Gilles Vervisch, éminent collègue, auteur du génial “La philo contre-attaque", a profité de la nouvelle trilogie Star Wars pour écrire un deuxième livre de pop’philo, astucieusement appelé “Le retour de la philo”. Et moi, après avoir adoré le premier tome, j’en profite pour faire une chronique telle que vous n’en avez jamais lue. Parce que je l’ai dit plusieurs fois sur ce blog, je ne chronique que les livres que j’ai aimés. Et je n’ai pas aimé, mais alors PAS DU TOUT. Très décevant, parce que j’adore le collègue, j’adore ce qu’il fait sur le cinéma en philosophie, et que ses réflexions sont accessibles et intéressantes. Mais là, je ne suis pas tombée sur ce à quoi je m’attendais.
Avant de m’y mettre, je vais régler un point tout de suite : je n’entrerai pas dans la question de savoir si Les Derniers Jedis correspond à l’esprit de Star Wars ou pas. Ce n’est pas la question, ce n’est pas non plus celle du livre de Vervisch, et je n’ai pas envie que tous ceux qui ont aimé ou pas Les Derniers Jedis arrêtent déjà leur lecture juste parce qu’ils ne sont pas d’accord avec moi (parce que oui, j’ai un avis sur la question, je vais juste ne pas en parler). Je vais uniquement me concentrer sur deux choses : expliquer pourquoi je n’ai pas aimé Le retour de la philo, et ce qui me semble vraiment philosophique dans la nouvelle trilogie (autrement dit, ce que je regrette de ne pas avoir trouvé dans le livre).
En effet, c’est ce que je n’ai pas aimé dans le livre : au lieu de parler de l’aspect philosophique du Réveil de la Force et des Derniers Jedis, ce que le premier tome faisait au sujet de la trilogie originale et de la prélogie, Vervisch part du principe que ces deux films sont mauvais, et essaie de montrer qu’en fait, non, pas tant que ça. Drôle de façon de procéder. Ce n’est pas un reproche, je me contente de dire que ça ne m’a pas plu ; et je n’oserai pas reprocher à l’auteur de le faire, puisqu’il m’aurait suffi de lire la quatrième de couverture pour me rendre compte que c’était le but du livre et que je n’avais qu’à pas le lire. Alors c’est ma faute si, en achetant le livre, je m’attendais à une analyse philosophique comme j’ai eu dans La philo contre-attaque, et que finalement j’ai été déçue. Je vais même me permettre de citer le début du livre parce que ça m’a fait rire : “Pourquoi une suite à Star Wars, la philo contre-attaque, mis à part l’argent, bien sûr ? Je suis comme Han Solo : je suis là pour l’argent. Comme le premier livre a plutôt bien marché, je me suis dit : s’il y a moyen de récupérer un petit chèque, pourquoi pas ?” C’est peut-être ironique. Peut-être pas. Pendant une bonne partie du livre, je me suis dit qu’en effet, il exploitait Star Wars sans rien en faire d’intéressant pour récupérer un chèque. Comme Disney, diraient certains ? Blague à part, je regrette bien le fait que l’auteur ne parle jamais vraiment de Star Wars. J’ai plutôt eu l’impression que c’était utilisé comme prétexte : une petite citation de George Lucas, suivie d’un rapprochement avec une citation de Tartenpion, suivie de vingt pages d’explication de la pensée de Tartenpion, sans aucun lien avec le film.
Et pourtant, il y aurait des choses – philosophiques - à dire sur cette nouvelle trilogie, qu’on l’aime ou non. C’est pour ça que je voulais faire un article, même si je ne parle jamais des livres que je n’ai pas aimés (aucun intérêt...) En revanche, je veux parler de la nouvelle trilogie de Star Wars et de ce qu’on y trouve. Je veux parler de ce que je n’ai pas trouvé dans le livre et que j’aurais voulu voir. Je commencerai par quelque chose dont Vervisch parle, et je ne m’étendrai pas dessus parce que vous avez le droit de lire le livre. Pourquoi Le Réveil de la Force ressemble-t-il autant à Un nouvel espoir ? Parce que, comme le dit justement Marx, l’histoire se répète : la première fois comme tragédie, la deuxième fois comme farce. Tout événement tragique dans l’histoire aura sa version caricaturale dans l’avenir. Nous ne pouvons nous empêcher de reproduire les erreurs du passé, mais nous les reproduisons mal, et leur deuxième version n’est qu’une caricature de la première, comme la révolution de 1848 ne fut qu’une caricature de celle de 1789. Voilà ce que montre le Réveil de la Force : la tragédie qui fut celle du règne de Dark Vador et de l’empire autrefois devient le pathétique règne du Premier Ordre, copie caricaturale de l’Empire, et de Kylo Ren, pâle copie de Dark Vador.
