Cet article,
avec son titre provocateur, a justement pour objectif de provoquer, et
s’inscrit dans une position beaucoup plus large d’éthique qu’on appelle actuellement
« minimaliste » et qui considère que les devoirs moraux se réduisent
à ne pas nuire à autrui. Vous ne voyez pas le rapport avec les commentaires
constructifs ? C’est normal, il n’y en a pas vraiment. C’était une façon
de dire que je vais ici m’opposer fermement à la croyance que vouloir
« aider » ceux qui n’ont rien demandé, et plus encore, qui risquent
d’être dénigrés par le simple fait qu’on veuille les aider, comme s’ils
n’étaient pas tout à fait compétents, serait quelque chose d’inconditionnellement
bon. Je ferai sans doute d’autres articles du même genre par la suite, pour
donner un nouveau souffle à mon blog et accentuer sa personnalité. J’ai déjà
été très personnelle dans les différentes chroniques que j’ai pu faire, mais je
n’ai jamais vraiment donné de position qui m’est propre au sujet de
l’autoédition ou même de la littérature dans son ensemble.
Cet article suit
une discussion que j’ai eue avec un autre auteur au sujet des commentaires
malveillants que certains lecteurs ne se gênent pas pour écrire, que ce soit
sur un site marchant ou même sur des blogs, auteur qui appelait au caractère
constructif des commentaires. Bien que les arguments énoncés dans cet autre
blog soient parfaitement respectables et pertinents, je vais, paradoxalement
peut-être, m’opposer au commentaire constructif en lui préférant le commentaire
personnel et relatif. Bien sûr, je ne me ferai jamais l’avocat des commentaires
malveillants (parce que j’ai bon fond, soit dit en passant !) Quel va être
l’objet précis de mon article, alors ? Un principe : il n’y a pas de
bonnes raisons de donner des conseils à celui qui n’en demande pas. Un avis
peut-être surprenant, mais que je vais brandir contre un paternalisme
littéraire qui s’attaque uniquement aux auteurs indépendants, de façon tout à
fait injuste, comme s’ils étaient des sous-auteurs. Or, j’ai vite pu remarquer dans
les romans que j’ai lus qu’ils étaient loin d’être des sous-auteurs. Inutile de
me parler de la majorité d’analphabètes qui racontent les souvenirs de mémé
Marcelle dans un recueil de chapitres sans syntaxe que vous allez refermer dès
la première page. Les auteurs dont je parle sont ceux qui font un véritable
travail d’écrivain et qui, pour des raisons qui n’ont ni à être jugées ni à
être hiérarchisées, choisissent de s’autoéditer. Pour les diverses raisons qui
poussent à s’autoéditer, relisez mon article : Y a-t-il de bons livres autoédités ?
Quels sont ces
auteurs ? Il y en a deux types : les auteurs qui veulent progresser
dans un certain genre, et les auteurs qui présentent leur œuvre après un long
travail pour construire ce qu’ils avaient en tête. Si des auteurs demandent des
conseils pour s’améliorer dans le type de livre qu’ils veulent écrire,
donnez-leur des conseils ! Mais j’ajouterai quand même une
précision : aidez-les si vous êtes un grand spécialiste du genre en
question. Ce qui veut dire ? Qu’étant moi-même complètement inculte sur la
littérature érotique, genre que je ne lis jamais, je ne me permettrai jamais de
conseiller un auteur sur ce qu’il a écrit en matière de littérature érotique,
parce que je ne vois pas ce que je pourrais dire de pertinent. Les seules
remarques honnêtes que je pourrai faire seront au sujet de l’orthographe. Pour
le faire dans l’autre sens, j’écris des romans philosophiques : je ne
rejette pas les conseils, mais j’ai du mal à croire que je pourrais être aidée
en profondeur par quelqu’un qui n’a jamais entendu le mot de philosophie – ce
qui n’empêche pas, par exemple, de me faire revenir sur tel ou tel passage qui
ne serait pas bien expliqué.
