Les
vacances se terminent, occasion d’une chronique sur un livre de neurologie. J’ai
déjà parlé de Sébastien Bohler, dont j’ai lu les deux romans Neuroland et L’homme qui haïssait le bien. C’est parce que j’ai adoré ces romans
qu’on m’a recommandé Le bug humain, un essai cette fois, sur la pollution
et l’environnement. J’avoue que j’avais un peu peur au début, parce que j’ai du
mal avec la propagande « écologiste » très à la mode, bien que ces
questions m’intéressent quand elles sont traitées d’un point de vue
scientifique – ce qui était exactement le cas avec ce livre, d’où le fait que
je le recommande !
Bien
qu’il soit présenté comme un livre sur l’écologie (marketing…), il s’agit bel
et bien d’un traité de neurologie. Il explique le fonctionnement d’une zone
particulière du cerveau, le striatum, et montre que cette petite zone de notre
cerveau est entièrement responsable du cycle production-consommation excessif
dans lequel nous vivons. Les explications sont très simples et accessibles (c’est
le premier livre de neurologie que je lis et j’ai tout compris) et elles
mettent en avant le fait que la science actuelle réfléchi à des questions vieilles
de plusieurs siècles.
Plutôt
qu’une chronique qui n’apporterait pas grand-chose, je vous en propose une
petite synthèse, en espérant que cela vous donnera envie d’en savoir plus en
lisant directement le livre. Bohler commence par exposer les objectifs primaires
du cerveau humain, objectifs liés à la survie : manger, se reproduire et
acquérir du pouvoir avec un minimum d’effort. Tels sont les trois buts de notre
cerveau, gérés par ce qu’on appelle le striatum : c’est une partie du
cerveau qui n’est, chez l’homme, pas plus développée que celle d’un rat ou d’un
singe. Autrement dit, le striatum de l’homme n’a pas évolué ; en revanche,
le cortex de l’homme est devenu immense : c’est ce déséquilibre qui va
poser problème.
Le
livre est construit en trois parties : dans un premier temps, l’auteur
explique le fonctionnement de ce striatum. Dans un deuxième temps, il explique
en quoi il est responsable de notre incapacité à maîtriser le cycle de
production-consommation dans lequel nous sommes pris au piège et qui conduit à
la destruction de la planète. Enfin, dans une troisième partie, il propose deux
solutions pour essayer d’y remédier malgré tout.
Voici,
de façon très résumée, le fonctionnement du striatum : les neurones du
striatum libèrent de la dopamine, la molécule qui produit le plaisir, chaque
fois qu’un des objectifs primaires listés précédemment est satisfait. C’est ce
phénomène qui nous pousse à l’action, ce qui n’est pas un mal puisque ces
objectifs sont tous nécessaires à la survie générale de l’espèce. Bohler cite
même une expérience faite sur des souris à qui on a enlevé les neurones qui
produisent la dopamine : une fois l’opération effectuée, les souris
cessaient de s’alimenter, même si elles avaient faim (ce qui peut se mesurer
objectivement à partir des réactions de leur estomac). En effet, malgré la
faim, les souris n’avaient plus l’envie de manger et se laissaient
mourir. Le striatum humain fonctionne comme celui des souris puisqu’il n’a pas
évolué : c’est donc aussi lui qui nous pousse à l’action.
La
différence, comme je l’ai évoqué avant, c’est que l’être humain est doué d’un
cortex beaucoup plus développé que celui des autres animaux. Le cortex est ce
qui permet le langage, l’intelligence, l’imagination ou encore les
constructions techniques. Le problème, c’est que cet outil formidable de notre
cerveau est sous le contrôle du striatum : il sera donc essentiellement
utilisé pour assouvir ces mêmes objectifs primaires, de façon totalement disproportionnée.
Pour expliquer cette disproportion, Bohler approfondit l’étude du striatum,
dont le fonctionnement est plus complexe qu’une simple production de plaisir
quand nous avons à manger.
En
fait, le striatum utilise un système de récompenses : il anticipe le résultat
de l’action que nous allons faire et réagit différemment selon si le résultat réel
est conforme ou non à l’anticipation. Si le résultat est inférieur à ce qui a
été anticipé, le striatum nous envoie un « châtiment », qui peut se
traduire par un sentiment de peine ou une baisse de l’estime de soi. Si le
résultat est supérieur à ce que le striatum avait anticipé, il libère de la
dopamine, provoquant du plaisir. Enfin, si le résultat est conforme à l’anticipation,
il ne se passe rien. Or, là est tout le problème : on ne peut se contenter
de ce que l’on a, ou de rester au même niveau de vie, car dans ce cas nous n’obtenons
pas la récompense de notre cerveau. C’est pourquoi il nous en faut toujours
plus : plus d’argent, plus de like sur les réseaux sociaux, plus de
nourriture, plus de confort (n’oublions pas que le cerveau cherche aussi à
faire le moins d’efforts possibles).
