J’ai terminé la lecture de Parfaite de Caroline Kepnes, roman adapté par Netflix en série, You. J’ai d’abord vu la série, qui m’a donné envie de lire le livre. Aujourd’hui, je vais parler des deux, et j’en profiterai pour parler de ce que j’attends d’une adaptation de roman à l’écran. Pas besoin de suspense : j’ai beaucoup aimé la série, alors j’ai lu le livre, et j’ai beaucoup aimé aussi. J’ai eu un peu peur au début que la série ne lui soit trop fidèle, parce que je n’avais plus aucune surprise à la lecture du roman, mais ça s’est un peu éloigné par la suite et j’ai pu en profiter pleinement.
Parfaite est raconté du point de vue interne à Joe, un jeune homme qui montre très rapidement des troubles obsessionnels et psychopathes. Un point de vue interne au psychopathe... c’est passionnant, aucun doute ! Il tombe sous le charme de Beck, une jeune cliente de sa librairie, et va aussitôt se mettre à la suivre, à espionner ses mails et ses déplacements, tout savoir pour la séduire et, ironie très noire, la “protéger” de tous ceux qui lui veulent du mal, tous ceux qui, selon Joe, sont obsédés par elle, alors que le seul danger vient évidemment de lui-même. Histoire prometteuse, écriture légère, drôle et agréable, des rebondissements et comme il se doit dans un bon thriller psychologique, un enfermement progressif dans une folie toujours plus profonde.
You, série Netflix, a le temps en dix épisodes d’une heure de rajouter certains points d’intrigues qui sont loin de dénaturer l’histoire initiale et je pense que la série ravira ceux qui attendent fidélité au roman. L’ajout le plus intéressant, je pense, est celui du petit voisin de Joe, un enfant dont la mère est battue par son nouveau compagnon. Joe est quelqu’un d’important pour ce garçon, un soutien et un ami : le psychopathe pervers et manipulateur qui perd ses moyens devant une femme qui l’obsède passe inaperçu, parce qu’il sait être normal dans d’autres situations. Ce côté humain ajouté au personnage le rend d’autant plus effrayant qu’il en devient un homme que des enfants peuvent admirer et vouloir protéger : un meurtrier insoupçonnable.
Si j’ai aimé les deux, et si j’ai vu la série avant d’avoir lu le livre, je reste quand même un peu déçue des choix de mise en scène qui ont été faits. Et pour mieux m’expliquer, je vais commencer par dire ce que j’attends (personnellement) d’une adaptation à l’écran :
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une adaptation. Je n’attends pas que le livre soit copié mais adapté.
Ce qui veut dire ? Je me moque que le film ou la série soit “fidèle” au livre au sens où on l’entend ordinairement : je n’attends pas que tous les points de l’intrigue soient repris, ni tous les personnages, ce qui de toute façon ne serait pas possible eu égard au changement de format.
L’adaptation à l’écran doit faire ressortir quelque chose : il s’agit d’une interprétation. Tout le monde ne perçoit pas la même chose dans un livre, tout le monde ne le vit pas de la même manière, et puisque l’adaptation n’est rien d’autre qu’un point de vue, j’aime qu’un certain point de vue en ressorte.
En fait, je vois l’adaptation à l’écran comme une mise en scène au théâtre. Quand une pièce de théâtre est adaptée, on ne se contente pas de faire lire le texte aux acteurs en respectant la ponctuation. On ne cherche pas non plus absolument à replacer la pièce dans son contexte historique pour lui donner le sens que l’auteur lui donnait à l’époque où il l’a écrite. Des mises en scène de Dom Juan l’interprètent par exemple comme personnage homosexuel refoulé et, tout en conservant le texte, font en sorte que l’acteur montre une attirance pour son valet. Et ce ne sera pas une mauvaise mise en scène, au contraire, elle apporte quelque chose.
Je concède évidemment que toutes les interprétations ne se valent pas, que toutes ne sont pas bonnes à prendre, et il m’arrive de trouver qu’un film est mauvais, non parce qu’il déforme l’œuvre originale, mais parce qu’il lui fait perdre du sens au lieu d’en rajouter. Je n’aime pas l’adaptation The Circle du livre Le Cercle de Dave Eggers, dont j’ai fait un article, parce que tout un aspect de l’œuvre y est supprimé, et cet aspect est beaucoup plus profond que celui qui est conservé.
Enfin, c’est aussi le propre de l’adaptation, il y a un changement de format. Il y a des procédés stylistiques propres à la littérature, d’autres propres au cinéma. Quand on passe de l’un à l’autre, le génie est de savoir transformer les procédés de l’un en des procédés de l’autre.
Revenons donc à notre série. Parfaite est écrit du point de vue interne. La voix intérieure est un procédé propre à la littérature. You choisit de conserver ce procédé en ajoutant la voix off de Joe. Franchement, j’aime bien les films avec des voix off, ça donne un aspect léger et ça rend sympa à regarder. Mais c’est dommage. La série, avec ses propres moyens, aurait pu dépasser ce qui était dans le roman. En n’ayant que le point de vue de Joe, on a une certaine image de Beck, de ses amies, de sa famille, et quand on voit la folie du personnage qui raconte l’histoire, on peut facilement se douter que ces portraits ne sont pas fidèles à la réalité. Joe imagine Beck telle qu’il veut qu’elle soit. A l’écran, on aurait pu voir Beck telle qu’elle est, et pourquoi pas peut-être alterner des images de ce que Joe imagine et des images de ce qui se passe vraiment (style American Beauty, quand le personnage tombe amoureux de la jeune amie de sa fille et l’imagine en train de lui faire une danse sensuelle alors qu’elle fait simplement son spectacle de danse : procédé propre au cinéma, impossible à réaliser dans un livre).
Concernant ce qui a réellement été modifié, je trouve au contraire que quelque chose se perd. Je ne pense pas spoiler en disant qu’il y aura des morts (thriller !) et de toute façon c’est dans la bande-annonce... mais les morts qui sont des assassinats successifs dans le livre, et participent à la descente du personnage dans une noirceur de plus en plus profonde, sont presque tournés en accidents dans la série. Peut-être une nouvelle façon d’adoucir et humaniser le personnage (comme avec l’ajout du petit garçon) mais j’ai trouvé ça dommage.
En fait, d’un livre raconté du point de vue interne d’un personnage détraqué, il y a énormément d’interprétations possibles sur ce que sont réellement les autres personnages, et j’aurais sans doute trouvé la série bien plus intéressante s’il y avait eu une telle interprétation. Mais ayant vu la série avant de lire le livre, ça ne m’a pas empêchée d’aimer la regarder ! Et de toute façon, si on aime le livre, il n’y a pas de raison de ne pas apprécier une série fidèle...
Je terminerai quand même en reconnaissant que je trouve les deux acteurs principaux très bien choisis. Ils sont convaincants, autant physiquement que dans leur jeu.
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