L’autre
catégorie d’auteurs est celle de ceux qui ne demandent pas de conseils mais
publient leur livre pour que des gens le lisent. Et pour ce type d’auteur, je
soutiens qu’il n’y a ni ne doit y avoir
aucune différence avec un auteur
édité de façon traditionnelle. Peut-être faut-il rappeler ce qu’est l’écriture
d’un roman. Celui qui écrit a des goûts personnels en matière de littérature,
il a également un projet, il a fait des recherches, travaille, il a fait des
choix d’écriture que nous ne pouvons dire bons ou mauvais, mais simplement conformes
ou non à son objectif. Or, c’est justement cette distinction entre le bon et le
conforme que les commentaires de la mode du « constructif »
n’arrivent pas à faire. Je précise dès à présent que ce que je vais dire n’est
pas à généraliser, mais voici ma partie un peu provocatrice : que signifie
vraiment le commentaire qui dit, par exemple, « les personnages ne sont pas crédibles » ? Je pense que,
la plupart du temps, ce commentaire signifie tout simplement « je n’ai pas aimé la personnalité des
personnages », tout simplement parce que là où vous n’avez pas trouvé
le personnage crédible, quelqu’un d’autre s’est parfaitement identifié à lui,
preuve qu’il était crédible en un sens. Globalement, le reproche que j’ai envie
de faire aux commentaires constructifs est le fait que, sous une excellente
intention, ils ne révèlent qu’un avis subjectif qui n’a pas vocation à devenir
un « conseil » pour s’améliorer, parce que correspondre davantage au
goût personnel d’untel n’est pas une amélioration en soi.
Pourquoi ai-je
d’abord dit que c’était une façon de distinguer les indépendants des édités
traditionnels ? Premièrement parce que je sens malheureusement, sans
généraliser évidemment, une sorte de condescendance inconsciente dans ce genre
de commentaire, condescendance que je vois rarement s’exprimer envers les
autres livres. En général, l’édité traditionnel aura droit au commentaire
malveillant dégoulinant de critiques fondées ou pas, alors que l’indépendant
sera abordé par une liste inimaginable de remarques toutes bienveillantes pour
qu’il puisse s’améliorer. Mais cela n’est rien d’autre, pour moi, que de l’infantilisation : moi, généreux
lecteur, je vais apprendre à ce petit auteur inconnu à écrire mieux, sans
penser que ce petit auteur inconnu sait peut-être très bien ce qu’il fait. C’est
pour ça que je parlais de morale au début : je ne reconnais aucun devoir
moral dans le fait d’apporter son aide à quelqu’un, même avec les meilleures
intentions du monde. La bienveillance
est dangereuse autant que la malveillance en tant qu’elle peut vite devenir de
la suffisance.
Malheureusement
encore, ces remarques ne tiennent souvent pas compte, comme je l’ai dit, du
projet propre de l’auteur, mais d’un goût personnel. Je m’efforce depuis un
certain temps de ne jamais critiquer un livre dont je n’ai pas compris le
projet. D’où ma préférence nette pour un commentaire du type : « Je n’ai pas aimé du tout, j’ai horreur de ce
genre de livre, en plus je ne supporte pas les personnages, je ne lirai plus
jamais cet auteur », parce que malgré toute la haine déferlée dans ce
message, c’est présenté comme un avis strictement personnel. Comparez avec
ceci : « Il aurait fallu rendre
les personnages plus attachants pour permettre l’identification. »
Voilà un commentaire fort bienveillant mais inadapté à certains livres, parce
que le projet de l’auteur n’est pas forcément de créer une possibilité
d’identification. Pensez par exemple à Camus ! Si vous lui reprochez que L’Etranger est un personnage à qui on ne
peut pas s’identifier, vous oubliez tout simplement que son objectif était
justement d’empêcher toute indentification.
