dimanche 7 novembre 2021

Black Mirror, S3E2 : Le temps est-il en nous ou hors de nous ?

 

Nous voilà de retour pour continuer à réfléchir à des sujets de dissertation de philosophie à partir des épisodes de la série Black Mirror. Pour le thème d’aujourd’hui, nous allons nous appuyer sur deux épisodes de la saison 3. L’épisode qui nous intéressera en particulier est le deuxième de cette saison, intitulé « Playtest. » On évoquera également le long épisode de Noël, qui aborde, en un sens, la même question, celle du temps et de la conscience.

 

Le sujet que j’ai choisi pour ce nouvel article est le suivant : Le temps est-il en nous ou hors de nous ? La question se pose car le concept de « temps » peut désigner énormément de choses. Le temps, tout d’abord, est une dynamique de changement, de progrès ou de dégradation. Cette façon de comprendre le temps se fait dans le domaine de la géologie ou de la biologie : c’est en ce sens qu’on parle du passage du temps et il semble évidemment être hors de nous (nous y sommes d’ailleurs soumis également). Toutefois, quelle réalité aurait ce changement sans un observateur conscient capable de faire le lien entre le passé et le présent ? Même si le temps semble exister dans le monde extérieur, à l’instant présent, il n’y a que le présent : c’est notre conscience qui nous permet de faire exister le temps en tant que tel.

 

Un premier problème se pose donc quand on considère cet aspect du temps, mais il y en a un autre, qui sera illustré par ces deux épisodes de Black Mirror : c’est le vécu de ce qu’on appelle le temps. Dans la société, le temps est divisé en années, en mois, en jours, en heures, en minutes et en secondes. Ce découpage est utile dans la vie pratique, puisqu’il permet de se coordonner et de se donner des rendez-vous. Mais ce découpage artificiel (qui correspond à certaines réalités matérielles, comme le mouvement de la Terre dans l’espace) est-il le temps véritable ? Ou le temps désigne-t-il autre chose ? Selon l’activité qu’on est en train de faire, cette heure peut durer très longtemps ou passer très vite : le temps désigne-t-il donc plutôt l’heure objective (qui est hors de nous puisqu’elle est partagée par tous) ou le vécu subjectif de cette durée (qui est en nous) ?

 

L’épisode 2 de la saison 3, « Playtest », nous plonge dans ce vertige concernant le vécu du temps. C’est l’histoire de Cooper, un voyageur qui a presque fini son tour du monde et espère, après avoir vécu toutes ces expériences réelles, se lancer dans les expériences virtuelles. C’est ce qu’il raconte à Sonja, journaliste spécialisée dans les nouvelles technologies, rencontrée par l’intermédiaire d’une application. Pendant ce temps, sa mère, à qui il ne parle plus beaucoup, essaie plusieurs fois de l’appeler, mais il ne décroche pas.

 

A cause d’un piratage de son compte en banque, Cooper se retrouve dans l’incapacité de prendre l’avion pour rentrer. Il recontacte Sonja, qui le dépanne et lui montre une petite annonce, par laquelle une boite spécialisée dans le jeu vidéo d’épouvante recherche un amateur de sensations fortes. Sonja insiste pour qu’il accepte ce travail et prenne en photo tout ce qu’il y voie, car leurs innovations top secrètes vaudront très cher. Une fois sur place, il rencontre Katie, responsable des tests. Elle lui explique que tout est strictement confidentiel et qu’il doit donner ton téléphone et tout ce qui permet de communiquer. Alors qu’elle quitte momentanément la pièce, Cooper rallume son portable que Katie avait préalablement éteint pour prendre une photo et l’envoyer à Sonja. Quand Katie revient, le test de réalité augmentée commence : elle lui injecte une puce derrière la tête. Après une petite séquence avec une taupe virtuelle qui apparaît devant lui, elle le conduit au créateur du jeu, qui lui explique en quoi celui-ci va consister : un jeu vidéo d’horreur personnalisé. La puce qu’on lui a implantée analyse l’activité cérébrale du joueur pour en déduire la meilleure façon de lui faire peur. Un mot d’alerte est choisi pour qu’il puisse arrêter la partie si cela devient trop difficile.

