samedi 27 mars 2021

Dans les pas de Nietzsche

 

C’est la première fois que je chronique un manga, mais c’est un manga sur Nietzsche, alors on ne change pas trop nos habitudes !

 

Je vous présente aujourd’hui ce petit manga en trois tomes (est-ce qu’on peut parler d’une trilogie ?) qui suit le personnage d’Arisa, une jeune fille qui vient de subir une déception amoureuse et ne sait pas comment réagir. Elle va à un endroit où les gens font traditionnellement des vœux et souhaite être capable de changer, pour ne plus être obnubilée par cette situation. Vœu exaucé : le destin lui envoie Nietzsche (ou plutôt sa réincarnation) pour qu’il fasse d’elle un surhomme !

 

Dans une histoire assez amusante, les principaux concepts de Nietzsche sont expliqués, simplement mais efficacement, proposant une bonne introduction aux plus curieux qui ne veulent pas pour autant se lancer dans l’intégral des traités de Nietzsche. On définit le surhomme, la morale des esclaves, l’éternel retour, le ressentiment, l’amour du destin…

 




La petite présentation de Nietzsche qui occupe le premier tome devient vite un débat plus large sur l’existence, avec plusieurs réincarnations de philosophes qui s’invitent dans l’histoire et exposent d’autres notions : Schopenhauer et son pessimisme légendaire, Sartre et la contingence, Kierkegaard et même Jaspers (que je connaissais très mal personnellement, c’est sympa d’en entendre parler par ce biais !)

 

Plusieurs points permettent de réfléchir à l’existence, la mort, les émotions, puisque ce sont les thèmes principaux pris en compte ici. Et pourtant, le manga a la pure brillante idée de bien distinguer le philosophe du coach de vie. Enfin un livre qu’on n’a pas intérêt à voir dans le rayon « développement personnel » de la librairie !

 

C’est vraiment un manga très sympathique. Pour les lecteurs de manga qui ont du mal en philo, c’est vraiment l’occasion d’essayer de s’y intéresser un peu par une voie détournée.

mercredi 24 mars 2021

Disney : mes princesses préférées

 Bonjour à tous !

 

Il y a quelques temps j’avais fait plusieurs articles sur Pokémon, pour vous parler un peu de moi et de mes goûts, et pour fêter la sortie du livre Philosophe, Pikachu !  Suite à cela, j’ai pensé que je pourrais en faire un ou deux sur Disney. Par pour fêter une sortie, puisque Il en faut peu pour philosopher a déjà un an, mais plutôt en l’honneur de mon projet en cours, pour l’instant nommé Cruelle ou Maléfique ? Essais sur la représentation sur mal chez Disney (titre provisoire).

 

Je vais commencer aujourd’hui par parler des princesses. Et pour ceux qui ne l’ont pas encore lu, un lien vers le livre de pop-philosophie sur Disney, dans lequel on parle du Livre de la jungle, Aladdin, la Belle et la Bête, le Roi Lion, Maléfique et 1001 pattes :

 

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Voilà la liste des princesses que j’ai mis dans le classement : Blanche-Neige – Cendrillon – Aurore – Ariel – Belle – Jasmine – Pocahontas – Mulan – Tiana – Raiponce – Mérida – Vaiana – Elsa – Anna

 

Premier groupe : booooof

Elsa – Anna – Cendrillon - Blanche-Neige – Aurore

 

Même si je suis à chaque fois impressionnée par la créativité visuelle de Blanche-Neige et la Belle au bois dormant… c’est quand même ultra chiant comme histoires. D’ailleurs, la dernière fois que j’ai vu Blanche-Neige, j’avoue ne pas avoir été hyper à l’aise de voir une gamine de 14 ans traiter comme des enfants 7 hommes adultes sous prétexte que ce sont des nains. Mais peut-être que je suis juste en train de me faire endoctriner par la propagande féministe. Ou pas, puisque Anna et Elsa, qui sont quand même d’un tout autre modèle, m’ennuient aussi pas mal. Concernant Cendrillon, je trouve qu’elle ne sert pas à grand-chose, mais pour ceux qui s’insurgeraient de la place de la femme dans Disney, sachez que le prince a très exactement deux lignes de dialogue, et que sa tête est coupée dans la scène du mariage.

