Bonjour
à tous !
On
se retrouve aujourd’hui exceptionnellement pour que je mette enfin au clair
quelques points qui semblent poser problème à mon entourage (j’inclus dans l’entourage
la communauté littéraire qui me suit sur les réseaux sociaux). Depuis peu je
suis entrée dans la mode de la pop-philo (parce que je le dis, c’est une mode,
et je n’ai pas honte d’être victime de cette mode). La pop-philo, pour rappel,
c’est quand quelqu’un qui s’y connaît en philosophie (souvent un prof de lycée,
et même souvent un prof d’un lycée de banlieue, pas du lycée élitiste de
centre-ville, détail qui a son importance selon moi) prend une œuvre populaire,
la plus populaire et surtout la plus commerciale possible puisqu’il faut quand
même vendre, et s’en sert pour expliquer des notions de philosophie très
compliquées. Bref, mode ou opération commerciale, je veux bien croire qu’elle
est aux antipodes de ce que doit être la philosophie.
Mais
en réalité, je ne rejette pas systématiquement ce qui est commercial. En fait,
dans mon entourage, je sais pertinemment que certaines personnes n’auraient
jamais pris la peine d’écouter la moindre phrase relevant de la philosophie s’il
n’y avait pas eu « Disney » ou « Pokémon » écrit à côté. Comme
ce qui arrive aux personnes que je connais n’est à mon avis pas unique, je
pense donc que si la curiosité naturelle qui pousse à se plonger dans la Critique
de la raison pure est rare, celle qui fera lire un livre expliquant la
philosophie à partir de Disney ou Harry Potter sera beaucoup plus fréquente. Et
peut-être (on l’espère tous à mon avis !) que cette première étape
conduira à vouloir ensuite lire quelque chose de plus difficile et surtout de
plus sérieux.
Notez
que j’ai bien dit « expliquer la philosophie à partir de Disney et
Harry Potter » et non pas « expliquer la philosophie de Disney
et Harry Potter ». En effet, je pense que le gros contresens de ceux
qui croient qu’on « cherche des trucs là où y’en a pas » (variante du :
« tu crois vraiment que l’auteur il a réfléchi à tout ça avant d’écrire ? »)
c’est justement ça : à aucun moment nous (je m’inclus dans les auteurs de
pop-philo puisque j’en fais partie) ne prétendons qu’il y a la moindre trace de
réflexion philosophique dans l’œuvre populaire étudiée. Bon, peut-être pas la
moindre trace : je pense que ça peut arriver qu’un passage de film ou de
roman essaie vraiment de poser un problème. Il n’empêche que ce n’est pas la
majeure partie, et que ce n’est pas ce qui nous intéresse ici. Le travail de l’auteur
de pop-philo est le même que celui du prof de lycée ordinaire, qui n’a pas
devant lui « l’élite » à qui la philosophie était réservée il y a
presque un siècle : expliquer de façon compréhensible et qui peut susciter
l’intérêt les problèmes et thèses principales des auteurs.
Pour
moi, il n’y a aucune différence entre, par exemple, le travail de Marianne
Chaillan dans Harry Potter à l’école de la philosophie et le procédé
utilisé par mon ancien prof en terminale (qui, au passage, s’est offusqué de
cette « piposophie contemporaine » qui essayait de faire croire qu’il
y avait de la philo dans Game of Thrones, prouvant par là qu’il n’avait
jamais ouvert un de ces livres… et dire que c’est lui qui m’a appris que la
meilleure façon de dire des conneries c’est de parler de ce qu’on a pas lu)
qui, pour nous expliquer par exemple la morale kantienne, nous disait : « Imaginez
par exemple que mémé Marcelle va mourir bientôt : est-ce qu’il est immoral
de le lui cacher ? » Je soutiens vraiment que c’est la même chose d’inventer
ainsi une situation ou de chercher un extrait de film ou de livre populaire où
il y a effectivement un personnage qui se demande si ce sera moral ou non de
mentir dans telle ou telle situation. L’œuvre populaire ne sert que d’exemple
pour illustrer une thèse, voire de moyen mnémotechnique pour des élèves qui ont
du mal à retenir les idées. De fait, si vous associez l’anneau de Gygès de
Platon à la cape d’invisibilité de Harry Potter, ça peut sans doute aider à
retenir.
