Si vous n’avez pas encore lu Neuroland, ce roman de génie écrit par le neurologue Sébastien Bohler, vous trouverez ma chronique ici.
L’homme qui haïssait le
Bien est la suite de Neuroland, et même si je vais essayer de ne pas
dévoiler trop d’éléments de l’intrigue, je vais inévitablement spoiler
(ou divulgâcher, comme on est censé dire en français) l’intrigue de Neuroland.
Vous voilà prévenus, maintenant c’est parti.
Le psychopathe Franck Corsa,
enfin arrêté après les odieux crimes qu’il a commis avec la complicité du
ministre de l’Intérieur Michel Levareux, est en prison, et porte toute la
responsabilité des événements de Neuroland. Sa principale victime,
Maria, encore traumatisée, a désespérément besoin de comprendre ce qu’il y a
dans l’esprit de son agresseur pour avancer. Or, un projet est justement
proposé : analyser le cerveau de psychopathes, dont celui de Franck, pour
déterminer ce qui leur manque, et espérer les soigner à partir de cellules
souches. J’ai beaucoup aimé la façon dont est introduite la réflexion sur le
suivi médical des criminels : contrairement à ce qu’on pense dans
l’opinion commune, ce ne sont pas ici les « philosophes », les
« bobos » ou les « psychiatres » qui proposent de soigner
le criminel, mais sa victime. C’est elle qui le demande, parce qu’elle en a
besoin : ce qui lui est arrivé est si absurde, si horrible que
l’emprisonnement de son agresseur ne lui suffit pas. Elle a besoin de comprendre :
c’est ce que disent aussi beaucoup de victimes lors de procès. Ils n’attendent
pas uniquement une punition, mais ils espèrent comprendre pourquoi c’est
arrivé.
Une thème de départ qui, comme
pour le premier livre, va devenir presque secondaire face à la complexité et à
la richesse du roman. L’idée de soigner les psychopathes amène à se poser la
question du mal et de son origine : le mal existe-t-il indépendamment du
cerveau ? Tout peut-il s’expliquer matériellement, à partir des
neurones ? L’opération de Franck va être une réussite : son cerveau
réparé, il va être capable, pour la première fois de sa vie, d’avoir des
réactions spontanée de dégoût face à la violence, de pitié face à la misère. Le
psychopathe est bien quelqu’un de malade : il est dénué de ce qu’on
pourrait appeler « sens moral », et d’empathie. Si on pouvait réparer
ce défaut, directement présent dans le cerveau, ils ne seraient plus des
criminels. Mais l’auteur refuse une position aussi optimiste. Oui, la
psychopathies est une maladie, et comme toute maladie, on peut espérer la
soigner un jour. Mais le Mal n’est pas uniquement le fait de maladie :
l’autre criminel de cette histoire, le ministre Michel Levareux, qui a réussi à
s’en sortir jusque-là, n’est pas un psychopathe. C’est juste un politicien assoiffé
de pouvoir et craignant pour sa réputation. Ce mal-là n’est pas dans le
cerveau. Parmi les procédés que j’ai adoré dans le roman, il y a justement
cette opposition entre deux criminel : le malade et l’égoïste, opposition
qui conduit se poser beaucoup de question sur ce qu’est un crime, un méchant,
le mal.
Mais comme je l’ai dit, ce
n’est qu’un thème parmi d’autres dans le roman (qui pourtant, fait 300 pages de
moins que le Tome 1 !) La politique tient encore une grande place, et
cette fois l’expression de « raison d’Etat » est utilisée :
jusqu’où peut-on aller dans le non-respect du droit et de la morale, quand cela
est nécessaire ? Une grande découverte médicale justifie-t-elle
l’oppression d’une population pauvre ? Le maintient du gouvernement
justifie-t-il l’exécution d’un témoin gênant ? En lisant, je me suis dit
que le roman aurait pu s’appeler Comment les politiciens finissent toujours
par s’en sortir, et même si la lecture peut être frustrante, parce qu’on a
besoin de justice, même dans les livres, elle est incroyablement réaliste et
intéressante.
Enfin, à nouveau, j’ai
retrouvé des personnages intéressant à la psychologie très complexe, ce que
j’apprécie particulièrement dans un livre. Le « gentil » Vincent
Carat du premier tome a lui aussi ses rêves de gloire et de prix Nobel, et peut
se montrer stupide, peu compréhensif ou impulsif. Le « philosophe »
présent pour alerter le groupe Neuroland de certaines dérives, rôle bien
louable, n’en demeure pas moins un pervers manipulateur dans sa vie privée. Les
intérêts et l’ambition des milieux scientifique et politique font échouer
certains projets qui permettaient à de grands espoirs de naître, pour l’avenir
de la société.
La fin frustrera peut-être le
lecteur. Mais la vie est frustrante, et n’est jamais pleinement achevée…