 

Deuxième groupe : je reconnais l’intérêt objectif du personnage mais il me laisse indifférente

Mulan – Mérida – Vaiana – Pocahontas

 

Ces quatre-là sont dans grandes héroïnes de Disney et je le reconnais volontiers. Reste qu’elle me laissent plutôt indifférentes. Le personnage de Mulan, notamment, est très fort, intéressant, et source de très belles identifications, mais il ne m’a jamais passionnée plus que ça.

 

Troisième groupe : J’adore et je pourrais m’identifier

Ariel – Jasmine – Tiana – Raiponce

 

Je vais passer plus de temps sur cette catégorie. Pour les précédentes, vu que je ne les aimais pas spécialement, je n’avais rien de très intéressant à dire, mais là j’aimerais m’étendre. Et commencer par mettre Jasmine de côté parce que même si elle fait largement partie de mes trois princesses préférées, je ne suis pas sûre de pouvoir expliquer pourquoi.

Le point commun entre Ariel, Tiana et Raiponce ? Comme le dit la chanson de Raiponce… elles ont un rêve. Tiana doit être celle qui me ressemble le plus. Elle a un travail qu’elle rêve de pouvoir exercer un jour et fait tout ce qu’elle peut pour y arriver. C’est une acharnée de travail, mais aussi quelqu’un qui ne perd pas de vue son objectif. Est-ce que le fait que la passion de Tiana soit la restauration participe au fait que je l’apprécie ? Possible. C’est vrai, j’aime manger.

Ariel et Raiponce ont aussi une passion (les humains pour l’une, les lumières du ciel pour l’autre). Et là où il y a encore quelque chose où je me reconnais est le conflit avec leurs parent, qui ne comprennent absolument pas cette passion. Le père d’Ariel hait les humains et ne veut même pas en entendre parler. Certes, la Mère Gothel n’est pas vraiment un parent au sens propre, et si elle essaie de réprimer la curiosité de Raiponce, c’est pour une toute autre raison, mais ses mises en garde résonnent quand même beaucoup en moi.

 

Feu ma préférée… oui feu, à cause du film :’(

Belle

 



Bon. Belle, c’était ma préférée dans mon enfance, je pense que ça ne changera pas, même si maintenant je vais avoir l’ombre du film par-dessus. Ce qui est drôle avec ce personnage, c’est que même si elle est restée ma préférée, ce n’est plus du tout la même chose que j’y vois. Dans mon enfance et mon adolescence, si j’adorais Belle, c’était dû, premièrement, au fait qu’elle lise beaucoup et aime s’évader dans la lecture. Comme elle, j’étais solitaire, et ne trouvais personne avec qui parler parce que j’avais des préoccupations bien différentes de la plupart des personnes de mon entourage (à part la lecture et l’écriture franchement, il n’y avait pas grand-chose qui m’intéressait…) Aujourd’hui, je suis encore celle qui s’ennuie à la campagne (et suis ravie de travailler dans une grand ville pour avoir quand même mes repères), mais je vois surtout en Belle un personnage qui donne sa chance même à celui qui est colérique, injuste, méchant et désagréable.

Cet aspect a été très bien conservé dans l’adaptation de Belle dans la série Once upon a time et j’ai de nouveau adoré le personnage. Et puis il y a eu ce film……… Pour ceux qui me connaissent bien, sachez que non, le problème n’est pas que Emma Watson (même si ça joue beaucoup). Je pense que tout le monde comprendra qu’un acteur qu’on n’aime pas dans un rôle qu’on adore, ça ne fait pas plaisir. Mais la Belle cultivée et intelligente du dessin-animé est devenue une pauvre cruche qui a lu trois livres dans sa vie et n’a visiblement jamais rien lu de mieux que Roméo et Juliette (oui je suis méchante et pas du tout objective), qu’en plus elle n’a compris qu’au premier degré puisqu’elle n’y voit qu’une histoire d’amour. Même la Bête se moque d’elle quand elle dit ça, tellement ses lectures sont banales et peu approfondies. Bon et il y a Emma Watson aussi. Je veux bien vaguement avouer que j’aurais été un peu moins méchante avec une autre actrice, même si je déteste ce qu’ils ont fait du personnage, surtout après l’adaptation de Once upon a time.

