jeudi 14 mars 2019

Le Cercle / The Circle - Réseaux sociaux et savoir absolu

Acheter un livre qui se dit, en quatrième de couverture, dans la lignée des plus grandes dystopies, 1984 et Le meilleur des mondes, n’est pas une chose que je fais l’esprit tranquille. Si je suis une fan inconditionnelle des grandes dystopies, et si je clame haut et fort que la dystopie est mon genre préféré, je suis pourtant très difficile. Je n’aime pas spécialement Hunger Games et j’ai fait de Divergente ma bête noire. Aurais-je un problème avec les dystopies jeunesse ? Non. Mon coup de cœur de toujours est bien Entre chien et loup. Est-ce que c’est l’aspect contemporain, ou adapté en film qui me poserait un problème ? Je ne crois pas. Pour la simple et bonne raison que j’ai adoré Le Cercle de Dave Eggers. Je ne vais pas me contenter d’en parler aujourd’hui : je vais aussi revenir sur son adaptation au cinéma, avec Tom Hanks et Emma Watson.  

Commençons par le livre. Je l’avoue : il s’inscrit bien dans la lignée des grandes dystopies du XXème siècle. Sauf que celui-ci n’imagine pas la vie dans la dictature : il s’agit de la mise en place de cette dictature. Et parce qu’elle est mise en place, il ne s’agit pas de révolte. Voilà en fait le modèle de dystopie que je n’aime pas trop, qui explique pourquoi je n’accroche pas à la plupart des dystopies jeunesse : une dictature sans faille et terrible, un jeune libre-penseur qui commence à se révolter, tout le monde se révolte, renversement de la dictature. Schéma très utilisé en ce moment mais qui ne me plait pas (de façon très personnelle). Je préfère largement le modèle oppressant, peut-être pessimiste : dictature sans faille et terrible, un libre-penseur croyant pouvoir y échapper, la société le rattrape et l’écrase. Oui, ça finit mal, mais c’est là qu’on perçoit toute la puissance de la dictature et de la société. (Evidemment, je ne dis pas qu’une construction est meilleure que l’autre, il s’agit juste de ce que je préfère). 

Le Cercle est l’histoire de Mae Holland, une jeune fille ambitieuse qui est heureuse de quitter sa province et son travail ennuyeux pour entrer dans le Cercle, la société à la pointe de l’innovation technologique. Rien à dire de plus... si ce n’est que cette société prône la transparence absolue, dans le but d’atteindre une connaissance parfaite et absolue. Mae comprend vite que la vie serait plus simple et plus heureuse si l’on pouvait tout savoir. En effet, qu’y a-t-il de plus douloureux qu’un secret ? Une trahison ? Ne pourrions-nous pas éviter les crimes si nous savions qui sont les criminels ? Comment enlever encore des enfants si tout le monde a les moyens de savoir où ils se trouvent ?  

Si, au premier abord, on pourrait croire que c’est l’addiction aux réseaux sociaux qui est au centre de l’histoire, ce serait à mon avis une triste réduction de la véritable réflexion portée par ce livre, qui fait plus que répéter ce que tout le monde dit déjà : Internet c’est dangereux, la surveillance c’est mal, et “Big Brother est méchant”. Certes, le problème de l’utilisation intensive des réseaux est souligné, mais le fond du problème, et ce qui revient de façon permanente, est cette volonté de tout savoir. Le livre interroge les limites de la connaissance humaine, ce qui en fait un texte vraiment original et pertinent. Il montre à quel point la connaissance peut faire souffrir. Tout savoir, désirer connaître, ce qui est l’essence même de la philosophie, n’est pas ce qui rendra heureux, bien au contraire. Le parcours de Mae dans cette société est lent et insidieux : on passe de son arrivée à sa toute-puissance sans vraiment avoir vu à quel moment sa vie basculait. Le rythme est lent mais c’est pour mieux souligner cette progression qu’on voit à peine, cette façon dont chaque grain de sable se rajoute au petit tas de départ, pour finir par peser si lourd qu’on ne peut plus rien y faire. 

Je passe au film, The Circle. Avant tout, j’aimerais préciser ce que j’attends d’une adaptation, en commençant par quelque chose d’inhabituel : je n’aime pas les films fidèles au livre. Je préfère que le film donne sa propre interprétation de l’histoire, et si je n’aime pas le film, c’est que je n’aime pas l’interprétation donnée, ce qui n’a rien à voir avec le fait que je favoriserais le livre. Il m’arrive (assez souvent) de préférer le film au livre, même si ici ce ne sera pas le cas. 

