C’est sans doute
la première fois que je parle de quelque chose qui n’est pas « philosophique »
(au sens trèèèès large, on va dire de quelque chose qui n’a pas pour but de
faire réfléchir). Enooormes est une
pièce divertissante, et ce n’est pas vraiment ma spécialité de parler de
quelque chose de « divertissant. » C’est pour ça que j’ai mis du
temps avant d’écrire mon article ; mais à force d’y réfléchir, j’ai bien
trouvé deux-trois éléments intéressants à présenter.
Attention,
entendons-nous bien : quand je dis « intéressants », je ne veux
pas dire que la pièce est globalement inintéressante, au contraire, j’ai
beaucoup aimé, beaucoup ri, c’est très bien joué, très bien mis en scène et
très bien chanté, je veux simplement dire que j’ai enfin trouvé une raison d’en
parler sur le blog d’un prof de philo. Mais avant d’analyser et peut-être de
faire perdre au spectacle ce qu’il a de spontané et d’aussi amusant, je le dis
clairement : allez-y, vous ne le regretterez pas.
Capucine
(interprétée par Cécilia Cara) est le premier personnage. Catholique
pratiquante (du moins on peut le supposer, puisque son prénom même renvoie aux
moines « capucins »), elle voit sa grossesse comme un don du ciel, un
don de Dieu, un bonheur inouï, y-compris dans la douleur de l’accouchement.
Tout est beau, tout est divin, tout est naturel. Et comme généralement face à
ce genre de personnage émerveillé pour un rien, Capucine fait rire. Elle fait
rire, parce qu’elle paraît naïve et parfois ridicule, avec une façon de penser
archaïque : c’est un rire moqueur qu’elle provoque. Pas seulement de la
part des spectateurs, mais aussi de ses deux amies, qui ne cessent durant la
pièce de lui jouer des tours et de se moquer d’elle. Sans méchanceté bien sûr,
car Capucine participe au ressort comique de l’histoire.
Mais pourquoi
Capucine fait-elle rire ainsi, finalement ? Ce premier personnage est une
métaphore d’une vision traditionnelle, que certains (dont moi) considèreraient
comme rétrograde, de la famille. C’est la plus jeune des trois, et une vie
réussie sera une vie de famille, où elle aura des enfants de son mari : c’est
avec une certaine ironie que son amie Mia (dont nous parlerons ensuite) lui
fait remarquer que c’est pour elle l’accomplissement d’une vie que d’avoir un
enfant. Idéal qui semble assez éloigné de notre société contemporaine, où les
femmes se battent pour projeter une autre image que celle d’une mère de
famille. Or, c’est justement parce que c’est la plus jeune que le personnage
est drôle : la plus jeune, et la plus ancienne en même temps.
La femme moderne,
en fin de compte, c’est plutôt Barbara (de façon opposée à Capucine, la plus
moderne, et la plus vieille) : la carriériste, l’acharnée de travail,
celle qui a accompli son existence dans la réussite professionnelle.
Nous en venons
donc à ce deuxième personnage, Barbara (interprétée par Marion Posta coucou Marion ! Bisous !
Je t’adore !). Encore une fois, le prénom est
bien choisi : après vérification, beaucoup de célébrités s’appellent
Barbara (une proportion importante en tout cas, à côté d’autres prénoms plus
courants). Au début de l’histoire, elle ne veut pas d’enfants : seul
compte pour elle son travail dans la mode (je ne sais plus exactement quel travail, et je n’ai pas trouvé l’information).
Sa première réaction est d’avorter. Evidemment, pour une pièce qui parle de
trois femmes enceintes, ça va être difficile de s’arrêter là (« bon bah moi j’avorte, finissez le spectacle
toutes les deux, Capucine et Mia, on se revoit à la fin ! »),
donc elle décide de le garder.
Mais faire un
enfant parce qu’on le fait, est-ce
une bonne raison ? Il semble d’abord difficile de dire oui. D’ailleurs, un
tel personnage ferait hurler les féministes enragées (et
aussi un certain blog enragé, « Le cinéma est politique », qui s’acharne
avec une mauvaise foi consternante contre le cinéma pour défendre une théorie
du complot spectaculaire, et qui à coup sûr verrait ici une propagande du
théâtre français envers une politique conservatrice : « Comment ? Le rôle de la femme c’est d’avoir
des enfants ? Quelle pièce sexiste, réac, propagande de droite, œuvre du
démon, même le personnage qui a l’air moderne accepte cette soumission ! »
- imitation caricaturale mais réaliste du blog en question, que je ne vous
invite absolument pas à aller voir) Mais tout ce qui
fait hurler les enragés est bon à prendre, alors prenons ce choix.
