jeudi 16 février 2017

La Rumeur

Nous voilà en place pour ce Jeudi spécial autoédition, comme tout les jeudi d’ailleurs, et c’est le moment de vous parler d’un livre autoédité dont il faut absolument parler ! Comme vous le savez, je ne chronique pas tout ce que je lis, loin de là, je me contente de parler de ceux qui doivent vraiment et absolument être découverts. Et aujourd’hui, je vais vous parler… ou plutôt vous reparler d’un auteur dont vous avez déjà entendu parler ici : L'Indé Panda


Il s’agit de Solenne Hernandez, auteur, dans l’Indé Panda, de la merveilleuse nouvelle « Je m’appelle Marion » que je vous incite très fortement à aller lire (n’hésitez pas, l’Indé Panda est gratuit !) et dont, comme je l’avais annoncé dans mon dernier article, j’ai acheté le roman, qui s’appelle La Rumeur, et dont le premier tome est La Fuite. Je vais vous le dire tout de suite, je n’ai pas adoré. Pas comme les autres livres que j’ai chroniqués ici. Mais alors pourquoi est-ce que je perds mon temps à en parler, pensez-vous ? Mais parce qu’il faut le lire ! Je n’ai pas adoré, c’est vrai, j’ai même été extrêmement déçue après cette magnifique nouvelle du même auteur, et malgré tout je pense avoir trouvé là, enfin, un auteur incontournable de l’autoédition, qui va redorer son nom. Je n’ai pas adoré, moi, personnellement, parce qu’il y a un certain nombre d’éléments qui me donnent envie d’arracher les pages (heureusement pour le livre, je l’ai lu au format numérique) et que je vais exposer par la suite. Mais dans ce roman qui est un des premiers écrits de l’auteur (il date d’il y a déjà plusieurs années, alors que la nouvelle qui m’a donné envie d’aller voir est récente), je vois aussi des éléments très intéressants, et quand je compare ce vieux texte avec le passage très récent dans l’Indé Panda, je me dis que j’ai enfin trouvé quelqu’un qui va devenir un très grand écrivain.

En général, je n’aime pas parler d’« amélioration », parce qu’un roman n’est pas une copie de philo et un auteur n’est pas un élève, il fait des choix qui lui sont propres et que je n’ai pas à critiquer. Je me permets de le faire exceptionnellement parce que j’ai discuté avec l’auteur avant, et qu’elle a bien reconnu les défauts de ce texte comme, justement, des « défauts » qu’il faut corriger, et qu’elle a visiblement corrigés dans ses écrits suivants. C’est pourquoi je me suis empressée d’acheter le deuxième tome pour le lire !

Quels sont donc ces éléments négatifs qui m’ont poussée à ne pas adorer ? Ce premier point est vraiment très personnel, et je pense qu’il n’a dérangé personne d’autre que moi à la lecture. En effet, le premier reproche que je peux faire, et qui m’est venu à peine au bout d’une dizaine de pages de lecture, c’est que c’est beaucoup trop commercial à mon goût. Ce qui n’est pas un défaut pour la notoriété de l’auteur, puisqu’il y a une espèce de condensé en un seul livre de tout ce qui plait dans les autres livres. Mais c’est bien ça le problème : les autres livres. On voit très clairement apparaitre les influences de l’auteur, qui a l’air de copier les livres qu’elle aime. Mais pas de panique ! Après tout, il faut bien commencer par imiter les « grands » avant de pouvoir s’en détacher, et ce n’est absolument pas un défaut, en tout cas pas pour un écrit qui a plusieurs années. Je peux d’ailleurs vous assurer que Solenne s’est bien détachée de ses modèles, si j’en crois ses derniers écrits, qui sont, cette fois, pleinement originaux, au sens où j’entends l’originalité.

