Le sommeil
polyphasique est une certaine façon d’organiser ses heures de sommeils, de
telle sorte que l’individu n’a plus besoin de dormir que de 2 à 5h par jour
pour se sentir pleinement en forme. Outre l’utilisation de cette façon de
dormir dans certains domaines professionnels bien précis (notamment les marins,
certains scientifiques, hommes politiques ou grands artistes), un certain
nombre d’individus (dont moi) essaient de l’adopter afin de libérer du temps
sur leur emploi du temps et pouvoir ainsi sans stress effectuer à la fois leur
travail et leurs loisirs.
J’avais
personnellement déjà rencontré des étudiants choisissant ce mode de vie, et
j’avoue que ma première réaction fut alors de suivre l’opinion commune : bien
ancrée dans la tradition du « huit heures minimum de sommeil par jour », il me
semblait clair que ce rythme n’était pas tenable et que c’était sans doute
terrible pour leur santé. Préjugés mis à part, je me suis renseignée (avec
quelques années de retard malgré tout) sur ce mode de sommeil en lisant les
témoignages (relativement nombreux et accessibles sur Internet) de personnes
ayant testé ce mode de vie. Chacun prenait soin de faire une liste d’avantages
(pour se défendre contre les préjugés comme les miens…) et d’inconvénients
(pour que leurs articles paraissent plus réalistes ?)
Ce qui m’a
particulièrement frappée dans ce que j’ai lu, qui m’a poussée à écrire cet
article puis à tenter l’expérience, a été l’homogénéité parfaite de ces
témoignages. Tels étaient les avantages : plus d’heures de libre à consacrer
aux loisirs (sport et culture), réveil plus facile et sommeil finalement
réparateur, rêves lucides plus nombreux et hausse de la productivité. Les
avantages semblent donc d’abord se placer sur le mode du bien-être :
l’allongement de la durée d’une journée diminue le stress dû au travail, tandis
que le sommeil est plus réparateur et permet de se sentir en meilleure forme.
Et tels étaient les inconvénients, qui en réalité peuvent se résumer en une
seule idée : réduction de la vie sociale. Les inconvénients sont en réalité une
impossibilité de faire de sorties ou de fêtes à cause de la nécessité de tenir
son planning de siestes avec une rigueur extrême, les mauvais effets de
l’alcool ou de la nourriture trop grasse qui perturberaient le sommeil déjà
bien réduit, et surtout le fait de perdre en partie la notion du temps (Je
tiens à préciser, pour ce dernier point, que cela concerne la méthode la plus
extrême de sommeil polyphasique, appelée méthode d’Uberman, qui consiste à
dormir vingt minutes toutes les quatre heures de jour comme de nuit, et ce sans
aucune pause ni exception : la transition de la nuit de sommeil étant
totalement supprimée, le passage des jours de la semaine est bien plus
difficile à percevoir).
Bénéfique sur le
développement personnel donc, et inconvénients sur la vie sociale. Ce qui me
conduit à penser avec conviction que l’obligation répétée de dormir au minimum
huit heures par jour (ou plutôt par nuit) n’est aucunement une nécessité
biologique ; si cela nous permet effectivement de rester en bonne santé, c’est
uniquement à cause de la contrainte sociale. En pratiquant un sommeil dit
monophasique (une seule période de sommeil dans la journée), il faut au moins
huit heures. Or, ce mode de sommeil est le seul qui est pleinement compatible
avec les exigences et la vie sociale. En effet, faire des siestes, même de
vingt minutes, à plusieurs reprises dans la journée peut se révéler très
problématique pour des salariés ne pouvant quitter leur lieu de travail. Un
autre inconvénient cité, et qui est en réalité celui qui mène au plus grand
nombre d’abandon de la méthode, est la difficulté de la phase d’adaptation,
durant la ou les premières semaines. Effectivement, habitué à dormir par
tranche de 8h, le corps a du mal à se retrouver réduit à 2 ou 3 heures (ou 4,
comme je pratique actuellement avec beaucoup de satisfaction). Pourtant, ceux
qui résistent finissent toujours par s’habituer et être satisfait. Mais cela
n’est-il pas vrai pour tous les bouleversements culturels, quels qu’ils soient
?
