Bonjour à tous, bienvenue à notre rendez-vous mensuel sur les romans populaires à thèmes. La dernière fois, nous avons parlé de politique, des questions souvent posées dans les dystopies, genre de prédilection pour interroger les questions de société et de gouvernement.
Aujourd’hui, nous allons
parler de l’identité personnelle. A nouveau, j’ai une liste de quatre romans ou
sagas, de très belles œuvres, car, au fond, la question de l’identité, la
question de savoir qui l’on est, ce qui nous définit, est une très belle question.
En philosophie, l’identité personnelle pose deux questions principales :
qu’est-ce qui fait que je reste la même personne au cours du temps ?
Et : mon identité réside-t-elle essentiellement dans mon corps ou dans mon
esprit ?
La dernière fois, nous avons
vu que la dystopie, société imaginaire d’un futur proche, souvent suite à une
catastrophe et répondant à un besoin de reconstruire la nation, était le genre
de prédilection des réflexions politiques. Pour l’identité personnelle, nous
avons de grandes opportunités en science-fiction et dans le fantastique.
Problème de la temporalité, de notre changement au cours des années : quoi
de mieux qu’un voyage dans le temps, qu’un personnage qui se rencontre
lui-même, pour savoir si l’on est toujours le même ? Problème du lien
entre le corps et l’esprit : le fantastique permet de mieux interroger
l’esprit, au travers des fantômes ou de métamorphoses du corps, et la
fabrication de robots humanoïdes, presque aussi développés qu’un humain, amène
parfois à les confondre avec des humains véritables.
J’ai adoré tous les romans dont je vais parler ici. Comme la dernière fois, direz-vous, et c’est normal, je parle essentiellement de romans que j’ai adorés. Mais j’insiste quand même : ils valent le détour.
Notre premier roman est Réincarnation Blues de Michael Poore. Lu, pour la petite anecdote, en pleine nuit de février, quand j’étais malade et que je n’arrivais pas à dormir. L’histoire de Milo, qui est mort… plusieurs fois. Les âmes ont le droit de vivre jusqu’à dix mille existences pour essayer d’être digne du Paradis : du bonheur éternel. Tant qu’ils n'en sont pas dignes, ils recommencent… ils choisissent une vie, la vivent, puis meurent. Milo approche de sa dix millième existence et a besoin de parvenir à cette dignité. Pour cela, il lui faut vivre une vie pleinement morale. Milo a donc déjà été un homme, une femme, un insecte, un américain, un indien, un africain, un enfant mort à dix ans, un astronaute du futur, un moine bouddhiste du passé. Au milieu de toutes ces existences, qui est vraiment Milo ? Est-ce cette âme désincarnée qu’il devient après chaque mort, avant de renaître ? Ou n’est-il vraiment Milo que lorsqu’il s’est incarné en quelque chose ? J’ai choisi de parler de ce livre dans le thème de l’identité, mais il est extrêmement riche : il peut illustrer aussi le temps, l’existence, ou le bonheur.
Deuxième suggestion, L’échange de d’Alan Brennert. Rick et Richard sont la même personne : ils sont simplement deux versions d’eux-mêmes. Quand Richard était jeune, il rêvait d’être acteur, et sa petite amie est tombée enceinte. Il a renoncé à son rêve de comédies musicales et est resté auprès d’elle pour élever leur enfant. Mais dans une sorte de réalité parallèle, Richard a abandonné sa petite amie qui a avorté ; il est parti à New-York et est devenu une star de Broadway. Un soir, alors que Rick revient dans sa ville natale pour un enterrement, les deux versions se croisent et se reconnaissent. Chacun semble avoir vécu le rêve de l’autre : Richard souffre d’avoir abandonné sa passion, Rick souffre d’être seul, sans femme et sans enfant. Alors, ils échangent leur vie. Dans cette histoire, il s’agit bien de la même personne. Pourtant, tout le monde se rend compte que l’un et l’autre ont « changé » : il est facile de remarquer que ce n’est plus Richard qui vient travailler le matin, que ce n’est plus Rick qui va chanter au théâtre. Que signifie, dans ces conditions, l’identité ? Ils sont la même personne, un seul choix a les a fait partir dans des directions opposées, et pourtant ils sont différents. Faut-il en conclure qu’ils ne sont pas la même personne ? Que ce sont nos choix uniquement qui déterminent notre identité personnelle ?
Passons à
une trilogie de science-fiction, ou de dystopie, classez-la comme vous
préférez. Dans la société du futur qui constitue de cadre de la trilogie Effacée
de Teri Terry, les délinquants ont leur mémoire effacée, ils se voient attribuer
une nouvelle identité, une nouvelle famille, et recommencent leur vie sous la
surveillance d’un bracelet qui évalue leur niveau de bonheur. Si leur niveau de
bonheur est trop bas, ils sont tués : la souffrance mène à la violence (ou
au côté obscur, comme dirait Maître Yoda, et elle doit être évitée.) Pour notre
sujet, je n’ai pas besoin de raconter l’intrigue autour du personnage
principal. La question de l’identité apparaît immédiatement : ces
délinquants « effacés » sont-ils toujours les mêmes personnes ? Leur
mémoire a été complètement effacée, mais leur corps est toujours là. Leur
esprit, en un sens, est le même : on n’a pas extrait leur esprit de leur
corps pour en mettre un autre, on a simplement « corrigé » celui qui
était déjà en place. La quête de vérité des personnages sur leur passé se
présente comme une quête d’eux-mêmes. Mais en découvrant qui ils étaient,
accepteront-ils que cette personne qui leur est étrangère est bien eux ?
Finissons
avec un roman auto-édité, l’un des thrillers de science-fiction les plus
parfaits que j’aie pu lire. Habeas Corpus de Victor Boissel tient lieu
dans un monde où n’importe qui, pourvu qu’il ait assez d’argent, peut choisir
d’échanger son corps avec un autre. Rester toujours jeune, changer totalement
d’apparence, être plus beau ou plus banal, tout est possible. Mais qui suis-je
au milieu de tous ces corps ? Est-ce que je reste la même personne en
passant d’un corps à l’autre ? Et quand un meurtre est commis, quand il
faut rechercher le coupable, trouver un responsable : qui aura la
responsabilité d’un crime qui a pu être commis par les mains (au sens
littéral) d’un corps qui n’est pas le nôtre ? Absolument brillant et bien
écrit, le dénouement vous fera vous poser beaucoup de questions sur l’identité.
Voici pour finir les liens vers les chroniques des romans dont j’ai déjà parlé, pour plus de détails :
Réincarnation Blues ** Habeas Corpus
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