Et donc, qu’est-ce que je trouve trop commercial, trop connu, trop attendu ? Commençons par cette liste hallucinante de mots qui prennent une majuscule : les Silhouettes, les Captifs, les Fuyards, les Chasseurs, les Errants, la Bouche…. J’en oublie ? Peut-être. Bon, ça m’énerve, mais c’est sans doute un problème psychologique qui m’est propre. Le seul que je trouve pertinent, parce qu’il est justifié dans le roman, c’est le mot de « Silhouette » : parce qu’on oublie que les Silhouettes sont des êtres humains à part entière, qu’ils ont une conscience, une âme, une faculté de choisir, et qu’elles sont réduites par ceux qui les appelle ainsi à de simple formes extérieurs, vides de toute individualité. Et c’est là une belle façon d’aborder la dictature : on ne voit plus d’individualité dans une troupe qui marche droit, tous au même rythme. Il n’y a plus Jean, Jacques, Paul, Pierre, Charles… il y a « les militaires » - ou, pour remettre en contexte, les « Silhouettes ». Cela étant, il n’y avait pas besoin de majuscule. Je trouve même que la majuscule donne du prestige, une personnalité là où, justement, il n’y a rien : que des formes. Même chose pour les autres termes, certains me semblent même en trop : je ne suis pas sûre que la dénomination de Fuyards et Captifs apporte vraiment quelque chose.

Concernant l’intrigue, elle aussi reflète le schéma ultra-classique de la dystopie actuelle. En gros, une dictature qui marche bien, puis quelques-uns qui se rebellent, puis tout le monde s’évade et se rebelle. L’ensemble est quand même très attendu et manque fortement de personnalité à mon sens. Certes, le fond est original ; mais c’est facile de trouver une histoire originale : ce qui est dur, c’est de faire quelque chose d’original à partir d’un fond très connu. Comme en peinture, il n’est pas difficile de peindre un paysage fantastique peuplé de créatures imaginaires : mais comme le disait Matisse, « je pense que rien n’est plus difficile à un vrai peintre que de peindre une rose parce que, pour le faire, il faut oublier toutes les roses peintes. » Le véritable artiste n’est pas celui qui a le plus d’imagination, mais celui qui sublime un objet bien connu. Le thème du rêve reste quand même un beau thème, qu’il aurait été intéressant d’exploiter, très intéressant même, et c’est bien pour ça que je fais une chronique : voilà une histoire qui aurait pu devenir une œuvre magnifique, mais qui me semble un peu trop recouvrir le schéma dystopique, sans oser s’en libérer.

En bref, si vous voulez vraiment savoir l’impression que me font ces points négatifs… ils me rappellent mes romans du lycée. Mais ce n’est pas un mauvais signe, loin de là ! Ils me rappellent mes romans du lycée, où j’écrivais le genre de livre que je lisais. Et maintenant, à l’inverse, je lis le genre de livres que j’écris. Et je vais dire quelque chose de complètement inutile : j’aime bien le genre de livres que j’écris. Il y a donc toutes les chances pour que j’aime les livres de Solenne. D’ailleurs, la déception que j’ai eue face au roman n’est pas si négative puisqu’il a été écrit avant la nouvelle que j’ai adorée. Il y a donc une belle progression, mais j’ai surtout vu des signes avant-coureurs dans La Rumeur, qui laissait présager de grands textes par la suite.

Voici donc ce que j’ai aimé dans la Rumeur et qui a eu l’effet de me faire acheter immédiatement le deuxième tome. Je me souviens tout d’abord de belles métaphores : il y a une belle écriture, qui apparaît de temps en temps, et qui sera déployée à son paroxysme dans « Je m’appelle Marion » (même si je suis sûre qu’il est possible de faire encore mieux !) Par ailleurs, l’énorme point fort de ce roman est sa structure. Je ne parle pas de la structure de l’intrigue évidemment, mais de la structure du texte : en réalité, il y a très peu d’avancement dans l’histoire, car le livre est essentiellement constitué de flash-back. L’intrigue n’avance pas : l’histoire est en fait une accumulation d’histoires de différents personnages, et là est la véritable originalité. Les personnages sont présentés les uns après les autres – ce qui permet, en plus, de ne pas se perdre, car à la fin il y a vraiment beaucoup de personnages – et un chapitre flash-back raconte ce qui leur est arrivé jusqu’à ce point, ce qui permet aussi de faire le lien : le livre n’est pas juste une liste d’histoires sans rapport entre elles, on reconnait dans chaque récit quelque chose qui appartenait à l’histoire d’un autre.

Je n’ai peut-être pas dit grand-chose de positif, et pourtant je recommande très fortement cet auteur : parce que tout ce que j’ai dit de négatif concerne en fait le fond, et vous savez que je considère toujours la forme comme primordiale sur une œuvre littéraire. Parce que c’est le propre de la littérature : étudier la façon d’écrire, et non les idées. Alors, laissez le contenu à la philosophie et dans un roman, lisez les mots.

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