 

Article sans doute plus ironique et plus cru que ceux que j’avais fait sur Pokémon, mais Disney déchaîne les passions, c’est bien connu, surtout aujourd’hui à l’heure des adaptations en live-action. Il semble qu’on soit obligé soit d’aimer les adaptations, soit de détester la machine à fric, et pourtant, j’en ai trouvé certaines très intéressantes, avec de beaux partis pris (Le Livre de la Jungle, Aladdin, Maléfique… et j’ai bon espoir pour Cruella), d’autres totalement inutiles tellement c’était identique (Le roi lion….) et enfin les dernières où j’ai bien vu qu’il y avait une volonté de faire quelque chose de nouveau, comme on monterait une pièce de théâtre classique avec des choix de mise en scène contemporains, mais où j’ai trouvé que les choix supprimait quelque chose au lieu de rajouter du sens (Mulan, La Belle et la Bête).

 

lundi 15 mars 2021

Idée de lecture : l'art

 Bonjour à tous !

Avec un peu de retard, puisqu’il n’y en a pas eu le mois dernier, voilà le nouvel article d’idées de lecture à thèmes.

Celui-là m’a pris du temps, déjà parce qu’il fallait trouver des romans ou nouvelles sur ce thème, ce qui n’est déjà pas évident, et ça l’est d’autant moins que c’est une des notions de philosophie qui m’est totalement insupportable. Je n’aime pas du tout les questions portant sur l’art, questions qui ne m’intéressent pas. Mais du coup, je trouve que c’est important d’avoir des lectures de fiction à proposer, pour pouvoir aborder ces questions en un biais détourné.

La philosophie de l’art est une branche extrêmement vaste et large, autant que la philosophie des sciences ou la philosophie politique. En terminale, où l’on peut parler de beaucoup de choses, on aborde généralement ces aspects :

- L’art et la morale : par exemple, l’art doit-il respecter les valeurs morales ou est-il plutôt fait pour choquer ? Peut-on juger de la valeur esthétique d’une œuvre clairement immorale ?

- L’art et la vérité : l’art apporte-t-il une vérité sur le monde ? Quel genre de vérité ?

- L’art et la beauté : une œuvre d’art est-elle nécessairement belle ? Est-ce son objectif ? Quels critères permettent de définir le beau ?

- L’art et la technique : Quelle différence entre un artiste et un artisan ? Un objet technique peut-il devenir une œuvre d’art ?

Les romans que je propose aujourd’hui interrogent plutôt l’aspect politique et moral (le seul qui m’intéresse un minimum à vrai dire, davantage grâce à la politique qu’à l’art, mais peu importe), à part l’un d’eux.

 


Ma première suggestion n’a pas l’art comme thème principal, mais une réflexion secondaire du livre propose un bon débat sur l’art et la morale. Dans La vérité sur l’affaire Harry Québert, le personnage éponyme est un grand écrivain salué pour un roman perçu par tous comme un chef-d’œuvre, Les Origines du mal. Tout le monde lit Les Origines du mal et prétend que c’est le plus grand roman d’amour jamais écrit. Puis un jour, on découvre que l’histoire décrite est inspirée de la relation qu’a eu l’auteur avec une adolescente de quinze ans. Aussitôt, cette œuvre pourtant artistiquement adulée devient un scandale, un texte qu’il est honteux de lire, même les critiques littéraires reviennent sur leurs précédentes affirmations. Pourtant, l’œuvre est toujours la même. Les qualités littéraires qu’on y avait trouvées n’ont pas disparu. La seule chose qui change, c’est la personne de l’auteur. Un écho très fort à un débat très fort actuellement : peut-on distinguer l’artiste de l’œuvre ? Je ne dis évidemment pas « l’homme de l’artiste », ce qui n’a aucun sens. En revanche, l’œuvre est un objet distinct de l’individu qui l’a écrit. Comment une œuvre dont on connait l’auteur pourrait-elle être moins bonne, artistiquement parlant, que la même œuvre écrite de façon anonyme ?

