère, aussi. Mais, par pitié, pas écrivain ! Alors s’il vous plait, arrêtez de me donner des conseils pour que je puisse un jour « vivre de ma plume », parce que je crois que je finirais par mourir d’ennui, comme pendant les vacances, une fois que les trois premières jours sont passés et que j’ai fini de me reposer. D’ailleurs, pour écrire, je vais plutôt dans un café ou au bar, mais je reste difficilement devant mon bureau. Ou alors, il faut la télé, ou la musique. N’importe quoi, du moment que je ne suis pas concentrée dans le silence. De toute façon, je serais incapable d’écrire quoi que ce soit dans ces conditions : j’aime trop le bruit et la ville.

Souhaitez-moi quelque chose d’autre : souhaitez-moi qu’un jour, un élève vienne me dire « j’ai enfin compris le cours sur Sartre, grâce à Masques ! » Et là, j’aurai vraiment réussi ma vie, même si ça n’arrive qu’une fois. Arrêtez de me souhaiter de pouvoir vivre de ma passion : je vis déjà de ma passion, c'est l'enseignement. L'écriture est un passe-temps, j'écris comme je regarde le foot ou comme je lis un roman ; et il ne vous viendrait à l'idée de vivre ni de l'un ni de l'autre, alors pourquoi écrire oui ? Pourquoi une passion est-elle forcément artistique ? 

Je suis prof de philo, et je ne suis pas écrivain.