lundi 13 juin 2016

Cats, ou l'ennui... de l'éternité

Que faut-il penser de Cats ? Cats, je le rappelle, c’est le spectacle de l’année qui se joue au Théâtre Mogador de Paris et qui (fort heureusement !) se termine début juillet. Un spectacle sans doute très beau à voir qui, ni plus ni moins, ressemble à un feu d’artifices. Mais un beau, hein ! De la danse, des costumes, des acrobaties, des chansons de haut niveau pas toujours très bien chantées, bref, un spectacle qui en met plein la vue, mais qui est totalement vide (du moins à première vue). La seule différence, c’est que dans le cas du feu d’artifices, vous ne voyez pas le maire de la ville débarquer, tout fier de lui, pour vous expliquer la signification hautement philosophique de ces lumières dans le ciel. Non, tout le monde sait qu'un feu d'artifices sert uniquement à faire joli. Là, on s’applique, à chaque promo – du moins était-ce le cas en début d’année, maintenant je ne sais plus trop… – à répéter avec grande conviction : « Les chats de Cats, c’est la société, c’est notre société… » Bizarre, parce que dans « notre » société, je n’ai pas vu tous les hommes se réunir une fois par an pour supplier leur grand chef d’être celui qui aura le droit de mourir. Au mieux, c’est une société Maya. Et justement, c’est peut-être là que se trouve l’intérêt véritable d’un spectacle en apparence lourd, répétitif, mais joli, alors apprécié quand même un minimum…

Car rappelons-le, l’histoire (car il y en a une, contrairement à ce que diront les spectateurs un peu dégoûtés d’avoir payé la peau du c** pour voir ça) est celle d’un rassemblement de chats, les Jellicle Cats, pour un bal annuel, au terme duquel l’un d’eux sera choisi, « élu » devrais-je dire, pour rejoindre la « Catosphère ». « Renaître de ses cendres dans la Catosphère » même, si mes souvenirs sont exacts. Au risque de briser une illusion très euphémique, moi, j’appelle ça mourir. Des chats font donc leur spectacle pour montrer, chacun, qu’ils sont dignes de mourir. Mais pourquoi ? Etrangement, personne n’a l’air de s’être posé la question. Ce qui est bien regrettable parce que, contrairement à ce que j’ai l’air de dire depuis le début, Cats n’est pas un mauvais spectacle, ce n’est pas un feu d’artifices, ce n’est pas vide de sens. C’est vrai, en allant le voir, j’ai aussi été dégoûtée d’avoir payé… pas grand-chose finalement puisque je me suis contentée du fond de la salle en avant-première, mais d’avoir payé quand même pour m’ennuyer mortellement pendant deux heures trente. Mais c’est peut-être ça, justement, le truc : l’ennui. Les chats s’ennuient à mourir… et c’est pour ça qu’ils rêvent d’une autre vie dans l’au-delà.

Malgré ma première impression extrêmement mauvaise, j’ai passé l’année à penser à ce spectacle. Je ne savais pas pourquoi, mais quelque chose m’intriguait, et je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. J’ai insisté, parce qu’en temps normal, j’oublie vite ce que j’ai trouvé profondément nul. Là, c’était impossible. Alors, j’ai fini par trouver un indice qui allait résoudre tous mes problèmes : et si les Jellicle Cats étaient immortels ? Petit détail quand même étrange : il n'y a qu'un seul chat qui meurt par an, et tous les ans à la même date. Sinon, ils restent en vie. Le nom de « Jellicle » m’a fait penser à une boucle, un cercle… « circle » quoi, avec « Jelly » devant pour faire plus anglais. Et même si je pense que cette interprétation du nom est complètement arbitraire, l’idée des chats immortels reste quand même solide. Ces chats, ils ne sont quand même pas anodins, et quand on entend joyeusement dire « les chats, c’est la société », il y a quand même quelque chose de vrai : chaque chat est un « type », un modèle de personne plus qu’un individu singulier. Il y a les chats qui volent, le chat qui prend le train, le chat qui chante... ils représentent une profession et, pour reprendre l'expression de Sartre, les chats sont pour nous des « objets » : ils ne sont pas des individus libres de brusquement changer de vie, d’avoir des occupations variées, ils sont des êtres stéréotypés qui doivent simplement remplir le rôle qui est attendu d’eux. Chaque chat un une identité, une activité, une « profession » et ne sont rien d’autre que cela. Autrement dit, les chats sont contraints de répéter éternellement les mêmes gestes, et cette nuit qui est représentée au cours du spectacle est la même que toutes les nuits. Ils sont prisonniers du temps, d’un temps éternel (au sens fort, le temps ne s’écoule pas, tout reste inchangé d’un jour sur l’autre), et ce n’est alors pas étonnant de voir qu’ils veulent absolument, alors qu’ils ont tous l’air très jeunes, être celui qui aura le droit de quitter cette vie infernale de la répétition dans un autre monde, un monde meilleur.

Un seul chat fait exception. Grizabella est vieille, et elle a eu une vie : autrement dit, elle a réussi à sortir de la répétition mélancolique des jours et des nuits pour produire quelque chose de nouveau. Voilà pourquoi les passages de Grizabella sur scène tranchent avec le reste : alors que le spectacle lui-même est répétitif, circulaire (même la chorégraphie fait beaucoup de cercles !), de telle sorte que l’immortalité y est fort bien représentée, l’ambiance change quand elle est présente. Grizabella marche tout droit, ou reste immobile, mais n’entre jamais dans le cercle. Elle est exclue. Et justement (attention spoiler ! Mais avec le peu d’intérêt qu’il y a dans ce spectacle, vous me permettrez de le mettre en avant, au risque d’un petit spoiler de rien du tout…) c’est elle qui sera choisie pour partir dans l’autre monde, parce que, de tous les chats, c’est la seule qui a eu le courage de vivre, et donc de mériter la mort. Les autres ne peuvent pas mourir parce qu’ils ne vivent pas. Grizabella a vécu : elle a fait des choix, elle a affronté le temps qui passe, la vieillesse et donc bientôt la mort, mais c’est la seule qui a alors des souvenirs et est en mesure de se remémorer des jours heureux, heureux justement parce qu’ils ont pris fin. Impossible pour les autres de comprendre ce bonheur passé, puisque, pris dans leur bonheur éternel, ils finissent par ne plus rien ressentir. C’est pourquoi suivre le modèle de Grizabella permet de comprendre « what happiness is », comme le dit si bien la chanson plutôt bien traduite, comme d’habitude à vrai dire…


Alors, si je vous ai fait peur au début, je conclurais quand même que Cats est un spectacle à voir. Déjà, c’est joli : si vous aimez la danse, courez, vous ne pouvez pas détester. Moi je n'aime pas, d'où ma réaction du début. Si vous voulez une histoire, ce sera plus difficile à suivre, mais en gardant en tête ce que je viens d’écrire, peut-être que ça vous donnera un fil conducteur…

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