Nous voilà de retour pour
continuer à réfléchir à des sujets de dissertation de philosophie à partir des
épisodes de la série Black Mirror. Pour le thème d’aujourd’hui, nous
allons nous appuyer sur deux épisodes de la saison 3. L’épisode qui nous
intéressera en particulier est le deuxième de cette saison, intitulé
« Playtest. » On évoquera également le long épisode de Noël, qui aborde,
en un sens, la même question, celle du temps et de la conscience.
Le sujet que j’ai choisi pour
ce nouvel article est le suivant : Le temps est-il en nous ou hors de
nous ? La question se pose car le concept de « temps » peut
désigner énormément de choses. Le temps, tout d’abord, est une dynamique de
changement, de progrès ou de dégradation. Cette façon de comprendre le temps se
fait dans le domaine de la géologie ou de la biologie : c’est en ce sens
qu’on parle du passage du temps et il semble évidemment être hors de nous (nous
y sommes d’ailleurs soumis également). Toutefois, quelle réalité aurait ce
changement sans un observateur conscient capable de faire le lien entre le
passé et le présent ? Même si le temps semble exister dans le monde
extérieur, à l’instant présent, il n’y a que le présent : c’est notre
conscience qui nous permet de faire exister le temps en tant que tel.
Un premier problème se pose
donc quand on considère cet aspect du temps, mais il y en a un autre, qui sera
illustré par ces deux épisodes de Black Mirror : c’est le vécu de
ce qu’on appelle le temps. Dans la société, le temps est divisé en années, en
mois, en jours, en heures, en minutes et en secondes. Ce découpage est utile
dans la vie pratique, puisqu’il permet de se coordonner et de se donner des
rendez-vous. Mais ce découpage artificiel (qui correspond à certaines réalités
matérielles, comme le mouvement de la Terre dans l’espace) est-il le temps
véritable ? Ou le temps désigne-t-il autre chose ? Selon l’activité
qu’on est en train de faire, cette heure peut durer très longtemps ou passer
très vite : le temps désigne-t-il donc plutôt l’heure objective (qui est
hors de nous puisqu’elle est partagée par tous) ou le vécu subjectif de cette
durée (qui est en nous) ?
L’épisode 2 de la saison 3,
« Playtest », nous plonge dans ce vertige concernant le vécu du
temps. C’est l’histoire de Cooper, un voyageur qui a presque fini son tour du
monde et espère, après avoir vécu toutes ces expériences réelles, se lancer
dans les expériences virtuelles. C’est ce qu’il raconte à Sonja, journaliste
spécialisée dans les nouvelles technologies, rencontrée par l’intermédiaire
d’une application. Pendant ce temps, sa mère, à qui il ne parle plus beaucoup,
essaie plusieurs fois de l’appeler, mais il ne décroche pas.
A cause d’un piratage de son
compte en banque, Cooper se retrouve dans l’incapacité de prendre l’avion pour
rentrer. Il recontacte Sonja, qui le dépanne et lui montre une petite annonce,
par laquelle une boite spécialisée dans le jeu vidéo d’épouvante recherche un
amateur de sensations fortes. Sonja insiste pour qu’il accepte ce travail et
prenne en photo tout ce qu’il y voie, car leurs innovations top secrètes
vaudront très cher. Une fois sur place, il rencontre Katie, responsable des
tests. Elle lui explique que tout est strictement confidentiel et qu’il doit
donner ton téléphone et tout ce qui permet de communiquer. Alors qu’elle quitte
momentanément la pièce, Cooper rallume son portable que Katie avait
préalablement éteint pour prendre une photo et l’envoyer à Sonja. Quand Katie
revient, le test de réalité augmentée commence : elle lui injecte une puce
derrière la tête. Après une petite séquence avec une taupe virtuelle qui
apparaît devant lui, elle le conduit au créateur du jeu, qui lui explique en
quoi celui-ci va consister : un jeu vidéo d’horreur personnalisé. La puce
qu’on lui a implantée analyse l’activité cérébrale du joueur pour en déduire la
meilleure façon de lui faire peur. Un mot d’alerte est choisi pour qu’il puisse
arrêter la partie si cela devient trop difficile.