 


Les deux romans suivants ont en commun d’être des enquêtes policières plongeant dans le monde de l’art. La différence sera que la première est une dystopie espagnole, la deuxième un polar contemporain français. Clara ou la pénombre de Somoza se passe dans un futur proche, où certains individus peuvent avoir comme métier « toile » : un mannequin amélioré, que les artistes peuvent utiliser pour les peindre, puis les exposer en tant qu’œuvres d’art. Une belle illustration du sujet : le corps peut-il être objet d’art ? Corps qui a été représenté dans toutes les formes d’art, mais dont la représentation faisait parfois scandale. C’est la première question que l’on peut se poser dès le début du roman, mais une deuxième réflexion va se construire au fil de l’enquête, car plusieurs « toiles » sont ainsi assassinées dans un projet artistique. Je n’en dis pas plus, et vous laisse découvrir la chute du roman par vous-mêmes.

 


Efface toute trace de François Vallejo (qui malgré son nom à connotation espagnole, est français) présente également une enquête sur une suite d’assassinats qui sont aussi un projet artistique. Ceux qui me suivent sur les réseaux savent que finir ce livre a été une atroce souffrance et que j’ai détesté. Mais ce qui me suivent savent que je passe mon temps à distinguer le goût personnel de la qualité objective d’une œuvre, et je soutiens que c’est un très bon livre (Rappel de mon article sur les « commentaires constructifs » ici : LIEN). Le problème c’est que je n’aime pas (mais alors pas du tout) les polars, et le deuxième problème c’est (comme je l’ai dit au début) que je ne trouve aucun intérêt aux réflexions sur l’art. Donc un polar qui apporte une réflexion extrêmement profonde et poussée sur l’art ne m’a pas plu, ce qui ne m’empêche pas d’affirmer qu’il y a une réflexion très poussée sur l’art (et plus particulièrement l’art contemporain, la possibilité de faire d’un objet quotidien une œuvre, sa valeur marchante, la valeur des copies…)  et qu’il passionnera quiconque s’intéresse au sujet. Dans ce roman, ce sont des collectionneurs qui sont assassinés peu à peu. L’enquêteur est bientôt contacté par le meurtrier lui-même, ce qui permet une construction intéressante de la narration. En parlant de narration, le livre est rédigé sous forme de compte-rendu du narrateur envers ceux qui l’ont engagé pour mener l’enquête, ce qui est très agréable à lire. Et nous retrouvons quelques questionnements qui étaient déjà posés par Somoza. Je me permets un petit extrait : « La mort de cinq hommes, presque six, doit-elle être considérée comme une réussite artistique ? Une œuvre d’art, en général, est-elle acceptable, si elle est homicide ? (…) Tout artiste est-il par principe innocent des catastrophes que son invention est susceptible de provoquer ? »

 


Pour finir, j’avoue avoir moi-même écrit une nouvelle sur l’art, mais « Cendres d’art » interroge plutôt son rôle politique (comme je l’ai dit, le seul qui m’intéresse). Une dystopie dans un monde où l’art (et plus généralement le passé, l’ensemble des monuments historiques ayant également été détruits) n’existe plus. Je ne peux pas être plus précise sans dévoiler, alors je vous invite à la lire car, comme toujours, elle est gratuite au téléchargement.

lundi 1 mars 2021

Le langage dans Buffy : de l’épisode muet à l’épisode musical (1)

 Après m’être penchée sur les saisons qui sont peut-être les moins aimées de la série (saison 4 et saison 6), je vais passer à l’analyse de deux épisodes qui sont, au contraire, extrêmement populaires. L’épisode 10 de la saison 4, « un silence de mort », plus connu comme l’épisode muet ; l’épisode 7 de la saison 6, « Que le spectacle commence », s’y oppose en tant qu’épisode musical. Même si les deux épisodes sont à mettre en relation, ils sont si riches que nous allons plutôt les voir en deux articles, pour prendre le temps de les analyser.