Cette
idée m’a particulièrement intéressée parce qu’elle reprend, dans le langage
scientifique contemporain, une thèse très célèbre du philosophe Schopenhauer du
XIXème siècle. Schopenhauer est connu pour son pessimisme et sa vision plutôt
déprimante de l’existence humaine. Selon lui, l’homme ne peut pas trouver le bonheur,
parce qu’il est prisonnier du désir. Le désir est une souffrance, parce qu’il
est l’expression d’un manque (en effet, je désire uniquement ce que je n’ai
pas) ; c’est une souffrance infinie, car à peine un désir est satisfait,
un nouveau renaît. On voit à présent l’explication neurologique de ce phénomène :
à chaque fois que j’ai obtenu ce que je désirais, le striatum augmente son
niveau d’exigence et, pour le même niveau de plaisir, il m’en faudra plus la
prochaine fois.
Dans
la troisième partie du livre, Bohler propose deux solutions pour essayer de
contrer malgré tout ce phénomène inconscient qui nous force à agir et désirer.
Les deux solutions sont très proches de celles proposées, entre autres, par
Platon ou Bergson. Il commence par remarquer que les religions ont toujours été
des tentatives de détournement de ces besoins primaires (notamment sexuels,
même s’il remarque que les sept péchés capitaux ont bien tous un lien avec les
objectifs primaires du cerveau), ce qui fait écho à un autre livre que j’ai lu
en parallèle, De la démocratie en Amérique, où Tocqueville rappelle l’importance
de la religion dans ce nouveau système politique qu’est la démocratie : si
l’égalité conduit les hommes à faire excès des biens matériels (parce qu’il
savent pourvoir posséder plus, ils en attendent plus), la religion
ultra-présente aux Etats-Unis du XIXème siècle leur permet de garder en vue
quelque chose de spirituel, qui temporise cette frénésie de la jouissance. Cependant,
la religion n’a pas réussi, à long terme, à s’opposer complètement au striatum,
car la force de la volonté est insuffisante face à des millions d’années d’évolution
de notre cerveau.
La
première solution consiste à prendre le striatum à son propre jeu : non
pas s’y opposer, ce qui serait vain (refuser tout désir ne fonctionne pas),
mais détourner ses efforts vers l’altruisme ou la connaissance plutôt que vers
les besoins primaires. Les études montrent que le système de récompense du striatum
s’active également avec la connaissance (apprendre quelque chose, réussir un
exercice de maths, obtenir les félicitations de ses parents ou un bon point à l’école
libère également de la dopamine) et avec l’altruisme, pourvu que l’éducation
ait été en ce sens (quand un parent félicite son enfant d’avoir partagé son
gâteau avec son voisin, il conditionne le striatum de l’enfant à s’activer
quand il fait quelque chose de bien). Dans un dialogue appelé le Phèdre,
Platon décrit l’âme humaine comme un attelage composé d’un cocher et de deux
chevaux : un cheval, la raison, est calme et obéit au cocher, tandis que l’autre,
la passion, est un cheval fou qui court dans tous les sens. A la place du
cocher, il ne faudrait pas essayer de retenir le cheval fou, car nous n’aurions
pas assez de force (de même que je ne peux m’opposer à mon striatum
indéfiniment, quand il provoque chez moi l’envie de manger). Ce qu’il convient
de faire avec ce cheval fou, c’est de l’amener à suivre la même voie que le
cheval calme : il faut que nos passions s’alignent sur la raison. Ainsi,
je n’ai pas de sentiment de frustration, puisque j’assouvis mes passions ;
il n’y a pas non plus de danger, puisque ces passions sont dirigées sur ce qui
est bien.
L’autre
solution proposée consiste à essayer de prendre conscience de ce qui est
inconscient. Le fonctionnement du striatum et les actions qu’il nous conduit à
faire sont en effet inconscientes (au sens de Bergson, c’est-à-dire mécanique) :
la plupart du temps, nous mangeons en discutant, en regardant la télé, en pendant
à autre chose, mais nous ne prenons jamais pleinement conscience de notre
action de manger. Peut-être faudrait-il alors reprendre conscience de nos
actions : réfléchir à ce que nous sommes en train de faire quand nous
mangeons, y penser, profiter pleinement de notre action et prendre du plaisir à
cela au lieu de rester dans l’automatisme.
J’espère
que ma synthèse est fidèle au livre (il me semble avoir bien compris, mais
malheureusement, on n’est jamais à l’abri d’une erreur…) et surtout qu’elle vous
donnera envie de vous y plonger. Si cela vous effraie, sachez que ce n’est pas
un pavé (il fait moins de 200 pages) et qu’il est assez amusant : il évoque
des expériences personnelles et des expérimentations scientifiques, on ne s’y
ennuie pas.
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