Je suppose que
le titre de cet article est un peu, diriez-vous, WTF, vu que je suis moi-même
autoéditée, mais je ne vais pas parler de moi, ni des motivations qui m’ont
fait m’autoéditer ou quoi que ce soit du genre. Certains penseront que j’essaie
de me défendre, moi la pauvre auteure inconnue sans talent mais qui croit qu’elle
peut intéresser des gens donc publie son livre toute seule, mais mon but
premier est plutôt de refroidir un débat, en bonne prof de philo, et non donner
mon avis à coup de grandes phrases exclamatives. A vrai dire, j’écris cet
article en réaction à une violente conversation que j’ai lue sur Twitter – non pas
violente au sens où, rassurez-vous, il y aurait eu insulte ou bagarre physique,
loin de là, mais violente au sens de passionnée, d'un côté comme de l’autre.
Je ne suis pas
ici pour dénoncer ou faire du règlement de compte, je ne vais donc pas citer,
mais simplement résumer ce que j’ai pu lire. Une première personne, visiblement
lectrice lambda passionnée de lecture mais bien ancrée dans l’opinion commune
selon laquelle les auteurs autoédités sont les prétentieux qui croient que
personne ne reconnaît leur génie (opinion qui n’est pas un mal, puisqu’elle est
largement fondée, un grand nombre d’auteurs autoédités sont bien dans ce cas de
figure) s’étonnait – que dis-je ! s’offusquait même – que des blogueurs, lors
du célèbre hashtag #JeudiAutoEdition servant justement à faire connaître les
livres autoédités qui nous ont plu, s’extasient devant des romans autoédités
en disant qu’ils avaient adoré et que c’était formidable et qu’il fallait
absolument le lire. Cette personne, en effet, soutenait avec certitude qu’il ne
pouvait pas y avoir autant de livres autoédités aussi bien puisque sinon, ils
auraient été édités par une maison d’édition.
A cela, une
autre lectrice passionnée qui, de son côté, avait eu la chance de lire de
nombres livres autoédités qu’elle avait adorés, répondait que ce point de vue
était non seulement restrictif (si seulement la conversation s’était arrêtée
là, j’aurais pu lui donner raison) mais surtout insultante envers des auteurs
qui avaient choisi la liberté face au grand monument de la littérature
commerciale qui se devait d’entrer dans des cases. Comme vous vous en doutez, l’autre
personne s’est empressée d’accuser les autoédités de faire croire ce genre d’inepties
pour se donner de l’importance, alors qu’ils avaient simplement « été
refusés partout. »
Voilà le point
de départ, et ce sur quoi je voulais intervenir. Je vais d’abord résumer mon
point de vue en trois réponses (qui s’accompagneront bien sûr, pour être des
réponses, de trois questions) :
- Y a-t-il de
bons, voire très bons, voire excellents livres autoédités ? Oui.
- Les autoédités
sont-ils souvent des fervents penseurs anticapitalistes qui ont en haine la
politique commerciale dans grandes maisons d’édition ? Non.
- Les autoédités
ont-ils « été refusés partout » ? Non.
Vous trouverez
sûrement que mes deux dernières réponses sont contradictoires, mais c’est loin
d’être le cas. Ce que je veux dire par ma dernière réponse, c’est qu’il est
impossible d’avoir été refusé « partout » étant donné que personne
(ou alors un seul auteur isolé dans le monde, plein aux as et en manque d'inspiration puisque quelqu'un d'autre aurait écrit un nouveau livre plutôt que de perdre son temps avec l'édition) n’a envoyé son manuscrit « partout. »
D’une part, parce qu’il existe beaucoup trop de maisons d’éditions, et des
petites notamment, pour qu’il soit possible de toutes les connaître. Personne n’envoie
son livre « partout » mais seulement à certaines maisons
sélectionnées, plus ou moins judicieusement. Certaines maisons choisissent en
effet de publier ce qui est commercial : ce qui va plaire, ce qui va bien
se vendre, ce qui se lit, en fin de compte, dans le train ou sur la plage, et
qui n’est pas dégradant, loin de là, c’est un choix. Je suis loin de critiquer
ces maisons d’édition : c’est un commerce et il est normal qu’elles
veuillent vendre, ne serait-ce parfois que pour se maintenir. Et franchement, je (et n'essayez pas de faire croire que vous non) suis bien contente, l'été, d'avoir un petit Marc Lévy pour la plage, histoire de ne pas me trimballer Notre-Dame de Paris qui va me forcer à réfléchir pour comprendre alors que je suis tranquillement en train de bronzer). D’autres vont
privilégier la qualité, d’autres ne publieront que des romans écrits à la
première personne, d’autres que des romans fantastiques, d’autres que des
biographies… Chacune a sa spécialité et la difficulté, quand on a un manuscrit
entre les mains, n’est pas de trouver une maison « qui aime bien mon livre » :
c’est de trouver une maison qui publie le genre de texte qu’on a écrit.