 

Le point commun évident entre ces deux épisodes est le traitement qui est fait des dialogues. Dans le premier, les dialogues sont absents ; dans le deuxième, ils sont déployés dans des chansons. L’un comme l’autre pose alors la question du langage, le rapport que nous en avons et son importance dans la société. Le langage, tel qu’il est utilisé quotidiennement, est le juste milieu entre ces deux extrêmes, mis en scène par ces épisodes : le défaut de langage, ou le silence, et l’excès de langage, la parole chantée.

 

Commençons par l’épisode muet, qui est de loin le plus riche, et celui qui pose tous les problèmes liés au langage. L’épisode musical, qui vient plus tard dans la série, sera une réponse et un complément aux réflexions déjà proposées par l’épisode muet.

 

Commençons par rappeler le contexte de l’épisode muet, épisode 10 de la saison 4. Buffy et Willow sont à la fac, elles suivent le cours de psychologie du professeur Maggie Walsh. Son assistant, Riley, fait partie d’une organisation militaire secrète qui combat les démons. Depuis quelques temps, il aimerait sortir avec Buffy mais n’ose pas le lui demander. Willow est seule depuis que son petit ami Oz est parti, et commence à se réfugier dans l’exercice de la magie. Alex, qui vit dans le sous-sol de ses parents, a entamé une relation avec l’ex-démon Anya.

 

L’épisode lui-même se construit en trois parties. Dans une partie introductive, les personnages ont encore l’usage de la parole, et plusieurs éléments vont exposer différents problèmes du langage : le fait que ce langage serve parfois à « parler pour ne rien dire » et qu’il vaudrait mieux se taire ; le fait que l’on n’arrive pas toujours à exprimer ce que l’on veut dire par les mots ; le fait que l’on a besoin du langage, qu’on a besoin d’entendre  dire les choses, même quand on sait. L’importance extrême du langage dans notre société sera d’autant plus évidente dans la deuxième partie de l’épisode : après le passage des Gentlemen, des monstres silencieux, tout Sunnydale perd la parole. Toute la journée, Buffy et Willow vont découvrir comment l’être humain réagit, une fois privé de parole : désespoir, panique, tristesse, refuge dans la prière, violence… Enfin, dans la troisième partie, alors que Buffy part à la recherche de les Gentlemen pour les combattre, tous les problèmes de langage rencontrés dans la première partie vont trouver leur solution dans ce silence : tout ce qui ne pouvait pas être dit par les mots va être exprimé autrement.

 


Reprenons ces trois parties pour un résumé détaillé de l’épisode :

 

« Notre propos est la communication » : telle est la première phrase, sur la première image de l’épisode. Elle est prononcée par le professeur Walsh pendant un de ses cours. Le professeur ajoute : « Le langage en fait partie [de la communication] » mais il n’est pas la seule façon de communiquer : « Il s’agit de pensées et d’expériences pour lesquelles nous n’avons pas de mots. » Le thème de l’épisode est posé.

En réalité, ce cours est un rêve de Buffy qui s’est endormie pendant le véritable cours du professeur Walsh. On s’en rend vite compte, étant donné que la Walsh du rêve demande à son assistant Riley de l’embrasser devant la classe pour faire une démonstration. C’est le premier baiser de Buffy et Riley à l’écran, même s’il n’est pas réel : aucun des deux n’a encore osé avouer à l’autre qu’ils souhaitaient une relation. Buffy se retrouve brusquement dans le noir, et se voit elle-même, plus jeune, en train de chanter une chanson, une boite dans les mains. Nous avons déjà ici l’esquisse de ce que sera l’épisode musical : la chanson qu’elle entend est une prophétie. Ce langage supérieur à la parole quotidienne dévoile des choses que l’on ne peut exprimer d’habitude : l’avenir.

Buffy se réveille à la fin du cours. Willow la laisse seule avec Riley et part rejoindre le groupe de sorcières. Face à face, Buffy et Riley ne communiquent que par des mensonges : Buffy prétend avoir des recherches à faire ce soir-là, alors qu’elle ira patrouiller ; Riley patrouillera également au sein de l’Initiative, il prétend avoir des copies à corriger. Au moment où ils sont sur le point de s’embrasser, c’est à nouveau le langage qui les bloque : Buffy demande « Mais quelles copies ? », étant donné qu’il n’y a pas encore eu de travaux à rendre.

