Peu de suspense sur le contenu
de ce nouvel article ! La saison 6 de Buffy contre les vampires
vous a probablement laissé des souvenirs, en bons comme en mauvais. Nous
n’allons pas analyser l’ensemble de la saison, mais la progression d’un
personnage au cours de cette saison. Ce personnage, vous vous en doutez bien,
c’est Willow.
Si les autres personnages de la série vous intéressent et que vous n’avez pas lu les articles précédents, voilà un petit récapitulatif : Buffy, Faith et Kendra ; les grands méchants (partie 1) ; les grands méchants (partie 2) ; Angel et Spike. Et notre premier article spécifique à une saison en particulier : saison 4 : science et magie
Commençons par notre habituel
résumé de la saison. Au début de la saison 6, Buffy est morte et enterrée.
C’est Willow, désormais une puissante sorcière et informaticienne, qui mène la
chasse aux vampires grâce à ses pouvoirs et au Buffy-Robot que Spike avait fait
fabriquer pour son plaisir sexuel. Elle dirige son équipe par la télépathie,
répare le robot quand il y en a besoin. Mais Buffy a été tuée par des forces
surnaturelles et Willow est persuadée qu’elle est en Enfer en train de
souffrir : Alex, Tara et elle préparent alors un rituel pour la ramener à
la vie. Malheureusement, à son retour, Buffy finit par dévoiler
accidentellement à ses amis qu’elle était au Paradis, et qu’avoir été ramenée
sur Terre est la pire douleur qu’elle ait connue. Coupable, Willow tente une
formule pour lui faire oublier son bonheur passé, mais le sortilège trop
puissant touche toute l’équipe (au cours d’un épisode assez drôle où plus
personne ne sait qui il est), et quand la mémoire leur revient, sa petite amie
Tara la quitte, ne supportant plus qu’elle manipule tous ses amis par la magie.
Willow se rapproche alors d’une ancienne camarade de lycée, Amy, elle aussi sorcière,
et cette dernière l’entraîne dans des formes de magie de plus en plus
puissantes. Willow devient incapable de faire quoi que ce soit sans magie, elle
est continuellement en quête de puissance, et finit par causer un accident qui
aurait pu tuer Dawn, la petite sœur de Buffy. Elle accepte alors de se faire
aider par un sevrage total, abandonne tous ses objets et ingrédients magiques,
et tente de reprendre une vie normale. La cure semble bien se passer. Tara
finit par revenir. Mais quand Warren tue accidentellement Tara d’une balle,
toute la magie refoulée refait surface : après avoir échoué à ressusciter
Tara, elle absorbe toute la magie noire contenue dans les livres de la boutique
de magie pour se venger de Warren, mais aussi de ses amis Andrew et Jonathan.
Buffy échoue à l’arrêter avant qu’elle ne tue Warren, mais permet aux deux
autres de s’enfuir. Willow est arrêtée par Alex alors qu’elle tente de détruire
le monde pour faire disparaître la souffrance.
La saison 6 s’arrête là, mais
la cure de Willow doit continuer. Le sevrage, méthode utilisée dans cette
saison, n’a pas porté ses fruits : le premier malheur l’a immédiatement
fait replonger. Au début de la saison 7, Willow est en Angleterre avec Giles
qui, loin de la brimer, lui apprend à mieux utiliser ses pouvoirs, en
l’intégrant à un groupe de sorcières. Quand Willow revient à Sunnydale, elle
est non seulement surpuissante, mais ne souffre plus d’une addiction
destructrice à la magie. Bien sûr, l’addiction à la magie de Willow a été
interprétée comme une métaphore de la drogue, et je n’aurais pas grand-chose à
dire là-dessus. Les effets de la magie sur Willow, l’addiction grandissante et
ses accidents sont parfaitement semblables aux effets de la drogue. Mais nous
n’allons pas faire un article sur une théorie (qui n’en est même pas une
tellement le rapprochement est évident) aussi connue.
Pour analyser de façon
philosophique la transformation de Willow au cours de la saison 6 et au début
de la saison 7, penchons-nous sur une notion en particulier : le désir. Un
proverbe bien connu dit que « qui veut faire l’ange fait la bête. »
Ce proverbe est en réalité une moitié de citation de Blaise Pascal, que voici
en intégralité : « L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur
veut que qui veut faire l'ange fait la bête. » Il ne faudrait pas
réduire cette citation en son sens premier, à savoir qu’en voulant le bien de
tout le monde, on risque de devenir monstrueux. On connaît suffisamment de
situations où un parent, un ami, un proche s’efforce de contrôler toute notre
vie parce que ce serait « pour notre bien », et de ce fait devient
détesté (plutôt légitimement d’ailleurs). On pourrait développer cette idée,
mais nous nous éloignerons de Buffy et Willow. Car Willow a bien tenté de faire
l’ange, avant de devenir la bête. Qu’est-ce qu’un ange ? Pour un chrétien
comme Pascal, l’ange n’est pas seulement un être bon : c’est un pur
esprit. Il n’a pas de corps. Dès lors, l’ange est un être de volonté, et non de
désir, car les désirs viennent du corps.
