Chers lycéens, réjouissez-vous et ne stressez plus. Si
vous êtes terrifiés à l’approche du bac, et de cette première épreuve fatidique
qu’est l’épreuve de philosophie, parce que vous êtes un grand lecteur mais que
vous ne comprenez rien à la philosophie, vous êtes au bon endroit. A partir
d’aujourd’hui, premier mai, et tous les lundis jusqu’au bac de philo, je
présenterai ici un texte littéraire qui fera un bon exemple à citer dans une
copie de philosophie.
Le texte
d’aujourd’hui est extrait des Euménides
d’Eschyle, encore une pièce de théâtre, et vous pourrez l’utiliser dans un
sujet portant sur la Justice et le Droit.
D’abord,
quelques mots sur cette pièce : elle fait partie d’une trilogie appelée L’Orestie et en est la troisième partie.
L’Orestie raconte l’histoire de la
famille d’Oreste, à partir du retour d’Agamemnon, qui était à Troie pour la
guerre. Quand Agamemnon rentre chez lui, sa femme Clytemnestre prévoit de
l’assassiner, aidée de son amant Egisthe, pour venger leur fille Iphigénie. En
effet, avant de partir en guerre, Agamemnon a dû sacrifier sa fille Iphigénie
pour que les vents leur soient favorables. Clytemnestre choisit donc de la
venger en tuant Agamemnon.
Dans la deuxième
pièce, les Choéphores, la fille
d’Agamemnon, Electre, demande à son frère Oreste de venger la mort de leur père
en tuant leur mère Clytemnestre.
Vous
suivez ? Je reprends :
- Agamemnon
sacrifie Iphigénie pour que les dieux aident les Grecs à partir en guerre contre
Troie.
- Clytemnestre
assassine Agamemnon pour venger Iphigénie.
- Oreste
assassine Clytemnestre pour venger Agamemnon.
Nous voilà donc
à la troisième pièce, les Euménides,
dans laquelle Oreste, qui n’a toujours pas payé pour son crime, est poursuivi par
les Erinyes (qui sont l’autre non des Euménides), divinités de la vengeance,
qui sont là pour défendre les victimes et s’assurer qu’un criminel ne sera
jamais en paix. Il s’agit bien ici de vengeance : l’ensemble de ces pièces
illustre le cycle infernal de la vengeance, qui ne s’arrête jamais. Chaque
crime en appelle un nouveau qui à son tour doit être puni.
Dans cet
extrait, la déesse Athéna intervient auprès d’Oreste et des Euménides pour
mettre fin à cette suite de vengeances. Voilà ce qu’elle propose de
faire : convoquer les citoyens les plus brillants pour qu’ils jugent en
commun du sort d’Oreste : doit-il être puni ou pouvons-nous
l’acquitter ? Cette pièce raconte donc la création du tribunal d’Athènes,
la création de la justice, qui vient s’imposer contre les rapports de force
infinis que constitue la vengeance. Car la vengeance n’est rien d’autre qu’un
rapport de force : celui qui a la puissance de se venger veut avoir le
dernier mot, mais il y aura toujours quelqu’un pour lui montrer que finalement,
il n’était pas le plus fort. En instaurant la justice, on met fin à la
vengeance, et c’est justement là l’objectif du Droit : faire régner la
raison plutôt que la force naturelle.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Tu sauras tout en peu de mots, fille de
Zeus. Nous sommes les Filles de la noire Nuit. Dans nos demeures souterraines
on nous nomme les Imprécations.
ATHÈNA.
Je connais votre race et votre nom.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Tu vas savoir quels sont mes honneurs.
ATHÈNA.
Je le saurai quand tu me l’auras dit
clairement.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
De toutes les demeures nous chassons les
meurtriers.
ATHÈNA.
Et où cesse la fuite du meurtrier ?
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
En un lieu où toute joie est morte.
ATHÈNA.
Et c’est là ce que tu infliges à celui-ci ?
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Certes, car il a osé tuer sa mère.
ATHÈNA.
N’y a-t-il point été contraint par la
violence de quelque autre nécessité ?
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Quelle violence peut contraindre de tuer
sa mère ?
ATHÈNA.
Vous êtes deux ici ; un seul a
parlé.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Il n’accepte point le serment et ne veut
point le prêter.
ATHÈNA.
