vendredi 30 juillet 2021

La Communauté des esprits, Philip Pullman et moi

 

Je vais profiter de cette chronique sur La Communauté des esprits, deuxième tome de la trilogie de la Poussière de Philip Pullman (préquel et suite de A la croisée des mondes), pour parler un peu plus précisément de l’auteur et de son rôle (majeur) dans le début de ma vie d’auteur mi-romancière mi-philosophe.

 

J’ai découvert Philip Pullman à 13 ans avec Les Royaumes du Nord, comme beaucoup d’autres. Pour être très  précise, c’est ma prof de latin qui me l’avait prêté parce que j’étais sur le point de publier mon premier livre dont l’histoire lui avait un peu fait penser à ça et qu’elle pensait que je m’en étais inspirée. Enorme compliment, ce que j’ignorais à l’époque bien sûr. Je ne peux donc pas dire que c’est Pullman qui m’a donné l’envie d’écrire puisque je l’ai découvert trop tard. En revanche, je peux dire que cet auteur est mon modèle absolu.

 

Les Royaumes du Nord n’ont pas été un coup de cœur. Loin de là. C’est un livre que j’ai lu et bien aimé, sans plus. Je me l’explique clairement puisque, contrairement à la quatrième de couverture qui indique « à partir de 10 ans », je pense sincèrement qu’il est  impossible de comprendre correctement ce livre à cet âge-là. J’avais lu l’histoire d’une petite fille qui se promenait avec son animal de compagnie, qui rencontrait des ours et des sorcières. A aucun moment je n’y ai vu des enfants mutilés par l’Eglise parce que ces derniers craignent de voir apparaître le désir sexuel chez eux.

 

Pourtant, certains éléments de cette lecture m’étaient restés en tête. Et c’est quelques années plus tard, en découvrant la philosophie, que beaucoup de choses ont commencé à s’éclairer : la Poussière et le désir, que les stoïciens ou la morale chrétienne visent à supprimer comme s’il était la source de nos malheurs ; le concept d’aletheia, la révélation de ce qui est caché, que dévoile l’aléthiomètre, lecteur de vérité ; le démon de Socrate, qui lui indique ce qu’il doit faire ou non, que nous avons tous même s’il est caché, comme le daemon de Will ; le pharmakon, qui désigne un objet dont on peut avoir un bon et un mauvais effet, qui reflète parfaitement les effets du poignard subtil. Je n’ai pas pu dire que Pullman m’avait donné envie d’écrire, mais je crois que c’est grâce à lui que je me suis spécialisée dans le roman YA « philosophique ».

 




Ça a commencé avant que je connaisse la philo. Je ne pouvais pas vraiment mettre de mot-là dessus mais, inconsciemment, je crois que j’avais compris comment fonctionnaient ses romans : on le lit à un certain âge, on ne comprend pas tout. Puis, au fur et à mesure de l’existence, des études ou d’autres lectures, on découvre tout ce qui y était caché. Quand j’étais en seconde, j’ai écrit un roman où un personnage se retrouvait dans un livre. J’y avais dissimulé beaucoup de notions qu’on voyait en cours de français, parce que je trouvais ça amusant, et que je voulais que le roman résonne dans la tête de ceux qui suivent leurs cours de français. Un peu comme ça a été le cas avec Pullman et les cours de philo pour moi. Je pense que quand j’ai commencé à écrire Masques, en 2011 (il est sorti en 2017, gros travail !), c’était clairement lui que j’avais en tête. C’est un roman fantastique young adult, une quête de reliques religieuses à la Indiana Jones, que l’on peut lire simplement pour l’histoire, ou que l’on peut lire pour réfléchir sur la liberté d’être ce que l’on veut, contre un déterminisme social qui nous enferme dans un rôle et dans le regard des autres.

 

Je n’aime pas particulièrement la fantasy, alors A la croisée des mondes ne sera jamais un modèle en ce sens-là. Je n’écrirai pas plus de fantasy. Mais, avec mes goûts, mes domaines de spécialité et mes connaissances, je continuerai à écrire des romans autour de réflexions philosophiques. Et en parlant de réflexion philosophique, il est temps d’aborder la complexité exceptionnelle du dernier tome sorti de la saga, la Communauté des esprits.

 

On y retrouve Lyra qui a vingt ans et désormais la capacité de se séparer de son daemon, Pantalaimon. Entre eux, ça ne va pas fort : depuis que Lyra s’est mise à lire le roman d’un philosophe matérialiste, elle en vient à croire que tout ce qui relève de l’esprit, de l’âme, de l’interprétation n’existe pas. D’autres philosophes de la même branche vont jusqu’à prétendre que les daemons n’existent pas, qu’ils ne sont qu’une projection du cerveau visant à combler un manque. Ils détruisent de façon apparemment très rationnelle toutes les preuves de leur existence.