 

De leur côté, Alex et Anya arrive chez Giles en se disputant ainsi :

Alex : « Je comprends pas pourquoi tu dis ça (…) Comment tu peux dire que je profite de toi ? »

Anya : « (…) Tu me demandes même pas ce que je fais. »

Alex : « On en parlera tout à l’heure. »

Anya : « On peut en parler tout de suite. »

L’objet de leur dispute est le suivant : Alex étant très discret sur ses sentiments, Anya doute qu’il soit vraiment intéressée par elle en tant que personne. Quand elle le force à exprimer ses sentiments, il bafouille et ne parvient pas à la faire.

 

Nous passons ensuite à Willow, qui participe à une réunion du groupe de sorcières. Celles-ci prononcent des formules mystiques, enchaînant des paroles sans aucun sens. Rappelons le lien essentiel entre le langage et la magie : la croyance en la magie est la conscience de la puissance toute particulière du langage. Dire quelque chose, c’est produire des effets sur les autres : en parlant, je peux donner des ordres et provoquer des réactions, je peux blesser quelqu’un, je peux influencer son action, etc. La magie pousserait ce principe au monde matériel : en prononçant une formule magique, la nature elle-même m’obéira. Mais Willow, bien consciente de ce que peut la magie, ne semble pas prendre cette réunion au sérieux. Une seule sorcière attire brièvement son attention : Tara, qui apparaît pour la première fois dans la série. A peine essaie-t-elle de prendre la parole dans le groupe qu’on la lui coupe. Ensuite, lorsqu’on lui donne la parole pour qu’elle exprime ses idées, elle ne sait plus quoi dire et préfère se taire. De retour dans la chambre qu’elle partage avec Buffy, Willow résume la réunion en disant que c’était « rien que du baratin » : un langage vide. Buffy raconte à son tour son entretien avec Riley : « On n’a fait que bavarder. (…) Quand on se rencontre, je me mets à bafouiller. Et lui aussi il bafouille. (…) En plus je mens. »

Le plan passe aussitôt à Riley qui tient le même discours à son ami Forest, dans les locaux de l’Initiative : il regrette de ne pouvoir dire la vérité à Buffy. Il dit à Forest : « Tu as naturellement tendance à trop parler » et celui-ci répond : « T’as qu’à l’embrasser. »

 

Nous arrivons à la fin de la première partie de l’épisode, dans lequel les personnages ont éprouvé les difficultés que pose le langage, perçu par tous comme une souffrance. Ce que les autres ne me disent pas, ce que je n’arrive pas à dire, ce que je dois taire en mentant, ce sont autant de problèmes qui trouveront une solution ensuite, grâce au silence. Avant cela, une deuxième partie dans l’épisode va, en quelque sorte, présenter l’antithèse à ce rejet du langage. Certes, le langage est complexe, parfois inapproprié, d’autres fois source de souffrances. Mais pourrait-on vraiment se passer du langage ?

Comme dans une expérience de pensée, c’est exactement ce que l’épisode propose alors. Pendant la nuit, les Gentlemen, d’effrayantes créatures humanoïdes, volent la voix des habitants de Sunnydale. Au matin, plus aucune voix. Buffy croise d’abord une étudiante en larmes dans la salle de bain, mais ne lui dit rien. Ce n’est qu’en rentrant dans sa chambre, en essayant de dire bonjour à Willow, qu’elle se rend compte qu’elle n’a plus de voix. Après la tristesse de l’étudiante, c’est au tour de la panique : Willow, Buffy, puis Alex se retrouvent face à une situation inédite : d’habitude, il leur suffit de se téléphoner pour régler les problèmes ensemble. C’est ce qu’Alex tente de faire, mais évidemment, il ne peut rien dire.

Buffy et Willow sortent faire le tour de Sunnydale et voient les réactions des habitants. Dans la tristesse générale, certains pleurent, d’autres sont rassemblés en groupes de prière. Un marchand trouve de quoi profiter de cette extinction de voix généralisée en vendant de petites ardoises pour communiquer. Buffy et Willow en achètent une chacune, puis vont chez Giles. Elles ont de nouveau un moyen de communication, mais se retrouve encore à n’avoir rien à dire. Willow se contente décrire « Salut Giles » sur son ardoise, montrant un besoin fondamental de parler, même pour ne rien dire.

 


Le langage nous hante et nous torture. Mais, sans langage, plus rien n’aurait de sens. Comment les personnages vont-ils s’en sortir ? Quelle sera leur réaction, une fois le choc passé, à l’absence de langage ? Pour l’instant, ils n’ont aucune piste. Ils ne savent pas pourquoi les voix se sont éteintes. Pendant la nuit suivante, les Gentlemen parcourent la ville afin de prélever des organes sur les étudiants : plus de voix pour crier, personne ne peut plus appeler à l’aide. Au début de la soirée, Buffy et Riley se rencontrent alors qu’ils patrouillent (en civil). Libérés de la contrainte du langage, ils s’embrassent pour la première fois.

Un étudiant au cœur arraché est découvert. Pendant la nuit, la petite amie de Giles, Olivia, a vu passer un Gentleman dans la rue : elle le dessine, et c’est en voyant le dessin (non pas à partir d’une description !) que Giles comprend enfin qui ils sont, des personnages de conte de fée. Il convoque le groupe à la fac pour exposer son plan à partir de dessins rétroprojetés. Pour tuer les Gentlemen, il faut tout simplement crier : retrouver sa voix, bien sûr, mais le cri n’est pas le langage. Il ne s’agit pas de formuler des idées à partir de mots, mais simplement de crier, utiliser sa voix de façon totalement libérée des structures du langage.

Alors que Buffy part chercher le repère des Gentlemen pour trouver comment récupérer sa voix, tous les problèmes qui avaient été posés dans la première partie de l’épisode vont trouver leur solution, à commencer par Willow et Tara. La première avait été moquée suite à ses propos, elle qui voulait vraiment faire de la magie et non écouter le « baratin » du reste du groupe ; la deuxième avait été moquée également, mais au contraire parce qu’elle n’avait rien dit. Tara est poursuivie par les Gentlemen, tombe sur Willow et les deux sorcières utilisent leurs pouvoirs en commun pour déplacer un distributeur et bloquer la porte derrière laquelle elles sont cachées : enfin, de la vraie magie a eu lieu.

Buffy et Riley, armés, retrouvent la trace des Gentlemen et les combattent un moment séparément, avant de brusquement se retrouver face à face : les voilà libérés de leurs mensonges, la vérité si bien dissimulée par le langage éclate au grand jour.

Chez Giles, Anya dort et Spike boit un verre de sang. Alex arrive et, voyant Anya les yeux fermés et la bouche de Spike pleine de sang, imagine qu’elle est morte. Il se jette sur Spike pour le frapper. Anya se réveille, les sépare et Alex l’embrasse passionnément. La voilà certaine des sentiments qu’il éprouve pour elle.

 

Dernière partie de l’épisode, une fois que tous les problèmes sont résolus : Buffy remarque sur une table la boite qu’elle avait vue dans sa vision. Riley la détruit, elle retrouve sa voix, hurle et met fin au règne des Gentlemen.

Le lendemain, tout est redevenu normal. Les voix sont de retour. Tara retrouve Willow et, enfin libérée de sa peur de parler, s’ouvre à elle au sujet de sa famille et de son enfance de sorcière. Contrairement à Buffy et Riley qui ont passé des mois à ne pas réussir à se parler, Tara avoue aussitôt à Willow qu’elle l’avait remarquée dans le groupe, et qu’elle lui semble à part. Giles, de son côté, dévoile à sa petite amie son rôle d’Observateur et sa lutte contre les démons.

Restent Buffy et Riley, qui se retrouvent à nouveau pour un dernier dialogue, qui tient en ces quelques mots :

Riley : « On a à parler je crois. »

Buffy : « Oui, on a à parler. »

Et ils restent silencieux.