Evidemment, ne
me faites pas dire ce que je ne dis pas. Et ce que je ne dis pas, c’est que le
roman écrit quand j’avais 10 ans, qui est bourré de fautes d’orthographe, de
fautes de style, et écrit à la main, pourrait être publié, parqu’aucun éditeur
ne publie des romans avec des fautes d’orthographes et des fautes de style.
Donc oui, l’auteur qui ne sait pas écrire et raconte sa vie passionnante au
milieu de la pollution en assurant que c’est la plus merveilleuse
autobiographie de la littérature ne sera édité nulle part. Alors, il n’aura
plus qu’à s’autoéditer, et maintenir la très mauvaise réputation de l'autoédition au passage. Et croyez-moi : à propos d'un tel livre, aucun blogueur n’ira dire sur
#JeudiAutoEdition « Je viens de lire le meilleur livre de ma vie ! »
Non. Parce que s’il y a une seule chose que je croie, c’est qu’un livre se vend
pour une seule raison : la pub. Ce n’est pas l’étiquette « Gallimard »
qui fait acheter un livre, parce que chez Gallimard, il y a des bonnes bouses. Un
livre se vend s’il peut plaire. Et c’est tout.
Mais s’il peut plaire, pourquoi n’est-il pas édité par
une maison d’édition ? Ça revient au même.
Oui, parce que
je n’ai pas terminé. Première raison qui peut faire qu’un bon livre a été
autoédité : l’auteur ne connaissait pas LA maison d’édition qui était
spécialisée dans ce qu’il écrit. Deuxième raison très bête et que les rageux de
l’autoédition devraient se mettre en tête : autoéditer un ebook, c’est
gratuit. Envoyer son manuscrit à des éditeurs, qui pour l’énorme majorité n’acceptent
pas les envois par emails, ça coute très cher. Il faut imprimer le livre dans
le format qu’ils demandent (et ce format, mes petits, c’est en recto seul avec
la célèbre interligne 1.5 ou 2 qui double le nombre de pages), le relier, le mettre dans une enveloppe, timbrer l’enveloppe à 10 euros parce que notre manuscrit imprimé selon le diktat pèse déjà cinq kilos, apporter ce gros paquet à la poste avec ses petits bras, mettre une deuxième enveloppe timbrée pour récupérer son manuscrit s’il est refusé,
ou en imprimer un nouveau pour l’éditeur suivant. Eh oui, ça coute de l’argent
d’essayer de faire publier son livre chez un éditeur à compte d’éditeur, parce
qu’il est extrêmement rare d’être pris du premier coup, et même dans les 10
premiers coups. Parce que, généralement, à qui envoie-t-on son manuscrit en
premier ? Gallimard, Flammarion, Robert Laffont, XO, Le Seuil, Nathan, l’Ecole
des Loisirs… Vous connaissez tous ces noms ? Oui. Tous les auteurs les
connaissent et tous les auteurs leur envoient leur manuscrit. Et les éditeurs ont beau
avoir peur de rater le futur chef-d’œuvre du siècle et lire tous les manuscrits reçus pour peu qu'ils soient écrit dans un français correct, ce qui se remarque au premier coup d'oeil, celui qui en est à son
vingtième manuscrit de la semaine, pour peu que sa femme lui ait cassé les
pieds la veille au soir, il sera de mauvais poil face à un bon manuscrit et le
jettera. Il n’est pas impossible de publier un premier roman chez Gallimard :
mais c’est de la loterie plus que de la course au mérite.