 

Vous l’aurez compris, c’est sur ce sujet que le livre va porter (d’où son titre) : l’esprit existe-t-il ou tout peut-il s’expliquer matériellement ? Entre les gitans qui croient à une communauté des esprits, parfois maléfique, parfois faite pour nous guider, et les philosophes matérialistes qui nient l’existence d’autre chose que de la matière, Lyra doit faire son chemin, séparée de Pantalaimon qui est convaincu qu’on lui a volé son imagination.

 

Le livre est très épais, il se passe énormément de choses et on y suit plusieurs personnages. Il est beaucoup plus complexe que ne l’était le tome précédent, La Belle sauvage, et rejoint en cela Le miroir d’ambre, qui était rempli de considérations théologiques que j’ai encore du mal à comprendre aujourd’hui. Un texte dans l’ensemble passionnant qui m’a donné envie d’enfin comprendre cette saga, et d’acheter un livre d’analyse (en anglais, malheureusement, mais je suppose que j’arriverai à comprendre deux trois trucs quand même !)

lundi 19 juillet 2021

Et ils meurent tous les deux à la fin

 

J’ai beaucoup entendu parler de ce livre (merci Bookstagram !) et c’est assez difficile de m'y mettre parce que c'est un livre excellent dont je ne veux dire que du bien, mais il y a tout un aspect qui ne m’a pas plu. Cependant, je ne peux pas vraiment m’en plaindre parce que l’aspect en question est spécifiquement celui qui apparaît non seulement sur la couverture, mais aussi sur la quatrième de couverture : le fameux « Que feriez-vous s’il ne vous restait qu’un jour à vivre ? » et les développements un peu niais à mon goût sur : « il faut faire plein de trucs trop bien pour rien regretter et des expériences et des voyages et la fête etc. » Clairement, même si ce n’est pas mon truc, je pense que beaucoup adoreront cet aspect et ce n’est donc absolument pas quelque chose qu’il faut prendre en compte dans ma chronique. Après tout, ce que je n’ai pas aimé peut être précisément ce qui fera qu’un autre aimera et sur ce point, vu les autres critiques que j’ai lues, je pense que c’est le cas.

 

L’histoire a lieu sur un fond dystopique qui est extrêmement léger : on ne se préoccupe absolument pas de question politique. Par exemple, à aucun moment ne sera posée la question du bienfondé de Death-Cast, cette application qui vous prévient si aujourd’hui, vous allez mourir. Ce n’est pas un problème, je le dis seulement pour éviter que des attentes soient déçues. L’objectif n’est pas de présenter un système politique à renverser mais plutôt de suite intimement deux personnages qui vivent leur Jour Final, Mateo et Rufus. L’absence de révolte contre un système politique participe d’ailleurs à l’originalité du récit, parce que ce n’est pas le modèle le plus en vue actuellement.

 


La première partie tourne surtout autour de la question de savoir comment rendre sa dernière journée plus intense. Ce n’est que plus tard dans le livre qu’on voit apparaître quelque chose qui m’a beaucoup plus intéressée, bien que ce ne soit pas posé explicitement. Même si nous suivons en particulier la journée de Matéo et Rufus, qui se sont rencontrés grâce à l’application « Dernier Ami », qui sert justement à trouver une personne dans le même cas que nous pour partager cette journée, quelques chapitres intercalés parlent d’autres personnages. Certains ont reçu l’alerte, d’autres non. Certains vont mourir aujourd’hui et ne l’acceptent pas, font alors comme si ce n’était pas leur dernier jour ; certains ne vont pas mourir mais voudraient prouver que l’application peut se tromper et se donner la mort. Car le point le plus intéressant du livre est là : d’après ce que les personnages en disent, Death-Cast ne s’est jamais trompé.

 

Si l’on vous dit que vous allez mourir aujourd’hui, c’est que vous allez mourir. Viennent alors toutes sortes de questionnements (dont certains sont posés dans le roman, d’autres sont facilement déduits par le lecteur) : Comment peuvent-ils le savoir ? Est-ce une conclusion tirée d’un enchaînement de causes, comme on prévoirait qu’il va pleuvoir, ou est-ce une sorte de message divin ? Pourquoi, sachant qu’on va mourir, personne n’a jamais réussi à se mettre à l’abri ? Et surtout : est-ce que je serais vraiment mort si on ne m’avait pas dit que j’allais mourir ? Comme plusieurs histoires sont évoquées dans le récit de cette journée, il y a plusieurs hypothèses.  Concernant la dernière question, c’est vraiment une impression que l’on peut avoir grâce à la construction du roman. Plusieurs fois, on a réellement l’impression que c’est le fait de savoir que notre mort arrive qui la provoque.

