Je vais profiter de cette chronique sur La Communauté des esprits, deuxième tome de la trilogie de la Poussière de Philip Pullman (préquel et suite de
A la croisée des mondes), pour parler un peu plus précisément de
l’auteur et de son rôle (majeur) dans le début de ma vie d’auteur mi-romancière
mi-philosophe.
J’ai découvert Philip Pullman à 13 ans avec Les Royaumes du Nord,
comme beaucoup d’autres. Pour être très
précise, c’est ma prof de latin qui me l’avait prêté parce que j’étais
sur le point de publier mon premier livre dont l’histoire lui avait un peu
fait penser à ça et qu’elle pensait que je m’en étais inspirée. Enorme
compliment, ce que j’ignorais à l’époque bien sûr. Je ne peux donc pas dire que
c’est Pullman qui m’a donné l’envie d’écrire puisque je l’ai découvert
trop tard. En revanche, je peux dire que cet auteur est mon modèle absolu.
Les Royaumes du Nord
n’ont pas été un coup de cœur. Loin de là. C’est un livre que j’ai lu et bien aimé, sans
plus. Je me l’explique clairement puisque, contrairement à la quatrième de
couverture qui indique « à partir de 10 ans », je pense sincèrement
qu’il est impossible de comprendre
correctement ce livre à cet âge-là. J’avais lu l’histoire d’une petite fille
qui se promenait avec son animal de compagnie, qui rencontrait des ours et des
sorcières. A aucun moment je n’y ai vu des enfants mutilés par l’Eglise parce
que ces derniers craignent de voir apparaître le désir sexuel chez eux.
Pourtant, certains éléments de cette lecture m’étaient restés en tête. Et
c’est quelques années plus tard, en découvrant la philosophie, que beaucoup de
choses ont commencé à s’éclairer : la Poussière et le désir, que les
stoïciens ou la morale chrétienne visent à supprimer comme s’il était la source
de nos malheurs ; le concept d’aletheia, la révélation de ce qui est
caché, que dévoile l’aléthiomètre, lecteur de vérité ; le démon de
Socrate, qui lui indique ce qu’il doit faire ou non, que nous avons tous même
s’il est caché, comme le daemon de Will ; le pharmakon, qui désigne
un objet dont on peut avoir un bon et un mauvais effet, qui reflète parfaitement les effets du poignard subtil. Je n’ai pas pu dire que Pullman
m’avait donné envie d’écrire, mais je crois que c’est grâce à lui que je me suis
spécialisée dans le roman YA « philosophique ».
Ça a commencé avant que je connaisse la philo. Je ne pouvais pas vraiment
mettre de mot-là dessus mais, inconsciemment, je crois que j’avais compris
comment fonctionnaient ses romans : on le lit à un certain âge, on ne
comprend pas tout. Puis, au fur et à mesure de l’existence, des études ou
d’autres lectures, on découvre tout ce qui y était caché. Quand j’étais en
seconde, j’ai écrit un roman où un personnage se retrouvait dans un livre. J’y
avais dissimulé beaucoup de notions qu’on voyait en cours de français, parce
que je trouvais ça amusant, et que je voulais que le roman résonne dans la tête
de ceux qui suivent leurs cours de français. Un peu comme ça a été le cas avec
Pullman et les cours de philo pour moi. Je pense que quand j’ai commencé à
écrire Masques, en 2011 (il est sorti en 2017, gros travail !),
c’était clairement lui que j’avais en tête. C’est un roman fantastique young
adult, une quête de reliques religieuses à la Indiana Jones, que l’on peut
lire simplement pour l’histoire, ou que l’on peut lire pour réfléchir sur la
liberté d’être ce que l’on veut, contre un déterminisme social qui nous enferme
dans un rôle et dans le regard des autres.
Je n’aime pas particulièrement la fantasy, alors A la croisée des
mondes ne sera jamais un modèle en ce sens-là. Je n’écrirai pas plus de
fantasy. Mais, avec mes goûts, mes domaines de spécialité et mes connaissances,
je continuerai à écrire des romans autour de réflexions philosophiques. Et en
parlant de réflexion philosophique, il est temps d’aborder la complexité
exceptionnelle du dernier tome sorti de la saga, la Communauté des esprits.
On y retrouve Lyra qui a vingt ans et désormais la capacité de se séparer
de son daemon, Pantalaimon. Entre eux, ça ne va pas fort : depuis que Lyra
s’est mise à lire le roman d’un philosophe matérialiste, elle en vient à croire
que tout ce qui relève de l’esprit, de l’âme, de l’interprétation n’existe pas.
D’autres philosophes de la même branche vont jusqu’à prétendre que les daemons
n’existent pas, qu’ils ne sont qu’une projection du cerveau visant à combler un
manque. Ils détruisent de façon apparemment très rationnelle toutes les preuves de
leur existence.
Vous l’aurez compris, c’est sur ce sujet que le livre va porter (d’où son
titre) : l’esprit existe-t-il ou tout peut-il s’expliquer matériellement ?
Entre les gitans qui croient à une communauté des esprits, parfois maléfique,
parfois faite pour nous guider, et les philosophes matérialistes qui nient l’existence
d’autre chose que de la matière, Lyra doit faire son chemin, séparée de
Pantalaimon qui est convaincu qu’on lui a volé son imagination.
Le livre est très épais, il se
passe énormément de choses et on y suit plusieurs personnages. Il est beaucoup
plus complexe que ne l’était le tome précédent, La Belle sauvage, et
rejoint en cela Le miroir d’ambre, qui était rempli de considérations
théologiques que j’ai encore du mal à comprendre aujourd’hui. Un texte dans l’ensemble
passionnant qui m’a donné envie d’enfin comprendre cette saga, et d’acheter un
livre d’analyse (en anglais, malheureusement, mais je suppose que j’arriverai à
comprendre deux trois trucs quand même !)
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