Je
précise néanmoins que je serais parfaitement d’accord avec mon collègue cité
ci-dessus, si la pop-philo était effectivement ce qu’il décrit dans son article :
ce serait n’importe quoi, une façon de chercher des trucs où il n’y en a pas,
et la décadence de la philosophie si vous voulez. Mais, du moins dans mon
expérience, ce n’est pas le cas, et j’ai lu beaucoup de livres de pop-philo
parce que j’adore ça. Je vais quand même lui accorder que dans le tas, il y en
a forcément qui prennent au sérieux la pop-culture. Je suis d’ailleurs
extrêmement déçue par les essais plus récents de Marianne Chaillan, dont j’avais
adoré le livre sur Harry Potter. Notamment dans La playlist des philosophes,
sans doute par rejet de ceux qui se moquaient de son projet (et il y en avait,
elle le dit en introduction), elle a tendance à finir ses chapitres par quelque
chose du genre : « donc oui oui vous faites de la philo quand vous écoutez
Lara Fabian ! » Alors… euh… Non, en fait. Quand vous écoutez Lara
Fabian (que j’aime beaucoup par ailleurs), vous écoutez Lara Fabian. Ce qui n’empêche
pas d’illustrer comme elle le fait une thèse sur autrui avec ce qui est
effectivement dit dans « Tu es mon autre » de Lara Fabian et
Mauranne. Je reconnais malgré tout son très beau projet de « sauver »
la pop-culture, qui n’est pas faite pour les imbéciles non plus…
Ce
qui est vrai avec la philosophie l’est évidemment avec les autres domaines. J’ai
par exemple un livre sur « La science dans Star Wars. » L’auteur
va-t-il montrer qu’il y a de grandes théories physiques proposées et
expérimentées dans Star Wars ? Franchement, même si je ne l’ai pas encore
lu, je ne pense pas… A mon avis (et je le confirmerai quand ce sera lu puisque, très paradoxalement, je viens de critiquer ceux qui parlent de livres qu'ils n'ont pas lus) il va
utiliser certaines images du film pour illustrer (visuellement) des théories
physiques, notamment de physique quantique, extrêmement compliquées pour un
non-physicien comme moi (même si je connais les bases).
Deux
choses à bien comprendre donc, pour récapituler et conclure :
1)
La pop-philo,
dans sa majorité, ne prétend pas que l’œuvre populaire est d’une philosophie
égale à un vrai texte de philosophie. Et si certains prétendent ça, vous
pourrez effectivement répondre qu’ils « cherchent des trucs là où il n’y
en a pas. »
2)
En revanche, je
ne nie absolument pas toute qualité aux œuvres populaires. Je pense qu’il y a
une grande sensibilité par exemple dans les Disney, avec parfois des intuitions
très profondes sur certaines choses. Je pense aussi qu’il y a eu un énorme
travail de recherche et de réflexion dans l’écriture d’Harry Potter et que le
nier serait vraiment faire preuve de mauvaise foi. De là à dire qu’il y a de la
« philosophie » dedans, non. (Pour un rappel de ce qu’est la
philosophie, je vous renvoie à mon article précédent : La mousse est-elle vivante ?)
Alors,
oui, ceux qui liront auront peut-être l’impression qu’on les conforte dans leur
idée de la pop-culture a autant de valeur que la « haute » culture.
Mais est-ce que c’est vraiment la faute du livre s’il a été mal compris ?
On a bien vu les usages désastreux qui auront été faits de Nietzsche ou Marx…
En tout cas, pour ceux qui me suivent et me lisent, je ne pense pas (à moins d’une
erreur de formulation) que vous ne trouviez une seule phrase où je loue la
qualité philosophique interne à une œuvre de Disney : rien de plus que des
comparaison entre ce qu’ont dit les philosophes et ce qui se passe dans l’histoire.
Après tout, quand j’entends dix fois au cours d’un films « Mowgli, tu
ne dois pas utiliser d’objets techniques dans la jungle, ce n’est pas comme ça
que se comporte un animal », je trouve que c’est un bon exemple pour illustrer
la thèse de Bergson selon laquelle la technique est bien le propre de l’homme…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire