mardi 1 septembre 2020

Buffy, tueuse de vampire : devoir et autorité


Pour ce premier article d’une série d’analyses de la série Buffy contre les vampires, nous allons nous intéresser au personnage principal et à sa fonction : Buffy, la tueuse de vampire. Commençons par résumer le contexte de la série.

Nous sommes dans notre monde, pour la plupart des gens. Car, cachés dans l’ombre et la nuit, se trouvent vampires, démons, sorciers, et autres créatures maléfiques qui essaient de dominer ou détruire le monde. Pour lutter contre ces créatures – et cacher leur existence au mieux – une élue est choisie, une fille, qui sera dotée des pouvoirs d’un démon (vitesse, force, réflexes…) pour les combattre. Cette élue est appelée la Tueuse, elle est entraînée et guidée par un Observateur, nommé par le Conseil, qui lutte contre les démons. Le travail de la Tueuse est discret, mais extrêmement dangereux. De fait, peu de Tueuses dépassent les 25 ans. Pour les meilleures, qui atteindront leurs 18 ans, un test mortel leur sera imposé.

 Dans notre série, la Tueuse de vampire sera donc Buffy : au début de l’histoire, elle a 16 ans, elle est la Tueuse depuis ses 14 ans. Si, au début, elle essaie tant bien que mal de dissimuler son rôle et ses pouvoirs, dans l’espoir de suivre une adolescence normale, elle sera vite repérée par ceux qui deviendront ses meilleurs amis, Willow et Alex. Peu à peu, le groupe va s’agrandir et gagner en puissance : Willow apprend la magie, elle rencontre le loup-garou Oz puis l’autre sorcière Tara ; Buffy tombe amoureuse des vampires Angel, puis Spike ; Alex et Cordelia sont les humains du lot, mais Cordelia cèdera vite sa place au démon Anya aux côtés d’Alex.

 Si je prends le temps de faire la liste des amis et alliés de Buffy, c’est justement parce que c’est ce dont nous allons parler dans cet article : le rapport aux règles et à l’autorité. La Tueuse doit agir seule ; Buffy ne l’est pas. Même si, parfois, elle rappelle que les tâches les plus dangereuses et difficiles lui reviennent, parce qu’elle est l’élue, elle ne sera que rarement seule. Or, c’est grâce à ces amis que Buffy va devenir une Tueuse exceptionnelle, et survivre bien plus longtemps que la plupart de ses semblables. Pour montrer la spécificité de Buffy par rapport aux autres Tueuses, la série va en introduire deux autres, qui représentent chacune un des écueils dans lequel pourrait tomber Buffy. Elles ont un rôle de mise en garde : grâce à elle, nous savons quelles dérives attendent les Tueuses. Et le juste milieu, incarné par Buffy, est le moyen de survivre.

Buffy & Kendra

Kendra et Faith, les deux autres Tueuses, vont successivement rejoindre Buffy dans son combat, et illustrer les deux écueils opposés dans lesquels Buffy ne doit pas tomber si elle veut survivre : car ni Kendra (qui meurt) ni Faith (qui finit dans le coma) ne seront à la hauteur dans le rôle de Tueuse. L’une et l’autre ont un rapport opposé à l’autorité. Pour Kendra, la mission de Tueuse est un devoir sacré, absolu, divin, qui doit passer avant tout : elle ne comprend pas la tendance qu’a Buffy à vouloir passer du temps avec ses amis, ou tout simplement le fait qu’elle ait des amis. Pour Faith, la force qu’elle a obtenue en étant une Tueuse la place au-dessus de tous, et au-dessus de toute forme d’autorité : ce qu’elle reproche à Buffy, c’est sa fidélité et son respect envers son Observateur, qui lui donne des ordres. Entre une Kendra trop soumise, et une Faith trop rebelle, Buffy incarne le juste milieu dans le respect à l’autorité : elle reconnait l’importance de son Observateur et de sa mission, mais continue à vivre sa vie à côté.

Commençons par présenter ces deux Tueuses. Dans le monde, il n’y a qu’une seule Tueuse : pour qu’une nouvelle Tueuse apparaisse, il faut que celle qui existe meure. Buffy a donc dû mourir pour qu’apparaissent Kendra, la deuxième Tueuse de vampire. Cela se passe dans le dernier épisode de la première saison : alors qu’elle combat le Maître, grand méchant de la saison, elle perd connaissance, tombe la tête dans l’eau et se noie. Or, pour la première fois, ses amis vont avoir une importance capitale pour la tenir en vie, puisque ce sont eux qui vont la trouver à temps et la réanimer. Morte quelques secondes seulement, Buffy n’est plus la seule Tueuse : Kendra a été appelée. Malheureusement pour elle, en aidant Buffy à arrêter Angel dans la saison 2, elle va se faire tuer : pour remplacer Kendra, c’est donc au tour de Faith d’être élue.

 

Buffy & Faith

Cette idée de « juste milieu », parfaitement incarnée par Buffy, et dont je me sers ici, est empruntée à Aristote, dans L’Ethique à Nicomaque, lorsqu’il essaie de définir la vertu. La vertu, par définition, s’oppose au vice : vertueux est celui qui ne tombe pas dans le vice. Or, pour Aristote, il y a deux façons de tomber dans le vice : soit en faisant preuve d’excès, soit d’insuffisance (il y aura donc deux sortes de vices : le vice par excès et le vice par défaut). La vertu consistera alors en ce juste milieu entre le défaut et l’excès, entre le « pas assez » et le « trop ». Cela vaut pour toute les qualités. Prenons quelques exemples : quels sont les vices associés aux principales vertus ?

 

-          Le courage est une vertu : il consiste à savoir à quel moment il convient d’agir, malgré les risques. Il s’oppose à la lâcheté (vice par défaut) où l’on a toujours peur d’agir, et à la témérité (vice par excès) où on plonge tête baissée dans le danger.

-          La générosité est une vertu : donner à ceux qui en ont besoin. Elle se distingue de la radinerie (ne jamais rien donner) et à la prodigalité (toujours tout donner à tout le monde, au risque de ne rien garder pour soit)

-          La magnanimité, dont le sens est différent chez Aristote, est la vertu qui consiste à avoir conscience de sa valeur et de ses capacités, contrairement à la modestie (oui, c’est un vice pour Aristote ! un vice par défaut) où l’on se met toujours en retrait et où on nie ce dont on est capable ; contrairement aussi à l’orgueil (vice par excès), où l’on s’imagine supérieur à ce que l’on est

 

Tel serait donc le trio du rapport à l’autorité chez Aristote, illustré par nos trois Tueuses : la vertu (Buffy), consiste à reconnaître l’autorité tout en s’y soumettant lorsque c’est légitime ; le vice par défaut (Faith), serait le fait de ne jamais reconnaître la moindre autorité ; le vice par excès (Kendra) est pour celui qui se soumet continuellement et sans réfléchir à l’autorité qui le commande. Au travers de ces trois visages de Tueuses, la série prend une position aristotélicienne sur la vertu : bien agir, c’est être modéré, resté dans le juste milieu. Plus notre comportement est extrême, plus nous agissons mal. Les dangers dus à l’un et l’autre vice sont également présentés. Le vice par excès risque de nous détruire : Kendra meurt, ce qui arriverait certainement aussi au téméraire (qui prend tous les risques sans réfléchir) ou au prodigue (qui donne tout et n’aura plus rien). Le vice par défaut mène à faire du mal aux autres : Faith se tournera du côté des démons, ce que ferait probablement un lâche ou un radin (pour se protéger).

 

Un retour à cette conception aristotélicienne de la vertu est d’autant plus intéressant que le juste milieu n’est plus, aujourd’hui, ce qui attire le plus. Nous admirons secrètement ceux qui n’ont pas peur du sacrifice, la richesse ou les qualités exceptionnelles, tout en louant publiquement la modestie, la mise en retrait, le calme. Le juste milieu serait pour l’individu lambda, qui ne prend jamais vraiment position. Cela vient de deux courants de pensée qui ont suivi (et remplacé) celui d’Aristote : les valeurs chrétiennes ont placé le vice par défaut au rang de vertu (heureux sera celui qui vit dans la pauvreté, l’humilité et le retrait) ; Nietzsche, par opposition aux valeurs chrétiennes, fait l’éloge du vice par excès (il faut être un être exceptionnel pour être téméraire et orgueilleux).

 

C’est terminé pour aujourd’hui ! Si l’article vous a plu, retrouvez l'article suivant ici : Les méchants de Buffy : où est le vrai danger ? (1)

L'ensemble des articles peut être retrouvé sur ce lien : Buffy contre les vampires (analyses)

Cet article a été repris pour le podcast « Geekosophie magazine » sur les plateformes d’écoute (Spotify, Deezer...) et sur YouTube à cette adresse : Geekosophie Magazine

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