Mais puisque ce point avait bien été repéré par l’auteur, pourquoi ne pas être allé plus loin ? Le Réveil de la Force, film attendu par les fans, est bien un reflet des fans de Star Wars. Le premier film de la nouvelle trilogie n’est rien d’autre que l’histoire d’un fan de Star Wars. De qui sommes-nous tous fans dans la trilogie originale ? De Dark Vador, bien sûr. Parce que, comme le dit si justement Michel Fugain ”Pour qui tu as de l’antipathie ? Les gentils. Pour qui tu as un gros penchant ? Les méchants.” Le méchant Dark Vador fascine, et il est le symbole, le personnage le plus connu de Star Wars, même de la part de ceux qui n’ont jamais vu le moindre film (l’auteur lui-même parle d’un de ses amis qui n’a jamais vu Star Wars, mais adore Dark Vador). Alors, pourquoi le Premier Ordre ? Parce qu’un fan de Dark Vador, Ben Solo, veut devenir comme lui : il veut être le nouveau Dark Vador. Et pour cela, il est tout en noir et porte un masque. Mais son règne n’est qu’une caricature ; Snoke lui-même le dit dans ce que je trouve être la plus belle phrase des Derniers Jedis : “you’re not Vador. You’re just a child in a mask.” Vervisch le dit : Kylo Ren n’a physiquement pas besoin de masque. Vador en avait un pour respirer, pour survivre. Si Kylo Ren a besoin de ce masque, c’est uniquement pour ressembler à Vador.
Mais ce qui est vrai des méchants ne l’est-il pas aussi des gentils ? Qui est Poe Dameron dans Les Derniers Jedis, si ce n’est ce Julien Sorel galactique qui, enivré d’une conception mythique de l’héroïsme, cherche à devenir un de ces héros dans ce nouveau combat ? L’héroïsme est une question permanente du huitième film : le héros est-il celui qui fonce tête baissée dans la bataille (Poe, puis Finn), celui qui sait se retirer quand tout espoir est perdu (Luke, puis Poe), ou celui qui préfère sauver plutôt que détruire (Rey, puis Rose) ? Une conception mythique du héros, comme celui qui mène de grandes batailles et détruit de grand méchant, n’a plus sa place dans cette guerre. Et c’est en poursuivant cette chimère qui Poe va conduire à la destruction d’une bonne partie de la rébellion : après avoir fait perdre une importante partie de la flotte à la résistance lors de la scène d’ouverture, il a tellement besoin d’être héroïque qu’il va s’inventer un ennemi (la vice-amirale Holdo) alors qu’il n’y en avait aucun, juste pour avoir un rôle à jouer dans le film. Mais il n’a aucun rôle particulier à jouer, et toutes ses décisions ne feront pas avancer la guerre, au contraire. S’il avait accepté son rôle de membre anonyme de la résistance, la résistance serait encore en vie à la fin des Derniers Jedis. Alors, c’est peut-être pour ça qu’il faut laisser mourir le passé, autre grand thème du huitième film.
Mon intention n’est pas d’écrire un livre entier sur Star Wars en concurrence avec celui-là, du moins pas sur mon blog, donc je vais m’arrêter là. Un petit dernier mot sur un thème que j’ai repris dans mes propres livres de pop’philo (Disney : il en faut peu pour philosopher et Death Note : la philosophie de Kira), à croire que ce thème revient dans toutes les productions littéraires et cinématographiques : comment, en voulant faire le plus grand bien, on en vient à faire le plus grand mal. De quelle façon celui qui veut faire l’ange fait la bête : la pureté absolue que représentait Luke Skywalker est pourtant bien ce qui va “créer” Kylo Ren. J'aime beaucoup ce terme de “création” utilisé par Rey lorsqu’elle décrit la confrontation, en flash-back, entre Luke et Ben Solo. C’est en voulant éliminer une source d’obscurité, celle qu’il voit en Ben, que Luke va le faire basculer définitivement du côté obscur. Je ne m’étends pas sur cette question que j’ai déjà largement abordée dans mes autres livres, pour ne pas vous désespérer de voir le point final de cet article un jour.
Je sais que beaucoup sont les collègues qui s’intéressent à Star Wars... peut-être lirais-je un jour une analyse qui me fera remarquer encore plein de chose dans cette nouvelle trilogie, et j’en serai ravie. Peut-être dois-je attendre de voir aussi le dernier film. Et si j’en écrivais un ? Franchement, j’ai la flemme. Oui, ça m’arrive. Et puis, parfois, on préfère lire, et découvrir des choses auxquelles on n’avait pas pensé...