Autre point :
il y a beaucoup de gens qui savent écrire. De même qu’il y a beaucoup de gens
qui savent chanter. Vous les avez entendus à The Voice ? Ils chantent
bien. Tous. Et pourtant, on ne peut pas tous les garder. Il y a cent bons
romans qui arrivent chez l’éditeur ce mois-ci. Mais l’éditeur n’a pas les
moyens d’en publier cent, parce que publier, ça demande un long investissement :
alors l’éditeur va devoir en choisir un. Un, ce ne sera pas forcément le meilleur,
ni le plus original, ni même forcément le plus vendable, mais simplement celui
qui s’inscrira le mieux dans sa ligne éditoriale. Si vous avez aimé celui qui s’est
fait éliminer au premier tour de la Star Ac’, vous pouvez aimer l’auteur
autoédité qui, lorsqu’il a été refusé par les maisons d’édition, s’est
peut-être tout simplement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.
J’avais dit que
je ne parlerai pas de moi, en tant qu’auteur : je vais quand même parler
de moi en tant que lectrice. Depuis que j’ai découvert Amazon Kindle (jour qui
changea ma vie !) je lis des auteurs autoédités, puisque leurs livres sont
beaucoup plus faciles à trouver en version numérique. Jusque-là, j’en fais la
promesse solennelle, je n’en ai pas trouvé un seul qui fût truffé de fautes d’orthographe.
Tous ces auteurs savaient écrire. Certains livres étaient plats, sans trop de
style… mais franchement, Guillaume Musso aussi c’est plat et sans style, et
pourtant ! Les livres que j’ai lus, bien notés par les lecteurs et les
blogueurs, sont des livres qui auraient pu être édités, qui auraient pu plaire,
mais auxquels l’éditeur a pu préférer un autre roman semblable. Pensez à celui
qui reçoit, en une semaine, 100 romans policiers qui raconte un meurtre commis en haut d'une tour par un psychopathe qui voulait imiter le Joker : il ne va en publier qu'un, parce que tous racontent la même chose. Mais sur ces cent, il y en avait peut-être dix qu’il aurait pu
publier, s’il n’avait choisi l'autre, pour une raison que nous n’avons pas à
connaître. Il y avait peut-être dix fois la même histoire bien racontée, mais inutile d'en publier dix, et il a de fortes chances que le dixième lu lui semble sans originalité et répétitif alors que, s'il l'avait lu en premier, il l'aurait trouvé génial. D'ailleurs, pusique je ne parle pas de moi... mais si, parlons-en. La Loi de Gaia, ça s'inscrit quand même dans le contexte d'attentats terroristes. Vous avez une idée du nombre de livre parlant d'attentats que les éditeurs reçoivent depuis janvier 2015 ? Si j'avais été tentée par l'édition traditionnelle, ça aurait été très compliqué, quelle que soit la qualité du livre. Parce que, vous, vous n'avez pas tout lu : eux, ils ont lu beaucoup plus, et ce qui vous paraîtra original aura été un choix parmi d'autres livres semblables. Vous connaissez mon cauchemar ? Divergente. Oui, Divergente. Outre le fait que je n'aime pas du tout l'intrigue, la contexte de base est malheureusement très proche d'un roman que j'ai commencé à écrire il y a plusieurs années. Que va-t-il se passe si j'essaie de le publier maintenant ? Sans doute: "ça ressemble trop à Divergente." Alors sachez-le, je n'essaierai même pas de l'envoyer à des éditeurs (de toute façon, ça fait bien longtemps que l'idée ne m'a plu traversé l'esprit...), parce que ça va me coûter cher en impression, alors qu'autoéditer sera gratuit. Et mes livres sont lus quand même !