Tu aimes mieux la Justice qui parle que
celle qui agit.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Comment ? Instruis-moi, car tu ne
manques pas de sagesse.
ATHÈNA.
Je nie qu’un serment suffise à faire
triompher une cause injuste.
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Examine donc ma cause et prononce une
juste sentence.
ATHÈNA.
Ainsi vous me remettez le jugement de la
cause ?
LE CHŒUR DES EUMÉNIDES.
Pourquoi non ? Nous te proclamons
digne d’un tel honneur.
ATHÈNA.
Pour ta défense, Étranger, qu’as-tu à
répondre ? Avant tout, dis-moi ta patrie, ta race et les événements de ta
vie ; puis, tu repousseras l’accusation, si, toutefois, c’est confiant
dans la justice de ta cause que tu as embrassé cette image sur mon autel,
suppliant pieux, comme autrefois Ixiôn. Réponds à tout, afin que je
comprenne clairement.
ORESTÈS.
Reine Athèna, avant tout je dissiperai
le grand souci que révèlent tes dernières paroles. Je ne suis pas un suppliant
qui n’a rien expié ; et ma main n’a point souillé ton image. Je t’en
donnerai une grande preuve. C’est la loi que tout homme souillé d’un meurtre
restera muet jusqu’à ce que le sang d’un jeune animal l’ait purifié. De cette
façon, depuis longtemps je me suis purifié en d’autres lieux par le sang des
victimes et les Eaux lustrales. Donc, tu ne dois plus avoir ce souci. Pour ma
race, tu sauras promptement quelle elle est. Je suis Argien, et tu connais bien
mon père, Agamemnôn, le chef de la flotte des hommes Akhaiens, et par lequel tu
as renversé Troia, la ville d’Ilios. De retour dans sa demeure, il est mort,
non avec gloire, car ma mère, ayant tendu des embûches, l’a tué après l’avoir
enveloppé dans un filet. Elle l’a tué dans un bain, ainsi qu’elle l’a avoué.
Moi, étant revenu d’exil, après un long temps, j’ai tué celle qui m’avait
conçu, je ne le nie pas, la châtiant ainsi du meurtre de mon père très-cher.
Mais Loxias est de moitié avec moi dans le crime, m’ayant annoncé que je serais
accablé de maux si je ne vengeais la mort de mon père sur les coupables. Pour
toi, que j’aie bien ou mal fait, juge ma cause. Je me soumettrai à tout ce que
tu auras décidé.
ATHÈNA.
La cause est trop grande pour qu’aucun
mortel puisse la juger. Moi-même, je ne puis prononcer sur un meurtre dû à
la violence de la colère ; surtout, parce que, ton crime accompli, tu n’es
venu, en suppliant, dans ma demeure, que purifié de toute souillure. Puisque tu
as ainsi expié le meurtre, je te recevrai dans la Ville. Cependant, il n’est
pas facile de rejeter la demande de celles-ci. Si la victoire leur était
enlevée dans cette cause, elles répandraient en partant tout le poison de leur
cœur sur cette terre, et ce serait une éternelle et incurable contagion.
Certes, je ne puis renvoyer ou retenir les deux parties sans iniquité. Enfin,
puisque cette cause est venue ici, j’établirai des juges liés par serment et
qui jugeront dans tous les temps à venir. Pour vous, préparez les témoignages,
les preuves et les indices qui peuvent venir en aide à votre cause. Après avoir
choisi les meilleurs parmi ceux de ma ville, je reviendrai avec eux, afin
qu’ils décident équitablement de ceci, en restant ainsi fidèles à leur serment.
Ce texte vous
permettra évidemment d’illustrer la distinction que fait Hegel entre les deux
types de réparation d’un crime, la vengeance et la punition. Dans la Propédeutique philosophique, il soutient
que seule la punition est véritablement juste, parce qu’elle a été donnée par
un tiers impartial. Pourquoi faire appel ainsi à une tierce personne ?
Parce que la vengeance est guidée par la passion, et que celui qui se venge
risque bien souvent de le faire de façon disproportionnée par rapport au crime
de départ. De plus, et c’est bien ce qui apparaît dans cette pièce, la vengeance
ne sera pas perçue comme une réparation, mais comme un nouveau crime qui va
demander à son tour une punition, et le cycle ne s’arrêtera jamais.
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