Quelle différence y a-t-il
entre le désir et la volonté ? L’une et l’autre sont source
d’action : vous agissez d’une certaine façon soit parce que vous le désirez,
soit parce que vous le voulez. Intuitivement, vous pourriez avoir
l’impression que l’idée de volonté est plus forte : devant quelqu’un qui
ne fait pas assez d’efforts, nous dirons qu’il « n’a pas assez de
volonté. » De même, nous parlons d’y mettre « de la mauvaise
volonté. » La volonté, en effet, est la force d’esprit : c’est ce
qui nous fait agir quand on n’en a pas vraiment envie, ou qui nous permet
d’agir, justement, contre notre désir. Le désir, en effet, n’est pas une force
active de notre esprit : il est passif. Le désir nous soumet. Quand nous
désirons quelque chose, nous pouvons y penser toute la journée, au point d’être
incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Ce désir est celui de Willow pour
la magie : quand elle use de la magie, ce n’est pas librement, car
elle ne peut même plus s’en empêcher. Elle use de la magie, totalement soumise
à son désir. Or telle est la définition qu’on pourrait donner de la bête
chez Pascal : la bête, être purement corporel, sans esprit, est sans
volonté : il n’est soumis qu’à ses désirs. Or, l’homme est à la fois l’un
et l’autre : animal, il est un être de désir ; à l’image de Dieu, il
est un être de raison et de volonté. Nous avons des désirs, et il serait
absurde de le nier ; en revanche, grâce à notre volonté, nous pouvons
toujours nous battre contre ces désirs qui peuvent être destructeur. Willow est
addict à la magie, mais elle a encore, en elle, le pouvoir d’y résister.
D’ailleurs, elle y parvient. Même sous la pression, quand Buffy et ses amis
sont prisonniers d’une maison à cause d’un sortilège, lorsque tout le monde lui
demande de faire usage de la magie pour les sortir de là, elle résiste malgré
tout.
Toutefois, n’oublions pas la
fin de la citation de Pascal qui est devenue un proverbe : « qui
veut faire l’ange fait la bête. » Autrement dit, l’être humain qui
voudrait réprimer totalement ses désirs (devenir un ange) risque
malheureusement d’y céder totalement. C’est ce qui arrive à Willow dans la
saison 6 : en voulant totalement nier la magie, en essayant de l’éliminer
de sa vie, en rejetant totalement son désir pour devenir un être de pure
volonté, pleinement libre, elle va inévitablement replonger dans ce désir, et
sans pouvoir le contrôler du tout. Dark Willow, à la fin de la saison, est
devenue la bête : il n’y a plus que la magie et le chagrin qui la
contrôle entièrement, elle n’a plus aucun discernement ni aucune maîtrise d’elle-même.
Comment faire, dès lors, avec
nos désirs ? N’oublions pas que ceux-ci peuvent être destructeurs :
c’est parce qu’elle a failli tuer Dawn (et se tuer elle-même) que Willow
choisit dans un premier temps d’éliminer la magie. Cette solution échoue, mais
celle que lui proposera Giles au début de la saison 7 va fonctionner. Loin
d’éliminer ce désir de magie, elle va devoir apprendre la magie : étudier
ses désirs, éliminer ceux qui sont mauvais et ne conserver que les bons. Cette
solution est celle que propose les philosophes épicuriens. Epicurien, dans le
langage courant, signifie profiter de la vie, bien boire et bien manger,
autrement dit céder à tous ses désirs. Cette vision est plus qu’erronée,
puisque c’est exactement l’inverse que proposait Epicure. Il ne s’agit pas de
satisfaire tous ses désirs sans réfléchir, mais de rechercher le plaisir.
Or, si la satisfaction des désirs apportent toujours du plaisir, certains
plaisirs vont vite se transformer en souffrance par la suite. Prendre de la drogue
quand on le désire apporte bien un plaisir : mais très vite, le sentiment
de manque sera si violent que le plaisir obtenu peut sembler bien dérisoire à
côté de la souffrance. Inversement, il peut être pénible de faire des exercices
sportifs ; un sportif ne manquera pas d’apprécier la récupération, une
fois la séance terminée, quand ses muscles se reposent, et sera globalement en
meilleure santé. Les efforts physiques suivant lui demanderont moins d’efforts,
et donc moins de souffrance. L’épicurisme a été critiqué pour cet aspect mal
compris de la recherche du plaisir à tout prix. Ce qu’on oublie, c’est
que pour qu’un plaisir éphémère ne soit pas suivi d’une souffrance permanente,
il faut avoir précisément étudié ses désirs pour sélectionner ceux qu’il
convient de satisfaire ou non.
Willow craindra longtemps de
replonger dans la magie noire, de ne pas savoir s’arrêter. Mais cela n’arrivera
plus. L’étude de la magie lui a permis de continuer à l’utiliser tout en la
gardant sous contrôle.
Il est possible que les thèses
philosophiques dont j’ai parlé dans cet article vous rappelle quelque chose. En
effet, j’en ai parlé dans cet article sur Notre-Dame de Paris.
N’hésitez pas à aller le relire, et comparer Willow à Claude Frollo, aussi mal compris
que les épicuriens, et qui n’est pas le grand méchant de l’histoire, mais un
homme qui a voulu faire l’ange, et a fait la bête.
Nous avons donc terminé notre
analyse des deux saisons dont je voulais vous parler. A partir du mois
prochain, nous nous intéresserons à quelques épisodes bien particuliers que je
trouve intéressants. D’ici là, pensez à revoir la saison 6 !
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