jeudi 28 juillet 2016

Les animaux de Gaia et l'état mental d'Emilie

Je commence par remercier toutes les personnes qui ont pris le temps de lire Si la parole était d’or et La Loi de Gaia et surtout d’en faire une critique, ou même simplement de me dire leur avis, et de parfois me poser des questions auxquelles je n’avais pas du tout de réponses à donner (sauf des fois) mais qui m’ont permis de réfléchir un peu. Je vais répondre à deux questions qui m’ont été posée :

- Pourquoi Si la parole était d’or est-il si étrange ?
- Pourquoi sont-ce ces animaux qui représentent les crimes dans La Loi de Gaia ?

Evidemment, la première question ne m’a pas été posée exactement comme cela, mais c’était l’idée. Plus exactement, voilà ce que l’on me reprochait (oui, le plus souvent, c’était un reproche) : pourquoi Aline ne répond-elle jamais ? Ou, autre tournure : mais finalement, c’est une correspondance ou un journal intime ? Impossible de ranger ce livre dans une catégorie, en fin de compte, c’est vrai… Et ça vous embête ? Pauvres enfants. Je vais donc me voir obligée de vous livrer le secret de Si la parole était d’or. Pourquoi Aline ne répond-elle pas ? Eh bien, sachez que ce n’était pas spécialement prévu au départ. Il devait bien y avoir une réponse d’Aline dans la première version du livre, juste pour montrer qu’elle existe. Oui, justement : qu’elle existe.
Car tout est parti de là : une lectrice qui a lu le début de la première version, très, très différente de celle que vous connaissez à présent, et a très vite posé la question suivante : « Mais, Caroline… elle est schizophrène la fille non ? Elle se parle toute seule en fait, elle n’existe pas, l’autre ? » Evidemment, je n’avais pas du tout cette idée en tête. Il me semblait évident qu’Aline existait, même si elle n’était pas très bavarde. Et pourtant, je regrette de lui avoir répondu : « Non ! Non, elle n’est pas schizophrène ! » Parce que c’était une idée géniale ! Il faut qu’Emilie soit schizophrène (ou, pour être plus exact, qu’elle ait un dédoublement de personnalité… je ne lancerai pas un débat sur la schizophrénie).
C’est ce jour-là (ou un peu plus tard, le temps que j’y réfléchisse) que la réponse d’Aline a définitivement disparu de mes pensées. Je n’ai rien fait pour semer le trouble dans vos esprits. A première lecture, rien n’indique qu’elle se parle toute seule : plusieurs références montrent qu’Aline existe, et finalement, la seule réaction que j’obtiens est : il manque une réponse, c’est dommage. Ça vous perturbe malgré tout, vous voyez ! Et pourtant il y a bien des éléments minimes, outre le fait, bien sûr, qu’Aline ne réponde jamais, et je vais en proposer quelques-uns pour vous perturber l’esprit davantage encore. A commencer par le fait qu’Emilie soit malade : ben oui, elle passe sa vie dans les hôpitaux et ne dit jamais quelle est sa maladie ! Oui, oui, il y a des symptômes physiques, allez-vous me dire… Certes, mais il n’empêche qu’il n’y a pas de maladie précise. Ou plus exactement, les médecins trouvent beaucoup de maladies… mais elle n’en accepte aucune. Elle s’évertue à dire « je ne suis pas asthmatique. » Et pourquoi, s’il vous plaît ? D’où connaît-elle mieux que les médecins sa maladie ? Quelle preuve a-t-elle qu’elle n’est pas asthmatique ? Aucune, à part son sale caractère. Finalement, on ne sait pas si Emilie dit la vérité dans ses messages. D’ailleurs, dans le premier message de la première partie, que dit-elle ? « Je traine, je marmonne, je mens. Et ça recommence. Tout le temps. » Voilà qui est on ne peut plus explicite. Emilie ment au sujet de la maladie, et passe son temps à le faire. Alors, dans quel hôpital se trouve-t-elle vraiment ?
Continuons sur ce message du mercredi 4 janvier, qui en dit beaucoup, en fin de compte. La première chose qu’elle semble dire est qu’elle a fait une promesse à Aline, la promesse de lui écrire. Elle l’a promis mais, dit-elle « Dans sa tête. » En fait elle n’a rien promis du tout, car tout se fait dans sa tête. Peut-être même n’a-t-elle jamais vu Aline ! Ah ! Ah ! C’est tiré par les cheveux, hein ? Oui, exactement, d’autant que je le rappelle, je n’ai pas cherché à développer l’idée du dédoublement de personnalité, j’ai juste renoncé à faire apparaître Aline. Et pourtant, on peut bien comprendre que tout se passe dans sa tête, à partir de cette première phrase…