Comme je l’ai dit, ce que j’ai vraiment aimé dans le livre est cette réflexion sur le savoir absolu, la recherche effrénée de connaissance, qui a une place capitale dans l’histoire. Cet aspect a malheureusement été mis de côté dans le film, dont le message (je préfère parler de "réflexion" que de "message", mais là je crois bien que c'est le cas) semble bien plus clair : Big Brother, c’est mal. Sans vouloir remettre en question la justesse de cette réflexion, j’ai tout de même l’impression de me retrouver face à un énième film qui dénonce les dangers d’Internet, ce qui le rend banal. Le personnage de Mae est différent, mais cette fois, je n’ai pas de préférence pour l’une ou l’autre version. Alors que celle du livre est sans cesse émerveillée dès son arrivée au Cercle par tout ce qui l’entoure, celle du film semble au départ plus sceptique, et représente je pense ce que nous, en tant que spectateur, nous ressentons face à cette société. Faire du personnage l’œil du public, et montrer que son histoire aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous, est un choix intéressant. Dans le livre, Mae représente beaucoup plus la femme ambitieuse et plongée dans son travail. Bon, je vais le dire... Je n’aime pas du tout Emma Watson (de façon générale) alors au fond je préfère celle du livre. L'autre problème, c'est qu'en devenant ce que le spectateur veut voir, le Mae du film est trop parfaite. Elle n'a aucun défaut, et perd en intérêt...
Pour la construction du film en général (bref, la forme), j’ai beaucoup aimé. C’est vrai qu’il y a de longs passages répétitifs dans le livre qui auraient été ennuyeux à l’écran et ils ont réussi à recréer la même ambiance par les outils du cinéma, ce qui j‘apprécie toujours. Pour finir, je ne dévoile rien, mais la fin du film prend une tournure un peu “féministe” qu’il n’y a pas dans le livre. Ce n’est pas un problème en soi, mais j’ai l’impression que ça n’apporte pas grand-chose ici et que ça n’a été fait que pour plaire au public – et si j’aime que les réalisateurs réinterprètent des éléments, je n’aime pas les éléments qui ne servent qu’à plaire au public. 

J’avais vu le film avant de lire le livre, il m’avait paru agréable malgré tout et c’est même pour ça que j’ai acheté le livre, pensant passer un bon moment. Je ne m’attendais tout de même pas à adorer le livre, mais la focalisation sur la question du savoir lui a permis de se hisser dans mes lectures préférées ! 

mardi 12 mars 2019

Reincarnation Blues - A quoi ressemble le bonheur éternel ?

Un simple signe "infini" sur fond blanc, un peu stylisé, bleu. Il n'y a rien de plus sur la couverture de Reincarnation Blues, de Michael Poore. Et pourtant, c'est ce qui m'a attirée en premier. Comme toujours, non ? Une simplicité qui m'a rappelé mes propres couvertures. Et puis, peu à peu, la découverte d'un texte magnifique, une longue réflexion sur l'homme, ses limites, ses croyances, sur la religion et les entités surnaturelles, sur le bien et le mal… 

C'est l'histoire de Milo. "Milo" est le nom général d'une âme, qui a parfois incarné un homme, parfois un guerrier, une femme, un insecte, un enfant mort dans ses dix premières années… Parfois au Moyen-Âge, parfois en Inde, parfois dans le futur, sur un satellite de Jupiter. Une fois sa première vie achevée, il a découvert ce qu'il y avait après la mort… ou plutôt qui était la mort, puisqu'elle porte le nom de Suzie, et qu'il en est tombé amoureux. Mais chaque fois, il faut se réincarner, vivre une nouvelle vie… A l'approche de sa dix-millième existence, Milo se retrouve face à une terrible vérité : une fois ce nombre de vies atteint, il faudra soit atteindre la perfection, soit disparaître à jamais.

Nous avons donc le récit des cinq dernières vies de Milo, ainsi que ses passages dans l'au-delà. L'écriture est souvent légère et ironique, ce que j'ai particulièrement apprécié. Et bien sûr, en fond, il y a cette question : qu'est-ce que la perfection ? Comment un homme peut-il l'atteindre ? Car c'est bien le but que poursuit Milo, sous peine de disparaître : il doit avoir une existence parfaite, et échoue continuellement. Et bien sûr, sans rien dévoiler, je ne peux m'empêcher de dire un mot sur la fin de l'histoire, qui va dévoiler ce que l'on nommerait le "Paradis" : quelle récompense à celui qui aura atteint la perfection ? A quoi ressemble le bonheur éternel ? Il faudra atteindre la dernière page pour que soit révélé ce secret si simple, et si beau en même temps.