J’ai connu
quelqu’un, fort instruit du point de vue littéraire par ailleurs, qui trouvait
que La princesse de Clèves était un
personnage absolument pas crédible du fait qu’elle choisisse de se faire
religieuse plutôt que d’épouser son amant à la mort de son mari, ce qu’aucune
loi politique, religieuse ou morale n’interdit, même au XVIIème siècle. Mais
toute la force du roman réside justement dans le fait que Mme de Clèves ne
cèdera jamais à son amant, et Mme de La Fayette défend le pieux jansénisme
qu’elle fréquente contre le libertinage. Mme de Clèves n’a rien de non
crédible : elle représente le jansénisme qui est largement répandu à cette
époque, et son choix aurait été celui de nombreuses autres jeunes filles
élevées selon ces principes religieux. Je pense donc sincèrement que les conseils n’ont un
sens que s’ils prennent bien en compte les enjeux du livre : si vous
n’êtes pas d’accord avec ces enjeux, si vous trouvez que c’est une mauvaise
chose de défendre le jansénisme contre le libertinage, personne ne vous
interdit de le dire, mais vous ne pourrez pas dire que le livre est mauvais
pour autant : simplement qu’il ne vous plaît pas. Bien sûr, il m’arrive
aussi de faire des critiques négatives, même si ce n’est pas ce qui est
apparent dans mes chroniques mais sachez que j’ai TOUJOURS demandé avant à
l’auteur de justifier ses choix, et n’ai critiqué que lorsqu’il n’y avait pas de
choix mais du hasard, ou un vague sentiment de mieux. En cas de critique mal
placée, c’est-à-dire critique pour laquelle l’auteur a été capable de me
fournir une contestation pertinente par la suite, j’ai modifié mon article en
reconnaissant humblement mon erreur de lecture, comme cela m’est arrivé une
fois.
Que faut-il
faire alors ? Selon moi, il faut d’abord changer de regard sur les
indépendants, et sur les lectures qu’ils attendent. Aucun auteur intelligent
n’attend que des effusions de joie à la lecture de son livre et est conscient
que ça ne peut pas plaire à tout le monde. Comme je le dis souvent, les
commentaires les plus positifs disent rarement quelque chose d’intéressant,
parce que l’enthousiasme empêche de voir les détails. Je suis dans ce cas
également : fan inconditionnelle d’Entre
chien et loup de Mallorie Blackman, je n’ai vu aucun défaut, ni d’écriture,
ni de structure, ni même d’objet de débat dans cette série de livres. Il
faudrait alors faire avec les indépendants ce que nous faisons avec les
autres : ne pas hésiter à dire que nous n’aimons pas, sans forcément apporter
de justification supplémentaire. Malgré tout, je n’interdis aucune tentative de
conseil : ne vous méprenez pas. Je vais même vous parler d’une excellente
critique qui m’a été faite au sujet d’un de mes écrits, qui relevait une
véritable erreur d’écriture de ma part, en considérant mon projet.
Cela concerne ma
nouvelle sortie en Février 2017, Cendres
d’art. Cette nouvelle décrit un monde qui a supprimé toute référence au
passé, qui s’est entièrement détachée de son Histoire et de ses œuvres d’art pour
permettre un bonheur artificiel construit sur la passion de l’avenir. Ce que la
nouvelle cherche à dénoncer, c’est la pauvreté de ce monde et de ce bonheur qui
ont perdu tout ce qui fait leur profondeur et leur dimension humaine. L’un des
commentaires Amazon (vous pourrez donc aller le voir), qui a été très généreux
par ailleurs, pose cependant une question : pourquoi la nouvelle
n’a-t-elle pas été écrite au présent plutôt qu’au passé, puisque le passé
n’existe plus ? En effet, c’est tout simplement un détail auquel je
n’avais pas réfléchi, et ce conseil aurait été excellent, parce qu’il s’inscrit
véritablement dans la ligne de mon projet d’écriture. Mais ce commentaire
apporte une réponse qui me plaît tout autant sur ce problème : l’écriture
au passé montre les limites de la société que je décris. Le passé ne pourra jamais
être totalement supprimé.
Faisons donc
pour les auteurs indépendants ce que nous faisons pour la littérature :
comprendre le projet de l’auteur avant de lui donner des conseils, car l’un est
impossible sans l’autre. Un auteur indépendant n’est pas un sous-auteur :
c’est un auteur qui écrit avec des objectifs. Que ces objectifs vous plaisent
ou non n’est pas objet de débat : que l’objectif soit réussi ou pas l’est.
Si l’objectif était de plaire, alors vous pouvez laisser libre-court à vos
conseils.
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