La grande partie de l’épisode
va alors se concentrer sur les moyens de reconnaître la réalité et le monde
virtuel. Une fois plongé dans l’univers du jeu, toujours en contact avec Katie,
Cooper va voir et sentir des choses extrêmement réalistes, qui sont pourtant
produites par le jeu. Il va même en arriver à douter que ce soit bien une
simulation informatique, et croire que tout est réel. Je n’ai pas choisi cet
angle pour mon article, parce que je pense que vous trouverez d’autres analyses
qui s’intéresse à cet aspect et que j’ai préféré parler du temps. En effet, la
fin de l’épisode va être extrêmement perturbante. Alors qu’on vient de voir
Cooper se débattre avec ses peurs pendant une longue demi-heure, on découvre
qu’à peine le test commencé, son téléphone portable (qu’il avait rallumé contre
l’indication de Katie) a sonné, comme sa mère essayait encore de l’appeler.
Cela a provoqué une interférence avec la puce qu’on lui avait injectée pour le
jeu, et il est mort. L’expérience totale a duré moins d’une seconde. Une
seconde qui, pour Cooper, a duré plus d’une demi-heure.
En général, quand on joue à un
jeu vidéo, c’est plutôt l’effet inverse qui se produit : on croit n’avoir
joué que quelques minutes, alors que ça fait déjà une heure. Ce vécu du temps
est ce que nous avons appelé plus haut la « durée » : ce terme
est en réalité celui de Bergson dans les Essais sur les données immédiates
de la conscience, où il remarque que le temps des horloges, le temps social
et objectif, ne représente pas un passage du temps véritable mais plutôt une
simultanéité des mouvements. Dire : je te donne rendez-vous à telle heure
signifie : quand l’aiguille de nos deux montres, qui sont simultanées, sera
à tel endroit du cadran, il faudra que nous soyons également à tel endroit.
Il s’agit de lieu de d’espace, non de temps, car le temps est un vécu : le
temps véritable est plutôt celui que Bergson appelle la durée, et qui peut
varier d’un individu à l’autre.
Mais le fonctionnement de
cette expérience virtuelle semble fonctionner plutôt comme un rêve : on
sait que la durée d’un rêve est toujours beaucoup plus longue que le temps
objectif pendant lequel nous avons rêvé. Cette pensée est assez vertigineuse –
du moins, à moi, elle me donne le vertige – car nous avons le sentiment très
clair d’avoir fait un certain nombre d’actions, ce qui a forcément pris un
certain temps, alors qu’il ne s’est passé que quelques secondes.
Nous retrouvons ce traitement
de la durée dans l’épisode de Noël, « Blanc comme neige », où l’idée
que deux consciences vivront différemment un temps objectif identique est
poussée à son paroxysme. Dans cet épisode, il est possible de séparer une
partie de sa conscience pour la mettre dans une machine : comme cette
machine sera un autre nous, elle sera parfaitement adaptée à satisfaire nos
besoins : elle sait ce que nous voulons pour le petit déjeuner et peut le
préparer à l’avance, de même pour les vêtements, le programme télévisé, etc. Un
autre vertige métaphysique concerne justement ce traitement qui est fait de la
conscience : c’est moi qui suis soit dans mon corps, soit dans la
machine. Mais il est aussi question de temporalité : face à la révolte
quasi inévitable de la moitié de conscience qui se retrouve dans la machine, le
programmateur est en capacité de la déconnecter et de la laisser seule aussi
longtemps qu’il veut. Pour être plus précise : le programmateur peut
décider de faire en sorte que la conscience reste seule pendant ce qui lui
paraîtra être dix ans, alors que cela n’aura duré que quelques minutes de son
point de vue à lui.
C’est assez difficile à
décrire, alors je vous invite plutôt à regarder ces deux épisodes, et surtout
l’épisode de Noël. Il est assez long (une heure et demie me semble-t-il) et
plusieurs histoires se superposent, de telle sorte qu’on y traite non seulement
du temps et de la conscience, mais aussi de la justice, des interactions
sociales, etc. Bref, un épisode intéressant qui vous occupera bien jusqu’à
notre prochain article !
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