La meilleure
façon de savoir si une pratique est absolument vitale à l’être humain est tout
simplement d’observer les autres cultures. Y a-t-il des cultures où le sommeil
polyphasique se pratique ? Or, pour eux, ne serait-il pas extrêmement difficile
aussi de s’adapter à un système de sommeil en une seule phase, où toutes les
siestes devraient être supprimées ? Nous pourrions aller jusqu’à remarquer qu’à
l’instar de certaines espèces animales comme les chats, le sommeil du
nourrisson est bien polyphasique : il se fait par tranches, et c’est tout un
travail d’éducation, long et éprouvant, qui va le conduire à adopter un sommeil
monophasique durant la nuit. On continue même de conseiller ou imposer une
sieste aux jeunes enfants, preuves qu’il est difficile de s’extraire d’un
sommeil en plusieurs phases, quel que soit sa durée totale. Des travaux
d’ethnologie existent bien sûr au sujet du sommeil dans les autres cultures,
mais ce sont des textes américains non traduits pour ce que j’ai trouvé
jusque-là, je ne m’y suis donc pas penchée attentivement.
Pourquoi, dès
lors, cette insistance pour que nous dormions huit heures par jours ? Une
critique bien trop pessimiste y verrait peut-être un complot, une façon de nous
empêcher d’avoir trop de temps en-dehors de notre temps de travail, pour des
activités sportives ou culturelles, ce qui non seulement conduirait les gens à
réfléchir, mais mettrait à mal bien des applications et programme très couteux
de régimes alimentaires, sportifs ou « coach de vie. »
L’approche purement économique qui mène à ces conclusions n’est jamais la
mienne, et je vais conclure sur ma propre interprétation de cette exigence.
Comme je l’ai
dit, le seul véritable inconvénient du sommeil polyphasique dans la société
(française en particulier) est son décalage avec la vie sociale. Les conditions
de travail elles-mêmes empêchent de fractionner trop notre sommeil. Le seul
modèle pleinement compatible avec notre existence actuelle est donc le modèle que
nous utilisons, le sommeil monophasique. Or, les pratiques de sommeils
polyphasiques ont montré que plus il y avait de siestes dans la journée, moins
nous avions besoin de dormir au total (la méthode d’Uberman, qui consiste à
dormir 6 fois 20 minutes en 24h, conduit à un total de 2h de sommeil par
tranche de 24h). Or, plus on diminue le nombre de phases de sommeil, plus la
durée totale de sommeil sera longue. 8h de sommeil semble donc bien être la
durée à tenir pour qu’un sommeil monophasique soit véritablement réparateur
(cela est abondamment expliqué dans les articles scientifiques sur le sommeil,
et dû aux nombreuses phases de « sommeil léger » qui ont lieu pendant
notre nuit, sommeil qui n’est que très peu réparateur ; entrant dans le
nécessaire « sommeil paradoxal » plus vite, les pratiquant de la
méthode d’Uberman sont tout aussi reposés que les autres).
Il n’y a donc ni
complot, ni vérité absolue dans cette prescription ; mais simplement une
vérité relative à notre mode de vie contemporain. Nous n’avons pas besoin de
dormir 8h dans l’absolu : mais
nous ne pouvons pas ne dormir que la nuit,
et dormir moins de huit heures. Je vais donc poursuivre mon expérience de
sommeil polyphasique. J’en suis à deux semaines, et si les réveils sont parfois
un peu difficiles et suivis d’une petite période de flou avant d’émerger,
gagner autant de temps la nuit, quand tout est silencieux et que personne n’est
là pour nous déranger, est une sensation formidable et décuple la productivité.
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