Ah, la liberté… Tout le monde en parle, et tout le monde en mélange les sens, et tout le monde est tout fier de la défendre. Ce doit pourtant être une des notions les plus difficiles qui sont abordées en classe de Terminale. Plus le terme est courant, plus chacun l’utilise à sa sauce, et plus il devient difficile pour les débutant d’arrêter de l’utiliser à leur sauce pour interroger ce qu’est véritablement la liberté. Et comme le disait Hegel : « Le bien connu, justement parce qu’il est bien connu, est mal connu. »
Bienvenue, donc, dans ce
nouvel article d’idées de lecture sur un thème de philosophie. Le thème de la
liberté est aussi nécessaire à traité que difficile, parce qu’il est au cœur
des plus gros contresens et conflits dans les débats politiques et sociaux
actuels. Les plus érudits s’empressent d’embrouiller tout le monde en
mélangeant les sens de liberté, et les plus honnêtes, perdus dans ce flou
lexical, finissent invariablement par répondre « c’est ma liberté et ça
dépend des gens » (comme les mauvais élèves…)
Voilà donc, en introduction,
les trois sens de la liberté. Ces trois sens, qui sont trois
« contextes » dans lequel on peut parler de liberté, sont, comme vous
le verrez, extrêmement différents :
1 _ La liberté politique, que
nous pouvons appeler indépendance. Est libre celui qui n’est pas
contraint dans son action. Vous avez envie de porter un crop top au lycée et le
règlement ne vous l’interdit pas, vous être libre. C’est cette définition de la
liberté qui ouvre les débats sur « la liberté des uns commence où s’arrête
celle des autres ». Réfléchir sur cette liberté se fait en philosophie
bien sûr, et en politique.
2_ Le libre-arbitre, ou la
capacité de choisir. Contrairement à la liberté politique qui est un fait, le
libre-arbitre est une capacité que nous attribuons à l’être humain. Contrairement
au chat qui, s’il a faim, ira manger ses croquettes, l’homme peut résister à sa
faim et choisir de ne pas manger, pour protester par exemple. Quand un être
humain choisit de faire quelque chose, il n’obéit pas forcément à la nécessité
naturelle. Toute la question sera de savoir si cette capacité propre à l’être
humain uniquement, au sein d’une nature entièrement déterminée, existe
réellement ou est une illusion. Ce sens de liberté est interrogé en
philosophie, en science (physique et biologie), en sociologie et dans le cadre
de la justice (certaines maladies mentales peuvent annuler le libre-arbitre).
3_ La liberté intérieure,
qu’on appelle autonomie. Libre sera celui qui est capable de résister à
ses propres désirs, à ses besoins, à ses envies, pour se comporter moralement,
selon le bien. Cette liberté s’oppose aux deux autres en tant qu’il n’est pas
un fait, mais une conquête. Si le libre-arbitre existe, vous être libre
d’office (au sens du libre-arbitre). Alors que la liberté au sens de l’autonomie
se gagne à force d’efforts et de réflexion. Par exemple, imaginons que vous
soyez enrôlé dans une secte : vous serez privé de votre liberté
intérieure, n’étant plus capable de réfléchir par vous-même. Cela ne changera
rien, d’une part, à vos libertés politiques, ni au libre-arbitre, que vous avez
toujours en vous. C’est la volonté de contredire votre gourou qui vous
manque. Ce sens de liberté est interrogé en philosophie, en psychologie et en
sociologie.
Maintenant que les
distinctions sont posées, passons à ce qui vous intéresse, la présentation des
livres !
Je vais commencer par la série
Divergente parce que… eh ben je ne l’ai jamais lue ! J’en parle
quand même parce que j’ai vu le film (le premier seulement, et je n’aime pas du
tout, donc je pense que je ne les lirai jamais) et que c’est une série très
populaire. Que je n’aime pas n’est pas ce qui est important ici. La société de Divergente
est une société où la liberté, entendue au sens de liberté intérieure,
dérange : les citoyens, quand ils sont jeunes, doivent choisir une
faction, un mode de vie, qui correspond à leurs capacités générales. Et une
fois qu’ils y sont, ils doivent se comporter comme les autres membres de leur
groupe durant le reste de leur vie. Par ailleurs, ils passent d’abord un test,
leur indiquant quelle est la faction qui leur conviendrait le mieux. Il est
même dit que, la plupart du temps, les enfants choisissent la faction dans
laquelle ils ont été élevés. Une parfaite reproduction sociale, dans laquelle
le pire danger, celui qui est chassé et anéanti, est l’existence de
« divergents », des personnalités trop libres pour être enfermées
dans une identité précise. Le contexte politique et social de cette dystopie
est donc on ne peut plus intéressant. Si je n’ai pas aimé, c’est juste à cause
du scénario qui s’ensuit…
Après avoir parlé de trilogie,
reprenons un roman à la fois fantastique et « historique » (au sens
où l’histoire a lieu au XIXème siècle, dans l’Angleterre de Dickens). Smoke,
le titre du roman, fait référence à la fumée qui est créée par les êtres
humains, et qui se manifeste chaque fois que l’un d’eux fait preuve
d’immoralité. Il faut entendre l’immoralité ici en un sens très large : la
colère, les mauvaises pensées, la sexualité, tout cela est inclus dans
l’immoralité. Pour ne plus fumer, il faudrait être un saint : un pur
esprit, animé uniquement par le Bien et l’altruisme, et c’est ce vain objectif
que vont poursuivre certaines personnes de ce monde, quitte à mettre leur vie
et leur santé mentale en danger. Le lien avec la liberté intérieur est assez
évident : peut-on atteindre cette liberté intérieure parfaite ?