 

Je ne dirai évidemment pas quelle réponse le livre y apporte, mais il nous plonge dans le problème passionnant qu’on appelle les prophéties auto-réalisatrices. La plus connue est celle d’Œdipe, que je rappelle rapidement : comme il est dit à Laios et Jocaste que leur fils tuerait son père et épouserait sa mère, ils l’abandonnent. Recueilli par un couple, Œdipe grandit en croyant que ce sont ses vrais parents. Lorsqu’il apprend la prophétie dont il est victime, il décide de fuir ses parents adoptifs (qu’il prend pour ses vrais parents) pour empêcher la prophétie de se réaliser. En chemin, il tue un homme (son père) et sauve une ville dont il épouse la reine veuve (sa mère). Il est évident que si ses parents, à l’origine, n’avaient pas connu la prophétie, elle ne se serait jamais réalisée, puisque c’est justement l’ignorance de ses origines qui pousse Œdipe à agir.

 

Je reparlerai bientôt du problèmes de telles prophéties dans un épisode de Geekosophie Magazine. En attendant, bonne lecture !

lundi 12 juillet 2021

Jurassic Park (est-ce que j'ai besoin d'en dire plus ?)

 

Ca faisait longtemps que je n’avais pas eu un vrai coup de cœur à chroniquer, alors je me réjouis de pouvoir faire cet article sur Jurassic Park de Michael Crichton. Je me doute que vous connaissez l’histoire de Jurassic Park, au moins l’histoire, ou au moins le film, mais pas forcément le livre. Au cas où vous seriez enfermé dans une grotte depuis un million d’années, je le précise quand même : c’est l’histoire d’un gars qui clone des dinosaures pour faire un parc d’attraction. C’est vrai que le film est génial mais je n’ai jamais été une énorme fan non plus. En revanche, je n’ai pas peur de dire que le livre va se retrouver vite fait bien fait dans un cours l’année prochaine, probablement sur la nature, la technique ou la science (Futurs élèves, vous êtes prévenus).

 

Il y a plusieurs petites différences de scénario avec le film mais je ne pense pas que ce soit utile de les préciser, d’autant plus que ça risque de dévoiler bien plus que de servir ce que j’ai à en dire. La fin m’a surprise, je ne dirai pas en quel sens, mais j’ai beaucoup aimé. En fait, je crois même que connaître le film m’a aidée à être surprise parce que je ne m’y attendais pas alors que j’aurais pu mis attendre avec le livre seul.


 

Il y a deux points que j’ai particulièrement adoré. Tout d’abord, le fait que l’objectif du roman est très clairement de proposer une réflexion sur les limites de l’humain ; notamment de la technique face à la nature. Contrairement à Descartes qui disait que la technique nous rend « comme maître et possesseur de la nature », tout le roman va viser à démontrer qu’on ne l’est pas et que la nature finit toujours par nous échapper, parce qu’elle est d’une puissance totalement indomptable. Le débat que Crichton a indirectement avec Descartes est repris au travers de deux personnages :

 

- John Hammond, le créateur du parc, qui prend la place de Descartes, et refusera jusqu’au bout d’admettre qu’il y a un problème avec son parc et qu’il en a perdu le contrôle. Il restera intiment persuadé jusqu’à la fin que tout ce qui se passe n’est qu’un petit indicent, que son parc pourra ouvrir, que ce sera une attraction formidable et que les dinosaures lui appartiennent pleinement.

 

- Ian Malcolm, le « Cassandre » de l’histoire, qui dès le début (même avant le début du livre puisqu’on apprend qu’à l’origine du projet il était déjà là) dit qu’une catastrophe va se produire mais que personne ne veut croire. Parce que c’est un mathématicien, un peu philosophe, et que de l’avis de tous il est « perché », comme dirait mes élèves.

 

Et l’opposition de ces deux personnages est le deuxième point que j’ai adoré. Par ailleurs, la construction générale du roman est tout aussi intéressante, avec les petits problèmes qui s’accumulent au fur et à mesure, entrecoupés de chapitres ironiquement intitulés « Contrôle ». J’ai aussi été amusée de lire les descriptions des dinosaures : toujours représentés dans des teintes brunes, ici ils sont plein de couleurs, certains ont une peau semblable à celle du léopard, d’autres ont des couleurs vives comme du rouge ou du bleu. C’est d’autant plus amusant que quand j’étais en CM1, mon instituteur nous avait dit que les dinosaures étaient peut-être roses à pois et qu’on ne le saurait jamais, et je m’en souviens encore aujourd’hui.

 

Je ne peux que recommander cette lecture. En tant que thriller, il est captivant. Il ne faut juste pas avoir peur des passages théoriques sur le fonctionnement de la nature et les théories mathématiques proposées par Malcolm, qui pourraient en refroidir certains. Mais ce serait dommage, car l’ajout de cet aspect scientifique en fait vraiment un ouvrage exceptionnel.