Je récapitule
pour le moment ce que je voulais dire :
- La plupart des
autoédités ont tenté sans succès le parcours traditionnel.
- Un certain nombre ne
savent pas écrire ou écrivent des choses absolument inintéressantes.
- Mais certains,
et je les remercie, ont tout simplement eu le courage de s’autoéditer et d’assurer
eux-mêmes la promotion de leur roman. Parce qu'évidemment, il ne s'agit pas d'attendre devant Amazon que les ventes arrivent, il faut promouvoir. La promotion la plus simple et en même
temps la meilleure est de faire don de quantité d’exemplaires gratuits à des
blogueurs qui donneront leur avis (non, ça ne coûte pas d'argent, parce que contrairement aux éditeurs, beaucoup de blogueurs acceptent les ebook !). Les blogueurs sont des lecteurs comme les
autres : s’ils adorent, d’autres peuvent adorer aussi. Voilà pourquoi,
personnellement, je passe sur les blogs quand j’ai envie de découvrir un auteur
autoédité, pour être sûre de ne pas tomber sur une catastrophe, et je vous
conseille d’en faire autant.
Ce hashtag,
#JeudiAutoEdition, est une invention formidable. Parce qu’il y a d’excellents
livres autoédités qui peuvent plaire autant que les autres (et parfois, on peut
bien trouver un auteur qui a refusé les services d’un éditeur trop prêt à
charcuter la moitié de son texte pour réduire le prix de fabrication ou le
rendre plus commercial…). Sur #JeudiAutoEdition, on voit, en effet, les
lecteurs s’extasier sur un roman autoédité. Ce n’est pas de la mauvaise foi (à
quoi bon ? Vous avez déjà recommandé un livre que vous détestez, vous ?)
Au contraire, vous remarquerez très vite qu’au cours des semaines, quelques
noms et titres ressortent du lot. Pour prendre l’exemple qui me frappe en ce
moment : un certain Habeas Corpus
de Victor Boissel. J’ai lu le début (n’oubliez pas avant d’acheter un livre qu’Amazon
propose TOUJOURS un extrait gratuit) et j’ai presque été surprise qu’autant de
lecteurs lambda aient à ce point aimé. Non pas parce qu’il est mauvais, bien au
contraire : l’écriture est hautement littéraire et j’aurais cru que ça ne
pourrait pas plaire à tout le monde. Je n’ai lu que le début pour l’instant,
mais une chose est sûre : tous ceux qui ont eu le courage de s’accrocher
le recommandent à présent. Alors je vais le lire, parce que je crois au bouche à
oreille, que je me suis fait une idée du style de l’auteur grâce à cet extrait
gratuit, et que je sais pertinemment qu’un tel début peut suffisamment
décourager un lecteur pour qu’un éditeur n’ose pas prendre le risque de s’investir
dans un tel texte, de la part d’un auteur inconnu.
Pour conclure,
deux trois livres autoédités que j’ai lus :
- Effet Miroir de Vincent Rémont : ce
n’est certes pas de la grande littérature, mais ma foi, si Guillaume Musso
écrit des livres « assez bons pour être édités », lui aussi, parce
que c’est exactement du même style. Mais évidemment, quand XO a le choix entre
ce monsieur dont personne n’a jamais entendu parler et M. Musso qui nous a fait
exactement le même scénario, qui va-t-il prendre, à votre avis ?
- Le manuscrit de Mathias Lanuit : c’est
une nouvelle, ça se lit vite je n’ai pas trouvé ça excellent mais je suis
tentée de reprendre l’argument de ma bête noire citée ci-dessus.
- Au nom de quoi de Dorian Meune : j’en
ai déjà fait une critique détaillée ICI alors allez voir vous-mêmes.
- Jusqu'où va l'amour de Jack-Laurent Amar : un chef-d'oeuvre. Allez voir ICI
Et je ne parle
pas de ceux que je n’ai pas aimés parce que, comme la plupart des gens, quand je
n’aime pas quelque chose, je n'ai aucune envie de le faire connaître.
Voilà pourquoi vous n’aurez jamais de livre catastrophique sur #JeudiAutoEdition.