Cependant, un aspect sociologique s’ajoute à ces réflexions : quand les
élèves d’un prestigieux internat vont pour la première fois visiter Londres,
une ville polluée de fumée tant le crime y est présent, ils sentent naître le
désir de faire le mal. J’ai vraiment bien aimé ce roman, très complet, très
riche, et l’aventure des deux héros est très sympa.
Faisons une petite digression
vers un autre sens de liberté, qui est plus rare, mais toutefois assez présent
dans des histoires du type voyage dans le temps. Il ne faut pas confondre
destin et déterminisme ; le libre-arbitre s’oppose aux deux. Le libre-arbitre
signifie que les actions que je fais sont choisies par ma conscience, et je
suis l’unique cause de toutes mes actions. A cela deux idées s’oppose : le
déterminisme, qui considère que mes actions s’inscrivent dans une suite
causale, comme le reste de la nature ; ou le fatalisme, qui considère que
« tout est écrit à l’avance » : mes actions ne sont donc que la
conséquence d’une volonté divine, supérieure, qui a choisi pour moi ce qui
allait m’arriver. Dans les livres traitant du voyage dans le temps, cette
distinction est essentielle : soit le fait que j’arrive dans une époque où
je n’existais pas va créer une nouvelle chaîne de causalité et changer le futur
(modèle Retour vers le futur) ; soit, malgré tous mes efforts, je
n’arriverai pas à changer le futur, parce que le destin va s’accomplir quoi
qu’il arrive. Dans Comment tu m’as fait mourir ? de Gilles Abier,
un lycéen imagine, dans un texte, des morts horribles pour chacun de ses
harceleurs. Alors que la journée suivante commence exactement telle qu’il la
décrite dans son histoire, il va bien sûr essayer de contrer le destin et
sauver ses camarades.
Revenons à une saga à présent.
Je n’ai lu pour l’instant que le premier tome, mais la question de la liberté y
est déjà centrale. Je ferai sûrement un article complet quand j’aurai lu
l’ensemble de la saga. Pour l’instant, parlons de ce qui nous intéresse, la
façon dont le thème de la liberté est abordé dans Borderline de Zoë Hababou.
Travis, le personnage principal, a eu une enfance difficile, et a nourri un
rejet total de l’autorité et de la société. Une liberté-indépendance est
recherchée en premier lieu. Ce sera le thème du premier livre, mais quelques
passages laissent entendre qu’une liberté-autonomie (liberté intérieure) serait
bien plus féconde dans une telle existence. Les deux notions de liberté sont
donc déjà comparées, et je sais bien que ce sera l’objet des tomes suivants.
Une série à suivre donc, si vous voulez réfléchir sur la meilleure façon de
devenir libre.
Enfin, je vais à nouveau parler d’un de mes propres romans, parce qu’il a été écrit spécialement pour illustrer une thèse sartrienne sur la liberté. Sans m’étendre sur Sartre, je fais immédiatement le résumé du contexte de Masques. Dans cette société, c’est le libre-arbitre qui n’existe plus. Les êtres humains existent par groupes, et agissent, pensent et éprouvent selon le groupe auquel ils appartiennent. Dès lors, face à un individu, nous savons immédiatement comment il va réagir à telle ou telle situation : pas de surprise possible, puisqu’il n’y a pas de libre-arbitre. Les comportements humains sont aussi nécessaires que les comportements des animaux. Cette nécessité vient de quatre masques, déterminant entièrement les quatre groupes : mais le groupe des Hackers, qui sont tous les criminels, les menteurs, les brutes, va séparer ces masques pour essayer de briser le déterminisme dont ils sont victimes.
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