J’espère avoir bien semé le doute dans vos esprits à présent. Je vais passer à la deuxième question, qui sera moins problématique et moins tirée par les cheveux. Cette question m’a été posée par un internaute sur Facebook. Il n’a pas lu le livre, mais seulement le résumé. Je ne vais pas donner son nom pour des raisons que vous comprenez, mais voilà exactement sa question :

Je suis intrigué par le choix des animaux en fonction des crimes. Pourquoi des animaux "nobles" ? Et pas le rat, le cancrelat, etc. ... ? Intrigant (et même un peu insultant pour ces animaux :))

J’ai déjà donné une partie de ma réponse sur Facebook, mais je vais développer, citations à l’appui (et cette fois, ce ne sera pas tiré par les cheveux, promis). J’avais donné deux éléments de réponses.
- Les insectes font horreur, mais les carnivores font peur. Les tatoués, dès lors, sont plus effrayants que dégoûtants dans l’esprit des gens.
- Les carnivores sont, justement, des carnivores. Et justement, les tatoués innocents ont peur de se faire « dévorer » par leur tatouage et devenir coupable.
Que les tatoués fassent peur, c’est la toute première phrase de Kagan dans le livre : « Ils avaient peur des tatouages. Les loups, les lions, les tigres et les renards. Les quatre plus grandes peurs des hommes. La mort, le déshonneur, la perte et la souffrance. » Malgré le fait qu’ils soient des esclaves, des sous-hommes, ce n’est pas comme ça qu’ils sont désignés. Les tatoués apparaissent rarement comme des êtres inférieurs. Il y a, en revanche, un terme qui revient bien plus souvent : les « monstres. » Par ailleurs, les tatoués sont des gens entre la vie et la mort (ce qui, loin de faire horreur, est très à la mode dans les films d’horreur…) : ce sont des survivants, qui étaient censés mourir. Ce sont des criminels qui auraient dû être condamnés à mort, mais qu’on hésite à tuer, et qu’on ne veut pas tuer finalement parce qu’ils sont utiles. Mais on hésite à les tuer quand même, justement parce qu’ils sont effrayants. Deux fois, on a cette idée dans les paroles de Sinan : « Ils se demandent si tu es devenu assez incontrôlable pour être obligés de te tuer, ou s’ils peuvent encore risquer de te faire subir un châtiment plus terrible. Ils n’ont vraiment pas envie de te tuer. » Ou encore : « Ils ne nous tueront pas. La mort est un châtiment trop doux pour toi et moi. » Et pourtant, ils vivent ! Et ils continuent à faire peur. Et la peur des tatoués atteint son apogée lorsqu’ils deviennent les partisans, et commettent des attentats.

Voilà en ce qui concernait l’image que les civils ont des tatoués. Mais ces animaux permettent de comprendre les pensées des tatoués eux-mêmes. Kagan représente l’innocent qui a peur de devenir ce qu’on l’a accusé d’être, à force de l’entendre : il a peur d’être dévoré par le lion. Et cette fois, je renvoie au chapitre 8 (qui, rappelez-vous cet article, était dans mes cinq moments forts que j'ai entièrement réécrits) : « Jamais je n’avais eu honte de le porter, parce que j’étais innocent ; mais je haïssais cette sensation, celle du regard posé sur le lion, celle du regard accusateur ou effrayé. J’avais l’impression que le tatouage s’animait cruellement et me dévorait. Mais celui de Sarah était plus douloureux que les autres, la sensation des crocs dans ma chair n’avait jamais eu l’air aussi réelle. »

J'espère vous avoir convaincu... et éventuellement donné envie de lire ! Ou, encore mieux : j'espère que je vous ai inspiré plein de nouvelles questions auxquelles je pourrai répondre dans mes prochains articles.

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