dimanche 1 novembre 2020

Les grands méchants de Buffy : où est le vrai danger ? (2)

 Merci pour votre fidélité, et pour votre curiosité ! Après avoir analysé les méchants des trois premières saisons de Buffy, dans l'article précédent, nous allons poursuivre avec la saison 4.

 

Avant tout, petit rappel de la liste des méchants et de ce qu’ils représentent : 1 – Le Maître (la cruauté) ; 2 – Angel (la passion) ; 3 – Faith (l’abandon de la raison) ; 4 – Adam (le progrès technique) ; 5 – Gloria (la religion) ; 6 – Warren (l’être humain) ; 7 La Force (le mal)

 

Je ferai un article plus précis sur la saison 4, qui propose une opposition classique et néanmoins intéressante entre la technique et la nature. Concentrons-nous sur Adam, la création humaine, la machine. Créé par l’Initiative, au physique proche des représentations cinématographiques du monstre de Frankenstein, Adam est sans aucun doute la métaphore de l’objet technique qui dépasse son créateur et sort de son contrôle. Dans le monde des adultes, le premier danger auquel nous sommes confrontés est celui-ci : croire que l’on peut garder la maîtrise de toutes nos inventions techniques. Ce thème est classique en science-fiction : les robots qui prennent le contrôle et soumettent l’homme en sont un élément récurrent. Bergson utilise une image pour expliquer ce risque propre à la technique. Chaque objet technique est un prolongement du corps : cette thèse était déjà proposé, dans l’antiquité, par Aristote. Comme l’homme, dans la nature, est faible, il doit inventer de quoi se défendre : un couteau prolonge le bras humain, en lui donnant de quoi se battre ou découper sa nourriture, remplaçant crocs et griffes. La canne à pêche prolonge le bras et le doigt, trop court pour attraper des poissons dans l’eau. L’ordinateur prolonge la mémoire et l’intelligence. A chaque nouvelle invention, notre corps grandit. Mais, remarque Bergson, dans ce corps démesuré, l’âme est toujours aussi petite, et peine à tout contrôler. Il faut donc, avant chaque nouvelle invention, réfléchir à ce dont elle va servir, à l’usage qu’on va en faire, aux limites à lui imposer : telle est la seule façon de ne jamais se laisser dépasser par la technique.

 

La Déesse Gloria, saison 5

Les trois premières saisons déclinent la passion sous différentes formes ; la saison 4, centrale, pose le danger de la technique. Les trois dernières saisons sont celles où règnent pleinement les mythes, la magie, la religion. Willow devient une sorcière puissante aux côté de Tara ; Buffy en apprend plus sur le mythe de la Tueuse, ses interactions avec le Conseil sont plus fréquentes ; le premier antagoniste qu’elle rencontre dans cette dernière partie de la série est la déesse Gloria. La présence de Gloria, au-dessus des autres méchants, l’invincible déesse, n’est pas surprenante ni mystérieuse : s’il y a une chose qui semble être plus dangereuse que les passions, plus dangereuse que les monstres, plus dangereuse que la technique, c’est la religion. La religion, source de génocides, de persécutions, de fanatisme. La saison 5 aurait dû être la dernière, et poser la croyance religieuse comme ce qui amène aux plus graves actions. Et pourtant il y a eu une saison 6. Dans la saison 6, le méchant est Warren. Warren est un homme. Un être humain ordinaire, avec ses désirs, ses passions, son intelligence et ses croyances. Avoir mis l’homme au-dessus du dieu, c’est une façon de dire que ce n’est pas la religion qui est un mal : c’est l’interprétation que l’homme en fait. Est-ce la faute de Dieu si les croisades, le terrorisme, l’Inquisition ont fait des morts ? La religion est-elle ce que nous devons rejeter, ou n’est-ce pas le fait des hommes, qui l’ont utilisée pour justifier leur propre barbarie ? Un mythe grec, raconté entre autres par Euripide dans la pièce Iphigénie en Tauride, dénonce de telles utilisations de la religion à des fins de puissance. En Tauride, un rituel religieux demande de sacrifier tous les étrangers qui arrivent sur cette terre. C’est le sort qui attend Oreste, le célèbre frère d’Iphigénie, poursuivi pour avoir tué sa mère. D’abord en colère contre le dieu qui a ordonné ce rituel, Iphigénie, prêtresse de Tauride, comprend que le dieu n’y est pour rien : c’est le roi de Tauride qui le prend comme prétexte pour justifier son rituel barbare, et assurer sa puissance, en empêchant tout étranger de venir remettre son pouvoir en question.

 

C’est donc l’être humain ordinaire, au travers de Warren, qui est le plus grand danger. Warren n’est pas plus un « monstre » (au sens défini dans l’analyse du Maître) que ne le sont Angel et Faith. Au début, il n’est rien d’autre qu’un adolescent frustré, qui fabrique un robot pour assouvir ses désirs sexuels, puis tombe amoureux et subit un rejet. Il cherche à gagner de l’importance, à gagner du pouvoir, et sa quête du pouvoir le conduit à tuer et à devenir le monstre cruel qui nous apparaît à la fin de la saison. Toute cette progression nous amène à la Force, le mal incarné. Le mal qui s’insinuait dans tous les méchants précédents, et qui est le total de ces derniers. La première fois que la Force apparaît dans la saison 7, c’est de cette façon : en prenant successivement la forme de tous les méchants précédemment analysés. Le mal n’est pas le fait d’êtres isolés, d’êtres exceptionnels et supérieurs : il est en chacun de nous.

 

Nous en avons terminé avec les méchants, et la prochaine fois, nous passerons à l’analyse de deux nouveaux personnages. Qui donc ? Ce sera la surprise, alors on se retrouve le 1er décembre !

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