 

La grande partie de l’épisode va alors se concentrer sur les moyens de reconnaître la réalité et le monde virtuel. Une fois plongé dans l’univers du jeu, toujours en contact avec Katie, Cooper va voir et sentir des choses extrêmement réalistes, qui sont pourtant produites par le jeu. Il va même en arriver à douter que ce soit bien une simulation informatique, et croire que tout est réel. Je n’ai pas choisi cet angle pour mon article, parce que je pense que vous trouverez d’autres analyses qui s’intéresse à cet aspect et que j’ai préféré parler du temps. En effet, la fin de l’épisode va être extrêmement perturbante. Alors qu’on vient de voir Cooper se débattre avec ses peurs pendant une longue demi-heure, on découvre qu’à peine le test commencé, son téléphone portable (qu’il avait rallumé contre l’indication de Katie) a sonné, comme sa mère essayait encore de l’appeler. Cela a provoqué une interférence avec la puce qu’on lui avait injectée pour le jeu, et il est mort. L’expérience totale a duré moins d’une seconde. Une seconde qui, pour Cooper, a duré plus d’une demi-heure.

 

En général, quand on joue à un jeu vidéo, c’est plutôt l’effet inverse qui se produit : on croit n’avoir joué que quelques minutes, alors que ça fait déjà une heure. Ce vécu du temps est ce que nous avons appelé plus haut la « durée » : ce terme est en réalité celui de Bergson dans les Essais sur les données immédiates de la conscience, où il remarque que le temps des horloges, le temps social et objectif, ne représente pas un passage du temps véritable mais plutôt une simultanéité des mouvements. Dire : je te donne rendez-vous à telle heure signifie : quand l’aiguille de nos deux montres, qui sont simultanées, sera à tel endroit du cadran, il faudra que nous soyons également à tel endroit. Il s’agit de lieu de d’espace, non de temps, car le temps est un vécu : le temps véritable est plutôt celui que Bergson appelle la durée, et qui peut varier d’un individu à l’autre.

 

Mais le fonctionnement de cette expérience virtuelle semble fonctionner plutôt comme un rêve : on sait que la durée d’un rêve est toujours beaucoup plus longue que le temps objectif pendant lequel nous avons rêvé. Cette pensée est assez vertigineuse – du moins, à moi, elle me donne le vertige – car nous avons le sentiment très clair d’avoir fait un certain nombre d’actions, ce qui a forcément pris un certain temps, alors qu’il ne s’est passé que quelques secondes.

 

Nous retrouvons ce traitement de la durée dans l’épisode de Noël, « Blanc comme neige », où l’idée que deux consciences vivront différemment un temps objectif identique est poussée à son paroxysme. Dans cet épisode, il est possible de séparer une partie de sa conscience pour la mettre dans une machine : comme cette machine sera un autre nous, elle sera parfaitement adaptée à satisfaire nos besoins : elle sait ce que nous voulons pour le petit déjeuner et peut le préparer à l’avance, de même pour les vêtements, le programme télévisé, etc. Un autre vertige métaphysique concerne justement ce traitement qui est fait de la conscience : c’est moi qui suis soit dans mon corps, soit dans la machine. Mais il est aussi question de temporalité : face à la révolte quasi inévitable de la moitié de conscience qui se retrouve dans la machine, le programmateur est en capacité de la déconnecter et de la laisser seule aussi longtemps qu’il veut. Pour être plus précise : le programmateur peut décider de faire en sorte que la conscience reste seule pendant ce qui lui paraîtra être dix ans, alors que cela n’aura duré que quelques minutes de son point de vue à lui.

 

C’est assez difficile à décrire, alors je vous invite plutôt à regarder ces deux épisodes, et surtout l’épisode de Noël. Il est assez long (une heure et demie me semble-t-il) et plusieurs histoires se superposent, de telle sorte qu’on y traite non seulement du temps et de la conscience, mais aussi de la justice, des interactions sociales, etc. Bref, un épisode intéressant qui vous occupera bien jusqu’à notre prochain article !

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