Barbara va se
plaindre plusieurs fois, et regretter à différents moments sa décision. Quand
elle va comprendre que la mode, ce n’est plus pour elle, quand elle va
souffrir, quand elle va comprendre qu’il faudra changer des couches, et quand
elle va voir toutes les occasions qu’elle rate de briller pour sa réussite
professionnelle (A ce sujet, je tiens à citer un de mes
élèves, qui a dit pas plus tard que vendredi : « les enfants c’est un
pharmakon, parce qu’on leur donne la
vie et ça nous pourrit la vie. » Bien sûr, vous n’avez pas compris, à
moins que vous ne sachiez ce qu’est véritablement un pharmakon, mais je voulais juste lui rendre hommage. Coucou Sofiane de TS2, c’est pour toi !).
Mais bien évidemment, c’est une comédie, alors tout finit bien ; et je ne
pense pas spoiler beaucoup en dévoilant qu’elle sera très contente d’avoir son
bébé à la fin. Encore une fois, ça aurait été bizarre de terminer sur : « Bon, les copines, le mien il va à l’adoption,
pouponnez ensemble, je retourne à mes fringues ! »
Cependant, si je
viens bien admettre qu’on puisse reprocher à Barbara de se laisser happer par
la « dictature du on » (ou,
plus simplement, par la tradition, ou encore par la nature…), on ne peut plus
faire ce reproche à Mia, le dernier personnage (interprété par Anaïs Delva). Il
s’agit sans doute du personnage le plus intéressant : Mia veut un enfant,
mais elle le veut seule. Elle est célibataire et le restera. Elle sait qui est
le père de son enfant (en tout cas elle connaît sa tête ; pour ce qui est
de son nom, je ne crois pas, mais je m’en souviens plus…) mais cela ne le
concerne pas. C’est elle qui, finalement, représente la famille moderne. Alors
que Barbara, d’abord opposée à l’image traditionnelle de la famille en ne
voulant pas d’enfants, finit par y céder, Mia s’affirme dans son choix.
Ce qui rend le
personnage de Mia aussi intéressant, ce sont en réalité ses doutes : ce n’est
pas une folle, une hystérique qui se lance dans un projet absurde d’avoir un
enfant seule. Elle a bien réfléchi avant, et y réfléchira encore pendant toute
sa grossesse, jusqu’au point culminant de la belle chanson « Baby blues avant l’heure » où elle
exprime son tiraillement entre son désir d’être mère sans avoir d’homme, et sa
crainte de la place que son enfant aura dans une société qui attend un père
pour chaque enfant (alors, elle est où la propagande,
maintenant ?). Mia pose explicitement le problème du
regard des autres, du regard social, en disant « certains seraient contre » (dans une chanson quelque part mais
je ne sais plus où, je ne le connais pas par cœur… pas encore.)
Mia a peur de
ceux qui la jugeront, elle et son enfant sans père. Elle soulève une
interrogation forte et extrêmement contemporaine, au sujet du développement de
nouvelles formes de familles (les familles monoparentales, mais aussi
homoparentales). C’est un personnage qui affirme malgré tout son droit à cet
enfant, qui est désiré, et qu’elle va rendre heureux. Mais ce personnage
représente également toute la difficulté qu’il peut y avoir à sortir du schéma
traditionnel imposé par la culture et l’opinion commune : si la loi l’autorise
à agir comme elle le souhaite, elle n’en reste pas moins bloquée face aux
jugements des autres. C’est pourquoi elle doute, longtemps, et qu’elle sera l’entre-deux
des autres personnages. Capucine dit oui, Barbara dit non, et Mia ne sait pas. Malgré
tout, c’est un personnage fort qui arrive enfin à dépasser le préjugé social et
affirmer son propre choix.
Mais au-delà de
ces différences sociales et culturelles, elles vont vivre la même histoire :
les mêmes nausées, les mêmes douleurs, les mêmes craintes. Comme si, sous la
couche (sans jeu de mots)
de préjugés sociaux, demeurait quelque chose de naturel et d’universel, que les
regards des autres ne sauraient faire disparaître. Je vais quand même le dire :
je n’aime pas ce choix. Je défends plutôt, personnellement, la victoire de la
culture sur la nature. Mais ce n’est pas parce que je n’aime pas que ce n’est
pas intéressant : alors allez voir cette pièce, pensez par vous-mêmes, et
ne céder pas à la dictature du on,
qui détermine comment on doit penser !
PS : J’ai
emprunté les photos de la page Facebook, j’espère que vous ne m’en voudrez pas.
D’ailleurs, la page Facebook c’est ici : Enooormes
Et pour réserver
une place c’est là : Billetreduc
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