mardi 20 octobre 2020

Idées de lecture : la politique

 Bonjour et bienvenue sur cette nouvelle série d’articles, où je choisirai une fois par mois un thème, pour lequel je vous présenterai plusieurs romans populaires (je précise romans populaires, ce qui inclut des romans jeunesse, mais qui exclut les classiques).

 

Le thème d’aujourd’hui, ce sera la politique ! Avant de parler de romans, je vais préciser la notion que j’ai choisie, en expliquant les questions qu’elles soulèvent, questions soulevées également dans les romans ci-dessous. La politique désigne le fait de gouverner un groupe (à l’origine, on disait une cité : polis en grec, d’où vient le mot politique, signifie la cité : une grosse ville qui avait son propre régime). Dans la tradition philosophique, ce gouvernement peut avoir deux significations : soit le fait de guider la cité vers le meilleur, vers le Bien ; soit, tout simplement, en garantir l’unité et conserver le pouvoir. Ces deux conceptions sont celles, respectivement, de Platon et Machiavel. Platon définit la politique comme la Science du Bien : l’homme politique, le dirigeant, doit posséder le savoir de ce qui est le mieux pour chaque individu, afin que la cité fonctionne et que chaque citoyen soit heureux. Pour Machiavel, cet idéal est, justement, trop idéaliste : il oppose à la Science du Bien un réaliste art de la guerre. Le rôle de l’homme politique, pour Machiavel, est de prendre le pouvoir et de le conserver, quitte à utiliser pour cela la ruse, la force et la tromperie. Ne prenez pas immédiatement Platon pour le gentil et Machiavel pour le méchant : l’un et l’autre posent problème, tout en apportant une certaine vérité.

 

Oui, l’idéal de Platon est beau et correspond à ce que devrait être une société pleinement humaine. Mais si on oppose en général idéalisme et réalisme, c’est que les deux ne vont pas ensemble. Comment trouver un tel homme politique, qui aurait la connaissance de ce qu’est le Bien, la connaissance de la place à attribuer à chaque individu de la société, une connaissance si parfaite qu’elle serait suivie par tous sans la moindre protestation ? Car chez Platon, il n’est pas question de force pour faire respecter la loi : l’homme politique proposerait une organisation si parfaite que personne n’aurait seulement envie de s’en détacher. Appliquée à notre imparfaite humanité, on voit bien ce que cela donnerait : un homme qui penserait avoir la connaissance suffisante pour gouverner une cité de cette façon serait, au mieux, un despote, qui prend les citoyens pour ses enfants, et ne leur laisse aucune liberté. Bien sûr, personne ne pourrait plus se tromper : mais l’erreur n’est-elle pas essentielle à la formation de l’identité personnelle ?

 

Passons à Machiavel, le méchant Machiavel, dont le nom a donné l’horrible adjectif machiavélique : comme celui qui est mauvais, sournois, et prêt à toutes les horreurs pour arriver à ses fins. En réalité, Machiavel ne dit pas que l’homme politique doit se laisser aller à toutes les horreurs, mais qu’il doit tout faire pour garder le pouvoir. Cela risque bien d’amener à la tromperie ou à l’usage de la force : mais cela ne doit avoir lieu que lorsque c’est absolument nécessaire. Le problème, pour un Machiavel témoin des nombreux coup d’Etat et changements de régimes politiques de son époque, est qu’une cité ne peut prospérer sans un gouvernement stable (c’est le sens de l’Etat : ce qui dure, ce qui reste en place). Il faut donc que le pouvoir politique se maintienne. C’est le premier Bien politique. Or, pour Machiavel (et vous serez sans doute d’accord avec lui), il est inévitable que des individus essaient d’arracher le pouvoir à celui qui l’a déjà : telle est la nature des hommes, qui ne se laissera guider ni par le Bien, ni par la Vérité. Les émeutes et les révoltes sont ce qu’il y a de plus dangereux. Le souverain devra donc parfois mentir pour que le peuple reste calme, parfois faire usage de la force pour se faire respecter. Machiavel ne prétend pas écrire un manuel de tyran : ce qu’il suggère tient à sa conception de la nature de l’homme, fondamentalement mauvaise selon lui.

 

Voilà quatre romans (ou sagas) qui interrogent ces questions politiques.