 

Cet épisode muet est d’une construction parfaite, construit comme une dissertation avec introduction (le discours de Walsh sur la communication), thèse (le langage est source de souffrance), antithèse (sans langage, nous ne pourrions plus rien faire du tout), solution au problème (certaines choses doivent être exprimées par un autre moyen que le langage) et conclusion. Le problème philosophique classique qui est traité dans cet épisode est le suivant : le langage est-il un bon outil de communication ? Dans l’épisode muet comme dans l’épisode musical que nous verrons la prochaine fois, des pensées sont dévoilées, qui ne pouvaient pas l’être dans et par le langage. Dans cet épisode, nous en avons vu de nombreux exemples : le couple de Buffy et Riley se forme justement une fois qu’ils se sont plus pris au piège de leurs bavardages sans fin et de leurs mensonges ; la magie passe du baratin à l’action ; Alex dévoile ses sentiments à Anya quand elle cesse de le réclamer avec insistance. Ces difficultés à s’exprimer semblent clairement indiquer que certaines pensées existent sans pouvoir être formulées par le langage. Le langage est une sorte d’outil de traduction, qui permet d’extérioriser, pour les rendre accessibles et compréhensibles aux autres, nos pensées intérieures. Mais le langage nous semble parfois bien limité : combien de fois avons-nous eu l’impression de ne pas pouvoir formuler ce que nous ressentons ? Combien de fois nous sommes-nous mal fait comprendre, parce que nous avons mal exprimé ce que nous voulions dire ?

 


Imprécis, limité et déformant, le langage n’en est pas moins notre seule et unique façon de formuler et partager nos idées : on peut faire la critique du langage, il n’empêche que nous ne pouvons pas nous passer du langage. La deuxième partie de l’épisode le montre bien : sans langage, nous ne sommes pas seulement privés d’un moyen de communication efficace avec autrui ; nous sommes dans le désespoir le plus profond. Comment pourrait-on encore réduire le langage à un simple outil ? Privés d’un outil, nous sommes momentanément embêté dans notre action, mais pas au point de ressentir une telle perdition. La langage est bien plus précieux. Contre le mythe de « l’ineffable » (une pensée si pure et singulière qu’aucun langage ne pourra jamais l’exprimer, idée très à la mode dans le mouvement romantique du XIXème siècle), des philosophes ont remarqué qu’hors du langage, aucune pensée n’existe. Même « dans votre tête », vous pensez en français : vos pensées ne sont pas dissociables de votre langage. Pour le philosophe Hegel, « c’est dans les mots que nous pensons » : une pensée ne devient pensée véritable qu’au travers du langage. Tant que nous ne savons pas comment exprimer nos pensées, c’est que les pensées en question ne sont pas claires. Dire « je n’arrive pas à expliquer » c’est en réalité dire : « mes pensées ne sont pas formées. » Reprenons l’exemple d’Alex, incapable d’exprimer ses sentiments à Anya. Selon le romantisme littéraire, s’il n’arrive pas à le formuler, ce serait parce que ses sentiments sont trop singuliers, trop uniques, et les mots seraient inadaptés pour les partager. Une fois débarrassé du langage, il parvient à exprimer ses émotions en montrant qu’il s’inquiète pour Anya. Hegel contesterait ce point de vue. Pour lui, si Alex n’arrive pas à parler à Anya, c’est parce que lui-même ignore ce qu’il ressent. C’est en croyant Anya morte qu’il va se rendre compte de ses propres sentiments : ceux-là vont se clarifier dans son esprit, et il en prendra pleinement conscience. C’est uniquement à partir de là qu’il sera en mesure de les formuler.

 

Nous avons vu avec cet épisode de lien entre nos pensées et le langage. Le langage est-il à même d’exprimer nos pensées ? Nous pouvons avoir l’impression que, parfois, « nous n’avons pas les mots pour le dire. » L’épisode prend parti pour la thèse de l’ineffable : il y a des pensées que l’on ne peut pas dire dans le langage, mais nous pouvons les exprimer autrement. La prochaine fois, nous parlerons de l’épisode musical. Il ne s’agira plus d’empêcher les personnages de parler, mais de les forcer à le faire. Après avoir été privés de voix, Buffy et ses compagnons n’arriveront plus à s’empêcher de parler, quand une malédiction les forcera à chanter tout ce qu’ils pensent.