 


Entre chiens et loups, La couleur de la haine, Le choix d’aimer sont les trois tomes d’une trilogie dystopique (la dystopie, en tant qu’elle crée un système politique totalement inédit, est la forme littéraire la plus efficace pour parler des questions de société ; un seul des livres proposés ici n’en sera pas une). La société est divisée entre les noirs et les blancs, qui ont une place inverse par rapport à celle que nous connaissons : dans cette société, les noirs sont les puissants, les blancs sont opprimés, ont les pires boulots, et n’ont pas le droit d’intégrer les lycées de noirs, ceux de l’élite. Comme toujours dans un tel système parfaitement injuste, les Nihils (ainsi qu’on appelle le peuple blanc) va se révolter. C’est chez eux que réside le problème politique : pour une cause aussi juste que l’égalité entre les noirs et les blancs, est-il permis de tuer, de kidnapper, de torturer ? Peut-on faire exploser un centre commercial rempli d’innocents pour exprimer notre mécontentement ? D’un autre côté, pendant des années, de beaux discours ont essayé de rendre raison aux dirigeants, mais rien n’y fait. Alors, où se trouve la limite entre ce qui est permis ou non pour défendre une cause, aussi juste soit-elle ?

 


Silo, une nouvelle trilogie, propose une réflexion proche de la première, sur le rapport entre la fin visée et les moyens utilisés, mais interroge cette fois la fin elle-même. Si dans la première trilogie, l’idéal visé (égalité des hommes quelle que soit leur couleur de peau) est évidemment souhaitable, celle-ci peut être contestée : la sécurité est-elle un idéal suffisant pour justifier mensonges et tromperies ? Pour justifier la mise à mort de ceux qui découvrent la supercherie ? L’histoire des silos commence longtemps après une explosion nucléaire violente : l’air est pollué et irrespirable. Quiconque voudrait quitter les silos risque de mourir, et de tuer au passage tous les habitants, si l’air infecté venait à entrer. Alors, en châtiment de ceux qui sèment le trouble, on ne fait rien d’autre qu’exaucer leur vœu : ils sortent, et meurent. Il suffit seulement d’avoir une fois formulé le souhait de s’échapper pour y être condamné : pas besoin d’essayer concrètement de le faire. Mais les mensonges vont être peu à peu dévoilés, et les idéaux des hommes politiques ne tiendront pas face à la frustration d’avoir été trompé.

 


Neuroland et sa suite L’homme qui haïssait le bien ne sont pas une dystopie, mais des thrillers se passant dans le monde actuel (avec peut-être quelques anticipations médicales et scientifiques). Après des attentats islamistes à Paris, un policier culpabilisant de ne pas avoir réussi à faire usage de la force pour arracher les informations à l’otage devient une proie facile pour un gouvernement prêt à instaurer un régime autoritaire. Nous avons de nouveau notre conflit entre la fin et les moyens : la sécurité vaut-elle que toutes nos pensées soient à la merci des politiques ? Mais en réalité, ce livre aurait bien pu s’appeler « comment les politiciens finissent toujours par s’en sortir. » Au cours de l’histoire, vous verrez avec regret et frustration les hauts dirigeants soutenir chaque mensonge, chaque crime chaque illégalité de leurs alliés en invoquant toujours la fameuse « raison d’Etat » : ce moment où l’Etat se place lui-même en hors-la-loi, pour garantir sa propre conservation. Thriller passionnant, chaque tome interroge, en plus de cette question politiques, des problèmes moraux, notamment sur l’usage de la médecine.

 


Enfin, je vais parler de mon propre roman, parce que si je l’ai écrit c’est justement pour interroger un problème politique, et même si je me sens minuscule à côté des chefs-d’œuvre que j’ai cités précédemment, je ne voudrais pas l’avoir écrit pour rien. La Loi de Gaia est une dystopie se passant après une guerre. Mais pas n’importe quelle guerre : une guerre juste, qui avait pour but d’anéantir le crime. Car les criminels étaient tous issus du même pays, jamais nommé, et exterminer la population était le meilleur moyen de faire disparaître le crime à tout jamais. Plus de meurtres, plus de viols, plus de kidnapping, plus de torture. Tout cela a disparu. Il reste néanmoins quelques représentants de ce pays de criminels : ce sont les tatoués, des esclaves sur qui les propriétaires peuvent passer leurs nerfs s’ils le veulent, au nom de toutes les victimes. Bien sûr, cette stratégie politique, qui vise à exclure une communauté sous prétexte qu’elle est majoritairement composée de nuisibles (comme le fait Mufasa, le roi lion, avec les hyènes…) est toujours un mensonge : on force la population à avoir peur de ceux qui ont été désignés comme nuisibles, et qui se composent également d’innocents. Et nous avons de nouveau notre problème habituel : quelques innocents peuvent-ils être sacrifiés pour anéantir le mal ?

 

J’espère que ce premier article vous a plus. Je vous mets pour finir les liens vers les chroniques des livres dont j’ai déjà parlé sur le blog :

Entre chien et loup ** Silo ** Neuroland et L'homme qui haïssait le bien

 

Bonne lecture à vous !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire